Une entrevue réalisée le 21 février 2000.
La revue allemande Telepolis nous a aimablement autorisé à traduire cet article et nous vous invitons à consulter cette excellente revue électronique.
De nos jours, on entend beaucoup parler des frontières réelles et virtuelles de l’Internet. Cette cartographie du cyberespace se limite toutefois à ce qu’on en connaît ou à ce qui devrait être connu. L’entrevue tourne autour du fait que les cybercommunautés anglophones et germanophones perçoivent l’Internet cyrillique [l’interréseau des langues slaves] comme une zone impénétrable, une terra incognita. Les questions posées à la cyberartiste Olia Lialina (actuellement professeure de réseau et d’environnements en ligne à l’Académie Merz à Stuttgart, Allemagne) s’oriente dans ce sens, et ce, afin de connaître ce qu’il en est du réseau ru-net [l’interréseau russe]. Outre les réponses d’Olia Lialina, quelques commentaires d’acteurs importants de l’interréseau russe ont été intercalés dans le texte.
Olia, la majeure partie des conversations récentes avec vous concernait la vente d’oeuvres dédiées au Web. J’aimerais changer de sujet et baser cet entretien sur les différences Est-Ouest et l’Internet russe. La conférence organisée par Nettime à Lubljana [Slovénie] en 1997 a réuni plusieurs artistes et critiques en provenance de l’Est et de l’Ouest, quelle était l’ambiance durant les sessions de cette conférence intitulée « Beauty and the East« ?
Olia Lialina: Je me rappelle l’aura d’exotisme qui entourait l’Internet de l’Europe de l’Est et les artistes médiatiques du milieu des années 1990. La conférence sur la liste de discussion Nettime a démystifié, cette année-là, certaines assomptions occidentales et cela a mis un terme à l’ère de la simple curiosité.
Depuis lors, je me demande ce qui arrive… mis à part votre travail et celui d’Alexei Shulgin, on possède peu d’informations entourant l’interréseau russe.
Les interréseaux italien, allemand, japonais ou hongrois ne sont pas plus populaires. On dit que l’Internet n’a pas de frontières, mais il en reste une, c’est la frontière très présente de la langue. Les langues tracent de nouveaux territoires à travers l’interréseau global… Je ne suis pas certaine qu’on puisse en définir clairement les contours actuels… Je ne peux m’avancer sur les autres communautés, mais l’interréseau russe ne se résume pas à des serveurs, des fournisseurs, des auteurs et des artistes résidant en Russie. C’est une communauté de personnes parlant, écrivant et pensant en russe. Ils vivent en Amérique, en Israël, Allemagne, Russie, Autriche, dans les anciennes républiques soviétiques… Dans cette optique, on peut parler d’un nouveau territoire; hors des vieilles frontières, mais avec de nouvelles frontières. Je vous en donne un exemple récent. Au Jour de l’An, trois alpinistes russes sont morts tragiquement dans les montagnes mexicaines. Ils vivaient en Amérique, mais ils parlaient le russe. Ils étaient tous impliqués dans différents webzines et leur décès — dont on a pas parlé dans les médias hors ligne — fut une tragédie pour la communauté en ligne. Un autre exemple: le fameux conflit « etoy-etoys » et les discussions animées entourant cet événement dans le milieu anglophone, n’ont pas passé les frontières de l’interréseau russe.