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Cyberculture

Tableau 2 : Exposer la culture muséale sur Internet

À la lueur des réflexions exposées dans le premier tableau, Internet s’est rapidement imposé comme un nouveau dispositif de médiation des savoirs pour les institutions muséales. Des raisons politiques ont amené ces dernières à suivre le “courant post-moderniste” impliquant l’usage des nouvelles technologies pour se faire connaître auprès du plus grand nombre de visiteurs. Nous avons dès lors mis en évidence que les conservateurs de musées se détournent de leur mandat initial en se présentant comme des “attractions populaires”, où les utilisateurs sont priés de cliquer par-ci par-là pour passer en revue le contenu des collections. La visite des musées sur Internet est donc entièrement repensée, les visiteurs se trouvant désormais en vase clos, puisque ces derniers interagissent avec un micro-ordinateur : la visite virtuelle n’impose paradoxalement aucune contrainte de chemins à l’intérieur du musée.

Nous avons également avancé que les conservateurs des musées virtuels ne nous apprennent rien sur le choix des objets ni sur la manière dont ils les considèrent (c.a.d., leur importance dans le musée physique). Plusieurs universitaires et artistes perçoivent les œuvres d’art comme mises au rancart sur un support technique provoquant ainsi leur mort définitive. La vision des collections effectivement préconisée par les conservateurs n’est plus de l’ordre du donné, soumis au regard candide du visiteur, mais relève de l’“expérience subjective”, cette vision étant construite par l’objet technologique. On est en droit de penser que c’est davantage l’interactivité qui offre le potentiel d’acquisition des connaissances des œuvres d’art et moins les stratégies informationnelles : la première option étant la condition sine qua nonde la seconde. La caractéristique inhérente du musée en ligne est sans contredit sa rationalité technique, plus spécifiquement la mise en œuvre de multiples fonctionnalités se manifestant par un arsenal de choix technologiques.

Dans ce deuxième tableau, nous tenterons de répondre aux interrogations suivantes : est-ce que “l’interactivité discursive” constitue une rupture réelle avec le lieu physique, laissant place à une nouvelle synergie avec les œuvres d’art, ou serait-ce tout simplement une “tactique dissimulée” de la part des conservateurs afin d’informatiser leurs collections? Est-il également justifié d’affirmer, à l’instar du discours prôné par les universitaires, que la ferveur utopique du déploiement culturel l’emporte sur la transmission des connaissances? Enfin, l’exhibition des arts sur Internet est-elle un nivellement par le haut s’adressant aux conservateurs et aux chercheurs en fonction de leurs intérêts ou un nivellement par le bas dédiés aux non-initiés dans un langage enfantin au service d’un contenu superficiel ?

Nous visiterons plusieurs musées virtuels pour examiner dans quelle mesure ils se proposent d’orienter ou d’initier le visiteur, d’apporter une complémentarité aux informations déjà disponibles sur le lieu physique, ou encore d’approfondir les connaissances sur les œuvres par l’expérimentation d’Internet. Des exemples concrets s’avèrent, à cette étape de notre analyse, nécessaires. Nous allons présenter une sélection la plus représentative possible des sites Web choisis parmi plus de 2000 sur lesquels nous avons attentivement navigué. Rappelons, par ailleurs, que l’objectif ici n’est pas de dresser une liste exhaustive des musées qui se trouvent sur Internet mais bien de faire une recension afin de montrer les variantes en termes de présentation.

Des musées de cogagne

D’entrée de jeu, il apparaît essentiel de distinguer les deux types d’expositions rencontrés sur Internet : les expositions dites “imaginaires” spécialement conçues pour Internet comme le Biblical Arts Center, ou le Museum of Public Relations, entièrement virtuel et mis à jour tous les deux mois. D’autres expositions, sont dites “réelles”, car les œuvres d’art sont visibles dans le musée physique,comme les “Collections” du Musée d’Orsay qui, soit dit en passant, s’est refait une beauté. Si on fait le décompte, avec l’émergence des expositions imaginaires, nous trouvons beaucoup plus de musées sur Internet que dans le monde réel!

