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L'écologie de l'art

Deux mots hantent notre monde, notre histoire, notre esprit : économieécologie. Un même radical les unit, qui vient du grec ancien oikos désignant « la maison, l’habitat, le milieu en tant qu’il nous est familier, familiale même, dans lequel on se rassemble et se ressemble ». Il est étroitement apparenté au verbe eiko, qui veut dire justement « ressembler, être semblable » – comme l’eikon, l’icône, ressemble à ce qu’elle désigne ou représente – et sa racine indoeuropéenne renvoie à l’idée de « clan », soit à ceux qui habitent sous un même toit. Il ne s’agit donc pas de n’importe quel « environnement » : c’est celui que nous fréquentons, qui nous est proche, tel un abri, une demeure, un foyer. C’est le lieu de notre séjour, qui nous est consubstantiel et immédiat : notre enveloppe, notre seconde peau, ce qui nous entoure, nous protège, nous défend. 

C’est à un tel lieu qu’on associe tantôt la notion de nomos (la loi, l’usage, la norme, les mœurs, l’habitude) tantôt celle de logos(la parole, l’expression, le rapport, la pensée, la connaissance) : il y aurait donc d’un côté les « lois et usages de la maison », qui concernent son maintien, son entretien, sa gestion, son administration, bref, son « économie », et de l’autre l’ « expression » même de ce lieu qu’on habite, ce qu’il nous dit, ce dont il nous parle, ce qu’on en pense, ce qu’on en sait, soit sa manifestation en tant que système de signes et de rapports ou de symboles et de liens qui rassemblent ce qui se ressemble, au sein de quoi nous vivons et survivons, bref, son « écologie ». Ainsi les deux mots, économie et écologie, sont si apparentés l’un à l’autre, par leur commune étymologie, qu’on peut difficilement comprendre qu’ils puissent avoir été séparés pendant si longtemps, au point qu’ils ne cessent aujourd’hui de s’opposer : les lois qui permettent de gérer l’entretien du monde, soit l’Économie, paraissent en effet contredire de plus en plus l’expression ou la parole même du milieu qu’il est, soit l’Écologie, dont le maintien ne dépend pas tant de normes domestiques censées administrer les biens qu’on y trouve que de rapports ou de liens ou encore de signes et de manifestations par lesquels un tel environnement nous parle, nous entretient, notamment de la Vie, de l’Existence, de l’Être, et de sa maintenance, de sa tenue entre nos mains. 

L’écologie n’est pas la « science de l’environnement » – le discours qu’on tient sur lui, le logos proprement humain qui le prend pour objet –, mais la « parole du lieu ou du milieu que nous habitons », la voix de la Nature en tant que telle, dont nous faisons partie, au sein de laquelle notre voix reste faible, souvent amuïe, assourdie, comme le montrent les innombrables et tonitruantes catastrophes qui ébranlent la planète, devant lesquelles nous restons sans voix. Nous n’entendons plus notre milieu, nous n’écoutons plus notre monde, notre voix n’est plus au diapason de celle de cette Nature naturante, qui parle désormais une langue étrangère, avec laquelle nous ne sommes plus familiers, même si l’oikos désignait à l’origine cette « maison familiale » dont nous prenions soin en accordant notre voix à la sienne, en conjuguant nos paroles et nos pensées à celles qu’elle émettait elle-même en se manifestant à nous par des liens étroits, des rapports intimes, nous faisant signe dans l’immédiat, le présent proche, la plus grande proximité.

L’oikos est l’une des manifestations les plus prégnantes de l’Unheimlich, de l’« inquiétante étrangeté », comme on dit, de l’« inquiétude familière » ou, mieux, de la « familiarité avec l’étrange ». C’est le « tout autre » dont on fait un « chez soi », non pas en se l’appropriant, l’accaparant comme on fait des « ressources naturelles » dans l’économie de marché – cet « usage de la maison » qui réduit tout à une marchandise, un bien à échanger, à thésauriser, sur lequel on veut capitaliser, dont on veut tirer profit –, non, mais en se désappropriant, en s’expropriant même, en s’altérant, soit en abandonnant toute forme de propriété personnelle, individuelle, privée, toute propriété strictement humaine, pour être capable d’entendre et de parler cette langue autre dans laquelle s’exprime ce qui nous entoure, avec quoi on ne veut pas seulement dialoguer mais parler en chœur, à l’unisson, d’une seule et même voix, avec ses registres et tessitures si variés qu’on dirait parfois une gigantesque cacophonie. 

