« D’un corps réel, qui était là, sont parties des radiations qui viennent me toucher, moi qui suis ici; peu importe la durée de la transmission; la photo de l’être disparu vient me toucher comme les rayons différés d’une étoile. » (Roland Barthes : La chambre claire. Extrait tiré du communiqué de l’exposition.)
A priori le spectateur est placé dans un face à face sans prétention avec l’œuvre, un grand écran au format 16:9 reposant directement sur le plancher de la salle d’exposition, aux dimensions modestes, de la Maison de la culture du Plateau-Mont-Royal. À l’écran, se déploie en boucle deux séquences vidéographiques de quelques 11 minutes chacune. Dès les toutes premières secondes, on sent qu’il s’agit d’une traversée de l’image allant du souvenir flou mais réconfortant des gestes et sons du quotidien aux fines pulsations de matières fluides et abstraites desquelles un temps symbolique se manifeste. Le déroulement des séquences est lent sans être ralenti, soyeux, souple, créant par les ruissellements et les masses aqualumineuses une harmonie discrète mais vigoureuse, aidé en cela par une trame sonore des plus suaves, ponctuée par les hauteurs, les rythmes, les textures, les enchaînements et les transitions émergentes. Ici la trame sonore joue plus exactement le rôle d’un épiderme impulsé, le visuel stimulant les variations audibles affluant dans l’espace. Une suite d’ondes variées et de variations d’ondes s’entremêlant finement. Bertrand R. Pitt estime certainement la minutie, car il fusionne les matières visuelles et sonores comme un véritable ingénieur alchimiste.
Des profils humains parfois apparaissent, se dévoilent, aussitôt brûlés par une mise au négatif contrastée ou continûment fondus vers d’autres images, générant de nouveaux déploiements vibratoires. Ce jeu chatoyant de métamorphoses coruscantes n’est jamais vide, il ne cède pas à la pureté esthétique, au contraire, notre perception s’en alimente constamment jusqu’à ce que s’installe une douce émotion, doublée du désir d’avancer encore plus avant dans cet univers métaphorisé par une danse plastique de formes, de couleurs et de luminosités teintée de ressouvenances diluées.
Rémanences appelle le silence, car l’imprégnation cumulative de ses effets nous apaise irrémédiablement. Une fois cet état d’apaisement atteint, nous goûtons tout à loisir l’irisation des couleurs, le passage des clairs-obscurs, les ondes tactiles, abordant cette plage audiovisuelle comme un magma électronique bienfaisant. Nous sommes à la fois le producteur et le produit de la rencontre avec l’oeuvre. Ce n’est pas rien.
L’œuvre offre ainsi un caractère spectaculaire au sens propre du terme, c’est à dire qui parle à l’imagination par les yeux et les oreilles, et ce, bien au-delà de l’éclat stérile d’une vaine excitation sensorielle. On dit de la rémanence visuelle qu’elle est le phénomène par lequel la sensation visuelle subsiste après la disparition de l’excitation objective. Des rémanences existent aussi pour tous les autres sens. Le processus de l’effacement, de la perte ou de la subconscience conduit à la création de l’intimité, saisissable par le cumul interrelationnel des évanescences entre les êtres, les choses et les sens. Hors de cette aire diffuse et irraisonnable, il n’y aurait que du réel sans fondement.