Le voyage dans la vie intime des éléments se situe dans la biologie du visible, dans cette micro-analyse ou chirurgie de l’image, dans ce désir de creuser la matière afin d’aller jusqu’au cœur analytique des choses, jusqu’aux particules qui deviennent progressivement invisibles, nous conduisant vers l’immatérialité des molécules. Alors la granularité du pigment et la parcellisation du pixel tendent à se confondre et à échanger leur expressivité.
L’alchimiste est friand du processus de sublimation et de transmutation. Il explore un micromonde, l’infiniment petit et mouvant, la fine fleur de la matière. La matière se révèle comme un monde de formes, de textures, de structures, de réseaux, de rhizomes, de tissus et de réticules. La particule pigmentaire ou phosphoreuse tellement fine et serrée dans sa contexture renferme les secrets propres à la vie picturale élémentaire. Couleur-matière et couleur-lumière se télescopent au cœur de ces entités minimales. Pigment et pixel sont ici saisis comme des interfaces entre deux mondes, interfaces entre le monde sensible et le monde intelligible, entre le réel et le virtuel, entre l’image et le calcul. L’interface est ce qui se glisse entre deux éléments pour les relier, les mettre en réseau, les faire interagir et les modifier profondément en les intégrant dans un tout beaucoup plus vaste auxquels ils se soumettent. Pigment et pixel, au sein de leur propre espace, cristallisent cet entre-deux, intermédiaire incarnant une zone d’interaction, de contact. Leur nature est fluide, aérienne et labile. Il s’agit là d’un passage d’un intérieur vers un extérieur, d’une brèche poreuse par laquelle fuse et se répand ce qui auparavant était invisible. Au creux de chacune de ces deux entités, il est question d’une mutation, de l’ascension d’un stade physique et sensible à un stade spirituel et immatériel, d’une traversée des frontières et des apparences.
Dès les premiers temps, l’homme a toujours été confronté au problème de la production de couleurs. Depuis des millénaires, il s’est emparé des pigments naturels pour représenter son environnement mais aussi un monde impalpable habité pas des puissances surnaturelles. Pour peindre sur la paroi, il a su trouver des pigments issus du règne animal, végétal ou minéral qu’il a intégrés à de multiples expériences. En les manipulant, les calcinant pour arriver à des changements de couleur ou de texture, l’homme ouvrait déjà ainsi la voie aux travaux des alchimistes, et, plus près de nous, aux chimistes. Dès le XVIIIème, la chimie des couleurs a développé une infinité de matières colorantes et a permis la profusion d’une infinité de nouveaux pigments synthétiques. Depuis, la palette des artistes n’a cessé de s’enrichir. Dès lors, après l’alchimie et la chimie des couleurs, la production des couleurs reste au cœur des nouvelles technologies ordonnant aux pixels de l’ordinateur la création d’une infinité de teintes. Pigment et pixel témoignent de l’ingéniosité et de l’ardeur avec lesquelles l’homme a su mener une aventure scientifique et technique fascinante.
Désormais, un nouvel imaginaire se dessine dans lequel les images virtuelles se substituent aux peintures rupestres, les pixels aux pigments et le cyberespace à la grotte. Aujourd’hui, l’art numérique ne peut être imperméable à son passé et se nourrit d’un certain héritage pictural. Transversale aux différents arts déjà constitués, cette nouvelle forme artistique tend à les hybrider intimement entre eux, les redynamisant en mélangeant les genres et les techniques. Cet art mouvant s’enrichit à la fois des nouvelles technologies et d’une culture ancienne qu’il tend à revisiter. Les matériaux de l’art traditionnel se retrouvent inévitablement investis de cette nouvelle mouvance. Loin d’esquisser une idée de progrès technique ou de continuité entre les différentes formes d’art et leurs outils, des connexions plurielles se tissent alors entre un matériau ancestral lié aux traditions picturales, le pigment, et un élément pictural de l’image numérique, le pixel.