Je voudrais évoquer aujourd’hui la manière dont l’eikon ou l’eidolon, l’icône ou l’idole en quoi consiste toute œuvre d’art, participent d’un oikos ou d’un milieu dans lequel le nomos et le logos, soit la loi et la parole, la gestion et l’expression, la maintenance et la manifestation de notre « monde » sont étroitement accordés, au sens musical du terme, même quand on a affaire à des dissonances, à un tintamarre, à un brouhaha. Je vais donc tenter de montrer comment les formes symboliques de l’économie et de l’écologie profondes de notre Temps, en jeu dans les pratiques artistiques d’aujourd’hui, et notamment dans l’art innu qu’on trouve au nord-est du Québec, entre Mashteuiatsh et Betsiamites, soit de la région du Lac Saint-Jean à celle de la basse Côte-Nord, donnent lieu à une autre vision de la « Maison-Monde », comme disent les Premières nations, où les règles et les habitudes d’échange (économiques) sont celles mêmes dans lesquelles notre milieu ou notre habitat (écologiques) nous parlent ou se manifestent, dans une « langue » ou un logos que l’œuvre d’art a pour mission de faire entendre, de répercuter, de réverbérer, sa fonction n’étant pas de représenter la Nature, comme on l’a longtemps cru dans l’Occident européen, mais d’en transmettre l’énergie, la force ou la puissance, d’en emprunter le souffle et de l’insuffler à son tour afin de perpétuer la « vie » dont elle s’inspire en une nouvelle respiration qui nous inspire et nous donne ou redonne vie, fondement premier du cycle par lequel oikologos (écologie) et oikonomos (économie) communient, se recyclant l’un dans l’autre plutôt qu’ils ne s’opposent l’un à l’autre.

Circulation des forces

Arbre-panache, photo de Richard Robertson
Arbre-panache, photo de Richard Robertson

On rencontre parfois, dans la forêt innue, des bois de cervidés pendus aux branches d’un arbre ou gisant au pied d’un tronc, sur le bord d’une rivière qui coule à travers le territoire de chasse : ce ne sont pas des trophées, comme ceux que les chasseurs blancs accrochent sur le capot de leur voiture ou sur un mur de leur salon, au-dessus du foyer, pour exposer leur butin, exhiber leur force prédatrice, mais des vestiges ou des reliques de ce qu’on appelle la Nature naturante, in statu nascendi, à l’état naissant, soit la Vie qui se perpétue, que Giorgio Agamben appelle la Zoè. Ce sont donc des sortes d’ex-voto : non seulement ils commémorent la vie de l’animal qui est passée dans l’homme par l’aliment qui lui a été offert mais ils incarnent aussi une offrande propitiatoire destinée à rendre hommage à la nature et aux dieux de la grâce ainsi obtenue par le don de vie fait au chasseur. 

Don et contre-don, dirait Marcel Mauss rite d’échange dont l’Art, qui est aussi un don, dévoile l’étrange logique, hors de toute économie fondée sur l’appât du gain. On sait que Mauss, dans son Essai sur le don, s’attarde longuement sur un phénomène dont la structure et la dynamique semblent analogues à ceux du mana pour la magie, dont il dit qu’il est une force pleine, sans forme ni fond, une pure contenance sans contenu, une puissance symbolique ou un sens en puissance, que  Lévi-Strauss appellera plus tard un « signifiant flottant », un « symbole vide » ou un « signe zéro », censé désigner qu’il y a de lasignification sans dénoter aucun sens particulier. Il s’agit d’un surcroît de sens qui donne de la valeur à un objet, à une personne, à une parole ou à un lieu, sans qu’on puisse dire exactement de quelle valeur il s’agit, dont le sens nous échappe, se retire, s’efface, comme si l’excès se transformait en manque, le surcroît en retrait, le plein en vide, le pouvoir en une sorte de perte, comme il arrive parfois dans la contemplation esthétique ou l’extase mystique, qui relèvent d’une « plénitude à vide » où l’on est sous l’effet d’une puissance symbolique telle qu’aucun symbole réel ou actuel ne peut l’incarner ou la représenter dans et pour la conscience. 

