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L'acte artistique face à l’écueil écologique

Introduction

La rencontre Régénération : pour une écosophie de l’acte artistique, collaboration entre le Groupe URAV et le centre GRAVE en partenariat avec le CRANELab, Ealab et Archée s’étendait sur deux jours et comprenait une journée d’étude, une table ronde, deux expositions et des performances.

Table-ronde GRAVE, photo Martin Savoie

Lors de ces journées trois dimensions ont été abordées : une vision esthétique, à travers laquelle l’art nous aide à « instaurer de l’ordre dans le chaos1 »; une vision collective, où les pratiques artistiques contribuent à régénérer et à aider la nature ; et une vision universaliste qui met en doute la place de l’homme dans la nature. 

Ce texte a par but d’analyser ces trois perspectives afin de montrer l’importance de l’implication de l’art dans la société. Dans un premier temps, nous allons présenter les aspects positifs qui ont été soulignés par certains conférenciers qui croient encore qu’il y a un moyen de sauver le monde. Dans un deuxième temps, nous aborderons les critiques qui ont été énoncées par les artistes et les chercheurs qui n’ont plus beaucoup d’espoir et qui ne croient pas dans la possibilité d’un changement. Dans un troisième temps, nous tenterons de répondre aux différentes interrogations soulevées : L’art nous permettra-t-il de sauver le monde ? Ou nous aidera-t-il, seulement, à aller vers le chaos « en chantant2 »? En dernier lieu, nous observerons comment certaines œuvres d’art médiatique peuvent aider à changer nos perceptions.

Un travail collaboratif

Le travail réalisé pour la tenue de cet événement entre artistes, chercheurs, associations, institutions et organismes démontre les avantages qu’apporte l’art en tant que moyen de collaboration. L’esprit qui s’est construit pendant les discussions a permis aux participants québécois, français et étrangers de modifier leurs attentes, leurs perceptions et leurs préjugés. Ce type de collaboration permet de mettre en commun des idées et des concepts dans l’objectif de faire avancer les recherches et les connaissances.

D’ailleurs certains participants ont soulevé l’importance du travail collaboratif dans leur propos. Chacun a fait ressortir, d’après leurs champs d’expertise, l’importance du partage des connaissances et des recherches dans le milieu artistique et culturel.

Jocelyn Fiset, photo Martin Savoie

Selon le point de vue de Jocelyn Fiset, directeur du GRAVE, le travail collaboratif permet plus facilement de se régénérer en apportant un appui à la société dans la lutte contre la dégénérescence de la planète. Pour ce faire, les artistes doivent être à l’affut de l’actualité et limiter toute production d’objets qui embarrassent le monde et produisent une dépense énergétique et matérielle supplémentaire. D’après lui, il y a quelques années, les artistes du développement durable étaient des pionniers alors qu’aujourd’hui, les artistes veulent être partie prenante de l’action. Cependant, rares sont ceux qui développent un projet tourné vers un comportement d’anticonsommation. Il pense que les artistes devraient trouver les moyens pour promouvoir des nouvelles habitudes de vie et proposer des solutions concrètes aux enjeux de la société. Préconisant un changement mondial il pense que l’art seul peut aider la société à trouver des solutions.

Philippe Boissonnet, photo Martin Savoie

Pour sa part, Philippe Boissonnet, directeur de l’URAV, souligne que le travail de groupe permet de nous recentrer dans le monde. Ainsi à l’époque actuelle le concept de « lointain » est devenu plus proche avec Google qui transforme notre perception du monde et notre rapport aux gens, le monde étant interconnecté, englobant et responsable.  Les artistes peuvent mettre en action diverses pensées écoartistiques qui nous aident à mieux comprendre les changements. Par exemple, les concepts One World et Whole Earth de Denis Cosgrove , qu’il a présenté, nous permettent de regarder des images de la terre reconstruite technologiquement. Ces représentations sont à l’image de nos conceptions et de nos désirs. L’acte écoartistique collaboratif montre ainsi un monde englobant, interconnecté et responsable.

Jean-François Côté et Slobodan Radosavljevic, photo Martin Savoie

D’autre part, Slobodan Radosavljevic et Jean-François Côté, membres de l’URAV, font remarquer que le but de l’art est de bâtir le monde à partir d’expériences artistiques. Ils essaient de construire une réalité qui inclue les caractéristiques de la  réalité virtuelle et de la réalité physique afin d’unir « rationalité et affects » Pour eux, le travail en collaboration, qu’ils mènent ensemble, se construit à partir de la formulation de certaines questions : comment les technologies vont-elles créer ou interpréter des nouvelles visions ? Comment allons-nous habiter l’espace réel et virtuel ? 

Selon ces conférenciers, l’art peut être un moyen pour aider à sauver le monde parce qu’il s’adresse à la société. Grâce à l’art un travail collaboratif est possible en présentant de nouvelles perceptions et bâtir des réalités inexplorées car c’est à travers un partage d’idées et d’expériences

que les artistes peuvent donner à voir de possibles solutions. Depuis toujours l’art transforme et permet de nous questionner sur l’inconnu.

