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Cyberculture

L'art dédié à l'interréseau à l'ère du numérique (David Ross)

Résumé d’une communication de David Ross, directeur du SFMoMA

L’institut CADRE de l’Université d’état de San Jose en Californie est un centre de recherche interdisciplinaire voué aux technologies appliquées à l’art, au design, à l’éducation et aux communications. Directement lié à l’industrie électronique de la Silicone Valley depuis 1981, l’institut ne cesse d’être présent sur la scène des nouvelles technologies. Il encourage le développement de recherches artistiques orientées vers l’hypertextualité, l’interactivité, les cartes informatives, la virtualité, la navigation, l’immersion, les agents intelligents, l’identité, etc. Joel Slayton, le directeur actuel de CADRE, est un atiste reconnu des médias numériques. Il présente un projet en ligne intiutlé Telepresent Surveillance, il participe aussi à la réflexion dans la revue Switch qui émane de l’institut CADRE et dont l’orientation éditoriale porte sur l’art et la technologie. C’est d’ailleurs dans cette revue en ligne que l’on retrouvera le texte de la communication de David Ross présentée le 2 mars 1999 au CADRE Institute et intitulée « Net.art in the age of Digital Reproduction ». 

Une intervention particulièrement intéressante parce que l’expérience de David Ross, en tant que conservateur d’art moderne et contemporain aux Etats-Unis, plonge ses racines dans les années soixante. On s’attend donc à tirer de ses propos une vision éclairante sur les liens et les ruptures entre l’art des musées et l’art dédié au Web, et ce, dans une perspective parfaitement contemporaine et médiatique. David Ross est l’actuel directeur du San Francisco Museum of Modern Art (SFMoMA), auparavant il dirigeait le Whitney Museum of American Art. Il se situe par ailleurs dans cette classe de conservateur désireux de comprendre et de faire valoir ce qui, à première vue, semble trop inusité pour se maintenir dans le long cours. 

Il fait donc partie de ceux qui ont défendu, entre autres, l’art vidéo dans les années 60 et 70. Les artistes nord-américians de la Beat Generation avaient tâté de la pellicule filmique en utilisant la caméra 8 mm sur fond de musique jazz (ex.: Wallace Berman, Maya Deren entre autres). La vidéo, pour sa part, est l’outil de la génération télévisuelle, il va sans dire. Elle occupe un champ artistique prolifique qui reste à découvrir malgré de récents efforts de diffusion par les commissaires tels, au Québec, Nicole Gingras (commissaire de la section art contemporain-vidéo pour Le Printemps du Québec en France) et François Cormier, premier directeur de l’organisme Champ Libre (vidéofiction et art électronique). 

De plus, avec les nouveaux outils numériques de traitements de l’image vidéo et l’espoir de voir les bandes passantes sur Internet augmenter leurs débits, il y a fort à parier que la vidéo connaîtra un regain d’intérêt et d’espace que la télévision lui promettait mais qu’elle a finalement cédé aux publicitaires. D’ailleurs, David Ross avance l’idée que la vidéo y est pour quelque chose dans le développement de la notion de site et par extension de sites Web. Les installations vidéo des années 60 et 70 (avec l’avènement de la caméra vidéo portable) en occupant un espace dans toutes ses dimensions, en créant un milieu entièrement habité par le concept artistique, auraient en quelque sorte initiée l’approche actuellement expérimentée par de nombreuses oeuvres dédiées au Web. Le site étant un univers en soi, parfois entièrement protégé de toute influence externe, avec ses objets, son discours, ses déplacements et ses états affectifs. Un lieu hybride mêlant le site archéologique (à découvrir), l’installation (à parcourir) et l’interactivité (à expérimenter).

Reprenant le questionnement de Walter Benjamin sur la validité de la photographie en tant qu’art, il rappelle que la question fondamentale soulevée par Benjamin repose en fait sur une réévaluation de la notion même de l’art. Cette question demeure encore, et pour beaucoup, problématique. Quarante ans plus tard Douglas Davis, artiste et critique, se posait la même question à propos de la vidéo et renouvelait ainsi le discours de Benjamin. À une époque pas très lointaine, les musées considéraient la vidéo comme un objet producteur de bruit dans leurs salles silencieuses sensées nous protéger du bruyant environnement urbain. Cependant la vidéo a changé l’approche sculpturale, on n’a qu’à penser à Bill Viola, Nam June Paik ou Gary Hill pour s’en convaincre. Qu’en est-il maintenant de l’art dédié au Web et à la numérisation, demande Ross? Exige-t-il la construction d’un nouvel espace discursif?

David Ross est plus que favorable à l’art dédié au Web (Net.art). Il y voit non seulement un renouvellement de la créativité qu’il croyait désormais absente du monde de l’art mais il en fait une forme spécifique d’art. Mais une forme d’art à l’intérieur d’un mouvement esthétique lui-même inscrit dans les nouvelles pratiques de la technoculture évoluant elle-même à une vitesse folle et sans précédent. « An art form evolving within a system that is so fully totalizing and global that it contains within it every other known mass medium on the planet. » (Ross, 1999). Selon lui, le divorce de l’art dédié au Web par rapport aux pratiques traditionnelles est radical, à tel point que l’activité critique qui l’accompagne en fait intégralement partie, de plus le cyberart réduit significativement la frontière entre le discours et l’action, entre l’auteur (l’oeuvre) et le lecteur (la consultation interactive). 

Il ne s’agit donc pas simplement d’une nouvelle forme d’art mais d’un milieu qui draine avec lui l’ensemble des activités esthétiques qui le concernent et ce, dans un espace relationnel entièrement inédit.