En y regardant de plus près et de manière empirique, la notion de connaissance relative aux musées en ligne s’avère fuyante. En termes de contenus1, nous constatons que les musées virtuels sont fidèles à la philosophie d’Internet : une véritable caverne d’Ali Baba. Loin d’être une métaphore, ceci est un fait car les visiteurs se trouvent devant une quantité inouïede musées virtuels2. Laissez-vous vampiriser par des centaines de milliers de musées, de l’Amérique du Nord à l’Océanie en passant par l’Europe et l’Afrique3 avec des thématiques (beaux-arts, sciences naturelles, civilisation, joaillerie, cinématographie,…) allant de la période prémésopotamienne à la période contemporaine, axées sur des œuvres d’art, des sculptures ou des artefacts. Les musées en ligne constituent un espace de transition culturelle, parce qu’ils sont l’occasion de faire naître des nouveaux vecteurs d’activités dans la sphère muséale. Nonobstant ce fait, ce monde féerique qui offre un pèlerinage à travers la Culture n’est-il que poudre aux yeux ou, au contraire, une aire ouverte marquant le début d’une “territorialisation magique des arts” sur des sujets les plus diversifiés, auxquels le visiteur n’aurait jamais pensé ! En d’autres mots, le phénomène de démocratisation de la Culture qu’engendre Internet n’est-il finalement qu’un “foisonnement anarchique d’objets d’art”? Pire même, un empilement de collections où le visiteur vaque à tâtons pendant des heures pour satisfaire un “semblant de curiosité” ou, encore, des lieux d’information prolifiques exposant et interprétant des collections dont l’accès réel est souvent limité pour diverses raisons techniques. Comme par exemple, des objets fragiles ou prêtés à l’étranger, appartenant à des particuliers ou demandant de grands espaces d’entreposage. A contrario du musée physique, le musée virtuel ne pose pas le problème de superficie, de sorte que “l’espace d’écriture” permet d’étayer et d’accroître les contenus des expositions en salle, comme une rétrospective des œuvres sur un artiste, sa technique, sa vie, avec forums de discussion et autres, tel que Duchamp ; cela, tout en combinant des perspectives éducationnelle, ludique et documentaire qui, autrefois, étaient diamétralement opposées. 

Ce raisonnement nous porte à croire que le concept de conglomérat de musées en ligne, comme le VLmp pour ICOM mentionné dans le tableau 1, et dont plusieurs sites ministériels, touristiques ou tout simplement privés se sont dotés, privilégie non seulement la distribution des savoirs sur la culture mais également la répartition de ceux-ci entre les acteurs. On ne peut passer sous silence que ces sites contribuent à une politique du partage de la connaissance. Pour ne nommer que la liste des musées scandinaves, élaborée par la firme Netquest Communications regroupant : la Finlande, la Suède, la Norvège, le Danemark et même l’Islande (voir “Museums and Art galleries”), l’Australie, la Russie, le World Wide Arts Ressources ou Yahoo pour les États-Unis4.D’autres pays présentent aussi de tels répertoires, comme ArabNet sur les musées de l’Afrique du Nord et du Moyen-Orient, et Central Europe Online sur les villes de Budapest, de Bratislava ou de Ljubljana. Pour le Canada, à voir absolument, le Musée Virtuel avec ses huit portails (“Expositions du MVC”, “Pour s’amuser”, “Centres des enseignants”, “Musées à découvrir”, “Galeries d’images”, etc.) inauguré en mars 2001 par le Réseau canadien d’information sur le patrimoine (RCIP). De même que le “Montreal e-guide!”, un guide touristique virtuel offrant une liste sur les activités montréalaises, entre autres, sur les musées et les maisons de la culture par type et arrondissement.