N’y a t-il plus d’espoir pour un possible changement ?

Certains participants ont été plus critiques par rapport aux véritables impacts que peut avoir l’art sur la société pour apporter des changements majeurs dans le monde. Ils pensent qu’il est trop tard pour agir.

Jean Voguet, photo Martin Savoie

Jean Voguet, directeur du CRANELab, signale que même si nous trouvons des alternatives pour sauver la culture et l’art, la diminution du financement des institutions et des projets culturels et la dégradation avancée de la planète ne permettront pas un possible changement. Il faudrait activer des modes opératoires nouveaux, avec un principe « d’économie distributive », afin de créer des modèles économiques suppléant à tous les besoins. Selon lui, chaque individu devrait avoir la capacité de se prendre en charge, de se professionnaliser, de se mettre d’accord avec d’autres structures existantes afin de partager leur savoir-faire. Il faut que la société mise sur un changement radical : « avoir un océan de culture, avec des chercheurs et des scientifiques ».

Christine Palmiéri, photo Martin Savoie

Au dire de Christine Palmiéri, directrice de la revue Archée, il faut conscientiser le monde, sonner l’alarme contre toutes les forces qui détruisent la vie et la nature. Nous devrions suivre l’exemple de certains les artistes qui prônent la régénération de la matière vivante comme dans le bio-art (où les artistes manipulent directement la matière vivante). Leurs expériences visent à faire prendre conscience, réfléchir et apporter des solutions aux besoins des êtres vivants et à celui de la planète. Cet art témoigne des problématiques écologiques qui inquiètent la société, et observe comment des entités semi-organiques abolissent les limites entre les espèces. Toutefois, certains projets artistiques outrepassent les lois de la nature et sont perçus de manière scandaleuse, provoquant un questionnement sur la véritable contribution de l’art face à la nature et sur la place de l’homme dans celle-ci. 

Vincent Mignerot, photo Martin Savoie

Selon, Vincent Mignerot, président de l’association Adrastia, pour changer le monde, il faudrait utiliser une théorie de l’esprit : travailler dans un contexte de solidarité totale et détenir un partage de ressources complet entre tous les êtres vivants. Pour lui, nous sommes des êtres en conflit. Nous avons un langage qui ne communique plus avec l’esprit de solidarité qui est inhérent à la nature. Nous devrions utiliser l’art comme un mouvement de reconstruction pour retrouver un manque ; la reconquête de l’objet perdu, la réconciliation entre poétique et logique.

Ainsi deux réactions semblent ressortir de ces échanges : pour certains l’art ne peut apporter qu’un faible espoir de changement, car il manque de financement et de soutien nécessaire, alors que pour d’autres, il y a encore des possibilités d’action. Mais tous s’entendent sur l’obligation d’apporter des changements radicaux dans la société et présentent des hypothèses et des éventuelles solutions. Leur programme : conscientiser le monde, sonner l’alarme et reconquérir notre lien avec la nature. L’art est un moyen, mais il faut travailler promptement si nous voulons réussir.

L’art permettra-t-il de sauver le monde ?

Comme observé durant la journée d’étude et de la table ronde, les participants ont réussi à voir les bénéfices de leur partenariat. Ils ont franchi divers défis : les perceptions de chacun, l’utilisation des définitions terminologiques et la façon de concevoir les projets.

Mariza Argonza Rosales, photo Martin Savoie

L’avantage de ce projet collaboratif, mené par tous ces artistes-chercheurs, a été qu’il n’a pas été imposé, c’est le résultat d’une réponse spontanée, de la recherche d’une coopération constructive. La base de ce travail est la même pour tous, ils partagent des missions similaires, des initiatives communes vers la construction d’un meilleur avenir. Mariza Argonza Rosales, signale qu’il faut participer à une intelligence collective et partager la joie de vivre, la solidarité et l’empathie : « pour instaurer de l’ordre dans le chaos il faut participer collectivement » dit-elle.

Serge Olivier Fokoua, photo Martin Savoie

La réunion de ces artistes, chercheurs et théoriciens, a constitué un regroupement, responsable, approprié et consenti animé de bonnes intentions et a fourni un événement de haute qualité. Basé sur la richesse du travail collectif ce projet a marqué le début d’une interaction prometteuse entre les institutions, les partenaires et la société ainsi qu’envers le respect et le bien commun. Serge Olivier Fokoua, directeur du Festival RAVY, a attiré l’attention sur le fait qu’il faut réformer les mentalités par l’acte artistique, il dit : « les artistes doivent dire les choses telles qu’elles sont. S’ils ne le font pas, qui le dira ? »

Les œuvres artistiques changent nos perceptions.

Trois productions artistiques, qui ont été présentées, ont changé nos perceptions et nous ont permis de comprendre les moyens qui peuvent être utilisés pour transformer le monde : 

– Aelab : Forces et milieux de Gisèle Trudel,
–  From the Sky to the Earth de Fabien Zocco,
– Le bruissement des lieux de Gilles Malatray.

