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Entretiens

Entretien avec Pierre Robert

Quel est votre parcours avant d’avoir monté le site Archée? Pouvez-vous vous présenter? 

Après quelques apprentissages académiques des arts plastiques, je me suis dirigé vers l’histoire et l’étude des arts, un baccalauréat en Histoire de l’art et une maîtrise en Études des arts à l’Université du Québec à Montréal ont suivi. Une scolarité en sémiotique visuelle au niveau doctoral complète mes études. Les arts visuels occupent la majeure partie de mon parcours, mais j’ai aussi bifurqué vers les arts moins individualistes que sont la musique et le théâtre.

Au début des années 1980, le système d’enseignement des arts visuels n’intégrait pas la créativité partagée comme une de ses priorités, il était centré sur une poétique individuelle de l’expression. Sa prétention voulait que les outils reconnus de la création visuelle (peinture, gravure, sculpture, photographie, dessin, etc.) soient à la base universels, capables de tout exprimer, ce qui, à l’évidence, est un leurre issu d’une pensée “beaux-arts” tendancieusement romantique. Étant, a priori, insatisfait de ce mode de production individualiste, les nouvelles technologies m’apparaissent idéalement constituées pour opérer un virage esthétique important et, à mon avis, nécessaire. 

L’individu, entendu comme personne isolée, n’existe pour ainsi dire que dans un cadre légal, par contre, le sentiment d’être un individu se manifeste par et dans la communication. Les procès les plus médiatisés dans lesquels l’individu est au centre des débats appellent une multitude d’intervenants et une éthique sociale parfois démesurée. Cela porte à croire que la culture est la chair de l’individu, son archée, son âme, son esprit et que les définitions pointues sur l’individualité ne stimulent finalement que des intérêts contextualisés. La communication est donc un axe important dans mes visées esthétiques. 

Quels sont les objectifs du site Archée? 

Archée joue actuellement un double rôle. D’une part, il rend compte de la vie cyberartistique dans Internet, d’autre part il participe au rayonnement de celle-ci et à la réflexion que cette vie, dite virtuelle, impose à une pensée esthétique issue de la Renaissance. Sommairement, le tableau se présente comme suit : Avant l’avènement d’Internet, l’art contemporain international se cantonnait dans les réseaux élitistes des grandes villes, des grands musées et des biennales en faisant la promotion. L’internationalisation progressive de l’art contemporain durant les années 1980 et 1990 a créé un écart de plus en plus grand entre les institutions et leurs réseaux d’un côté, les jeunes artistes et aspirants de l’autre. Au Québec, par exemple, ce n’est que depuis peu que le Musée d’art contemporain de Montréal propose des expositions de très jeunes artistes. Il était même coutume de penser que les “jeunes artistes” locaux en art contemporain se jaugeaient à un âge variant entre 35 et 45 ans (!). Et les jeunes artistes actuellement présentés par le musée, fabriquent des objets, des peintures, des installations, ce ne sont pas des œuvres dédiées au Web endossées par la classe muséale. Le système de l’art contemporain remet les pendules à l’heure sans toutefois prendre le train du virtuel et de la cyberculture. Ils péchent par une trop grande prudence. 

Parmi les quelques musées ayant emboîté le pas des nouveaux médias, certains l’ont fait à leurs dépens par manque de connaissance, car on est loin d’en comprendre clairement tous les aspects. On a qu’à se rappeler la diversion Web opérée par âä ark avec le Whitney Museum (US) ou l’iconoclastie de Graham Harwood du groupe Mongrel au Tate Modern (UK). Les musées sont, à ce jour, à la remorque de la pensée interactive et réseautique de la nouvelle esthétique des flux informationnels, plus qu’ils n’en contrôlent les avenues et les aboutissants. De ce point de vue, les choses changent du tout au tout. 

C’est dans cette perspective que le périodique électronique archée s’active à cartographier de façon critique et ouverte, et non pas dithyrambique, les réseaux cyberartistiques. Notre public cible se compose d’un espace francophone élargi et atteignable par l’Internet. Un média comme archée aide à la connaissance des nouveaux enjeux. Le Web est tellement vaste que la formation de réseaux ou de nœuds informatifs devient incontournable si on désire sous-peser les achèvements et les développements dans le domaine des nouveaux médias artistiques. 

Quoiqu’il en soit l’Internet bouleverse tout le paysage de l’art, tant sur un plan esthétique que dans la dynamique des réseaux qui se forment grâce à l’interréseau, non seulement par l’influence que ces réseaux exercent sur les institutions en place, mais en créant un milieu parallèle, virtuel, largement autonome et très dynamique. 

Pourquoi avoir choisi un tel titre pour le site? 

Archée (prononcer “arché” et non “arké”) est un vieux terme latin (archeus) utilisé dans le langage alchimique, une période de tergiversations intellectuelles, spirituelles et pseudo magiques du 16e siècle, précédant l’avènement de la science objective. Archée est un terme paradoxal, à la fois approximatif et précis, il signifie le principe même de la vie, ni tout à fait corps, ni tout à fait esprit, ni tout à fait âme, mais les trois moulés dans le souffle vital ou, encore, il signifie de façon plus globale le centre de la terre (le feu) en tant qu’énergie vitale de la planète. 

Il nous est apparu des plus appropriés d’utiliser archée pour identifier un site dont l’objectif consistait à faire valoir un art issu de la complexité interactive et du potentiel communicatif des nouveaux médias. Les conditions de création dans le cyberespace s’apparentent à l’ancienne alchimie parce que nous faisons face, avec les nouvelles technologies et les nouveaux médias, à un champ de complexités dont on anticipe le potentiel fulgurant sans être pleinement en mesure d’en exploiter de facto tout le potentiel. Le caractère quasi irréel du contexte électronique et numérique, éveille et stimule à foison de nouveaux espaces imaginaires et collaboratifs, et par conséquent de nouvelles recherches esthétiques. Archée représente, à cet égard, un nœud d’intérêt dans l’interréseau.