Le modèle classique de la page d’accueil d’un musée virtuel

La majorité des musées virtuels sont bilingues, parfois même trilingues, le plus souvent dans la langue d’origine et l’anglais. En outre, on y trouve l’information pratique pour une visite réelle (adresse physique, numéro de téléphone, heures d’ouverture, prix d’entrée, expositions actuelles, passées et à venir de même que celles en tournée, activités et conférences, publications, coordonnées du personnel, cyberboutique, à l’occasion une carte situant le musée dans la ville ainsi qu’une illustration de la façade du lieu). Le visiteur est aussi invité à formuler ses commentaires au Webmestre. Cela lui évite de tomber sur un répondeur ou de courir après le personnel.

Côté contenu, une table des matières est bien en évidence sur la page d’accueil, accompagnée de titres limpides dans un vocabulaire accessible au non-initié. Vous n’avez qu’à faire votre choix parmi “Collections”, “Visite virtuelle”, “Éducation”, “Expositions actuelles”, “Information”, “Calendrier”, etc. L’intitulé “Éducation” se retrouve davantage dans les musées des beaux-arts Nord Américains et s’avère riche en informations, surtout si l’on désire s’initier à l’art et aux sciences ou, encore, élaborer un programme à caractère didactique sur les arts : “Education” de la National Art Gallery of Washington, le “Online Learning” du British Museum, “Explore and Learn” et plus spécifiquement Time Line of Art History du Metropolitan Museum of Art de New York , Treasures to Go du SmithsonianAmerican Art Museum de Washington et “Louvre.edu”, le service éducatif en ligne du Louvre (l’abonnement est payantsauf pour la première visite) ou encore “ CyberMentor” du Musée canadien des civilisations à Hull (également payant) offrent une telle perspective. 

L’ “objet du mois” est aussi l’occasion d’initier les visiteurs et donne envie d’en savoir davantage sur l’objet en question, comme sur la page d’accueil du Metropolitan, le “Director’s Choice” du Smithsonian5, ou encore le “Monthly feature” du Macau Museum. Un autre exemple qui mérite d’être cité est le “Pick of the Month” du Phoenixmasonry Masonic Museum, le musée des francs-maçons de Phénix. Déjà, son slogan invite à surfer avec ses 40 sujets (pots, vases, cuillères, vaisselles, répliques d’architecture, cartes postales, presse-papiers, etc.) : “Things of Beauty can become the source of purity, happiness, and inspiration; works of art can ennoble and raise the consciousness of people”. 

Pour la rubrique “Collections”, si vous cherchez à vous renseigner sur un artiste ou une œuvre d’art, le Musée des beaux-arts de Bordeaux avec ces “100 chefs d’œuvres” et la National Art Gallery of Washington avec sa collection “Tour of the week” vous enchanteront. Même si leur page d’accueil paraît sobre, leur présentation est fort bien élaborée. Il est possible d’agrandir la peinture choisie et d’approfondir ses connaissances sur la texture, le contexte, l’artiste, la technique, la provenance et une bibliographie. La qualité des images est plus que surprenante. Idéal pour celui qui veut se monter une panoplie de signets en guise de fond d’écran.

La plupart des musées en ligne offrent des visites guidées en VRML (à 360 degrés) dont vous êtes l’investigateur, comme si vous découvriez les œuvres sur place, par la désignation “Visite virtuelle”6 du Louvre et du Musée de Québec, ou encore du Royal Ontario Museum, en particulier Le monde grec (version longue durée) qui se télécharge automatiquement avec le plugiciel QuickTime.

Il est cependant difficile de télécharger le logiciel et de comprendre le processus de navigation si vous n’êtes pas très familier avec ce genre d’outil technologique. Les fonctionnalités Quick Time Virtual Reality (QTVR) et Virtual Reality Modelling Language (VRML) peuvent faire ‘planter’ votre ordinateur, si la version de votre navigateur Web (Netscape ou Internet Explorer) n’est pas récente. Si la chance vous sourit, vous aurez droit à la vidéo et à des commentaires audio.