Gisèle Trudel, photo Martin Savoie

Gisèle Trudel, artiste du collectif Aelab, utilise les déchets comme source d’inspiration pour son travail artistique. Selon elle, chaque écologiste doit se pencher sur les problèmes que posent les déchets afin de comprendre l’environnement. Ses multiples productions visuelles font référence à la notion de « milieu ». Ce concept comprend un noyau où se connectent plusieurs milieux ensemble et où des connexions s’effectuent en relation : « toutes les pièces se chevauchent de manière différente ». L’œuvre d’art a la capacité de nous amener dans de nouvelles situations et nous aide à conscientiser les futures générations.

Fabien Zocco, photo Martin Savoie

D’autre part, Fabien Zocco, en résidence au Fresnoy, a présenté un travail qui montre la relation entre le langage et la technologie. À travers la résonnance poétique de certains noms d’étoiles nous pouvons visionner sur terre une cartographie de rues possédant les mêmes noms. Ces images reconfigurent le territoire, dans un rapport en dehors de la géopolitique. Les espaces apparaissent alors différents, bien qu’étant les mêmes, à cause de notre façon de percevoir et de nommer le monde.

Gilles Malatray, photo Martin Savoie

Pour sa part, Gilles Malatray, directeur de Désartsonnants, souligne qu’il faudrait apprendre à lire le paysage par l’ouïe. Il suggère d’apprendre à faire une lecture et une écriture du territoire, soit de l’environnement sonore qui est présent partout. Il dit qu’il est possible d’identifier un lieu par le son, que le monde est comme un magasin de musique et que nous pouvons tout enregistrer partout. D’après lui, il faudrait mettre tous nos sens à contribution pour connaître davantage notre territoire sonore afin de nous rapprocher des autres espèces vivantes. 

Pour ces artistes, la transformation, entre autres, des matières résiduelles du monde, et sa récupération, met en lumière le fait que tout ce que nous rejetons peut aussi nous nourrir et nous servir. L’art devrait par sa mise en place de lieux alternatifs permettre un échappement et une rencontre entre espaces lointains et espaces quotidiens, espaces réels et espaces virtuels, afin de bâtir un meilleur environnement. L’art existe dans le but de recréer l’harmonie du monde, pour trouver la tonalité de base afin de retrouver notre tonicité. De plus, l’enthousiasme des participants a contribué à animer les discussions et à faire surgir des nouvelles idées en vue d’un possible changement.

Nous sommes voués à être ensemble si nous voulons survivre. Le travail collaboratif artistique doit s’interroger par rapport au devenir de l’être humain et du vivant dans le but d’éveiller les consciences. Les artistes doivent dire les choses telles qu’elles sont par leur art pour changer la société et reformer les mentalités.

Artistes et chercheurs

Philippe Boissonnet, artiste, directeur de l’URAV et professeur en arts à l’UQTR, Québec.
Jean François Côté, artiste (URAV) et professeur en arts médiatique (UQTR), Québec.
Jocelyn Fiset, artiste et directeur du centre d’artistes Grave, Québec.
Serge Oliver Fokoua, artiste et directeur du Festival RAVY, Cameroun.
Gilles Malatray, artiste et directeur de DÉSARTSONNANTS, France.
Vincent Mignerot, chercheur et président de l’association Adrastia, France.
Pierre Ouellet, titulaire de la chaire de recherche du Canada en esthétique et poétique à l’UQÀM.
Christine Palmiéri, artiste et directrice de la revue Archée, Québec.
Slobodan Radosavljevic, artiste (URAV) et professeur en arts médiatique (UQTR), Québec.
Mariza Argonza Rosales, artiste, chercheure et commissaire d’exposition, Mexique-Québec.
Gisèle Trudel, artiste (Aelab) et professeure en arts médiatiques à l’UQÀM, Québec.
Jean Voguet, artiste et directeur du centre d’art Crane lab, France.
Fabien Zocco, artiste, Le Fresnoy, France

Institutions et groupes de recherches

Aelab, Québec.
Association Adrastia, France. 
Centre d’art Crane lab, France.
Centre d’artistes Grave, Québec.
DÉSARTSONNANTS, France.
Festival RAVY, Cameroun.
Groupe Universitaire de Recherche en Arts Visuel (URAV), Québec.
Revue Archée, Québec.
Studio national des arts contemporains, Le Fresnoy, France.
Université de Québec à Montréal (UQÀM), Québec.
Université de Québec à Trois Rivières (UQTR), Québec.

Notes

[1] Citation formulée par Vincent Mignerot, chercheur et président de l’association ADRASTIA en France.

[2] Citation formulée par Mariza Argonza Rosales, artiste, chercheure et commissaire d’exposition.

Bibliographie

– Wireman, Peggy. Partnership for Prosperity. Museums and Economic Development, Washington, American Association of Museums, 1997, p. 98-122.