Le don, chez plusieurs peuples de Mélanésie, mais partout ailleurs aussi, sous divers noms et sous différents aspects, comme chez les Innus ou les  Attikamekws du Québec, semble régi originellement par une sorte de mana qui lui serait propre, que les Maoris appellent quant à eux le hau. Lévi-Strauss en décrit la nature mystérieuse comme « une source d’énergie qui opère la synthèse » entre « donner », « recevoir » et « rendre »1. Mauss écrit quant à lui qu’« on peut […] prouver que dans les choses échangées […] il y a une vertu [au sens étymologique de virtus : une « puissance virtuelle », donc] qui force les dons à circuler, à être donnés, à être rendus2». Comme le mana est une totalité signifiante qui est plus que chacune de ses parties, débordant de la sorte les sens multiples et singuliers qui sont censés la composer, auxquels elle ne se réduit jamais, le hau est une valeur globale, supplémentaire, excédentaire, irréductible aux nombreuses valeurs, extrêmement variées, que peuvent prendre les objets dans tel ou tel échange. Il valorise l’Échange lui-même, le fait de donner, de recevoir et de rendre, conférant ainsi une vertu ou une virtus au phénomène global de la donation, dont l’effet est d’unir en une même « énergie » le donateur, le don et le donataire en un lieu et un temps propices à sa « circulation », soit au « recyclage » permanent en quoi consiste toute économie accordée musicalement à l’écologie qui la sous-tend. 

Dans un tel cycle le hau de la forêt qui « donne » ses proies au chasseur devient le hau du chasseur lorsque celui-ci les « offre » à ses proches ou à un donataire lointain, qui en « reçoit » du même coup le hau, qu’il devra « transmettre » à son tour à un autre destinataire ou, ultimement, « rendre » à la forêt sous forme de libations, d’offrandes, de sacrifices. L’économie symbolique du monde innu, à l’instar du système du don régi par le hau chez les Maoris, repose sur le fait qu’une force secrète, supérieure aux sujets et aux objets, aux proies et aux chasseurs, aux donateurs et aux donataires, pousse chacun à donner ou à rendre ce qu’il reçoit. 

Cette « trans-duction » qui fait revenir à la Nature, par un long effet boomerang, les dons qu’elle émet en dons qu’on lui rend, notamment dans les offrandes que sont les objets rituels de l’art et de la parole, n’est pas sans rappeler la « trans-mission » qu’assurent les « bâtons à message » que les Innus appellent des tshissinuashitakana, dont l’écrivain Joséphine Bacon, qui les compare à des poèmes, dit qu’ils « servaient de points de repère à [s]es grands-parents dans le nutschimit, à l’intérieur des terres », précisant que « les Innus laissaient ces messages visuels sur leur chemin pour informer les autres nomades de leur situation » – ainsi « ils plantaient deux morceaux de bois d’épinette blanche, plus ou moins courts, l’un à l’oblique de l’autre », dans des positions qui pouvaient varier : « un bâton penché très près du sol contre un bâton vertical, par exemple, signifiait la famine, et son orientation désignait, comme une boussole, le territoire où ils se rendaient3». Joséphine Bacon – qu’on appelle aussi Bibitte, déformation de Pipin en  innu-aimun – en conclut que « les arbres ont parlé avant les hommes » et qu’« à travers eux, la parole était toujours en voyage4». L’oikos est logos, voix et verbe, bien avant d’être nomos, règles et lois, et sa façon de s’exprimer, que Bibitte compare au vent qui fait bruisser les feuilles et craquer les branches, est intiment liée au voyage, au nomadisme, au mouvement nécessaire à toute forme d’échanges (entre la nature et soi, entre soi et autrui), qui est toujours une rencontre avec de l’Autre, entraînant un changement de lieu et un changement d’état. 

Ce qui est toujours le cas pour les sociétés de chasseurs du monde innu, dont le territoire est un véritable oiko : un « inconnu familier » dans lequel s’exprime la paradoxale « proximité des lointains », le fait que l’horizon le plus éloigné nous touche au plus près, que le mouvement de la lumière dans les aurores boréales comme celui du vent dans les herbes qu’on foule du pied constituent une véritable niche, une deuxième ou énième peau que Merleau-Ponty appelle la « chair du monde », soit une nichée ou une couvée d’êtres vivants nés et renaissant sans cesse d’une seule et même Nature, où notre être le plus intime se nourrit de ce que l’espace le plus extensible lui fournit, qu’il lui rend en retour dans le don le plus singulier qu’il puisse faire de sa personne dans les œuvres qu’il crée en les lui dédiant, le monde naturel étant le seul et unique destinataire de nos œuvres… par delà ceux et celles à qui elles s’adressent en apparence, qui ne sont appelés ou interpelés dans cette adresse que parce qu’ils participent du vaste milieu qui les dépasse de bord en bord et les traverse de part en part.   

L’art et la poésie innus sont partie prenante de cet oikos et de ce nomos, de cette économie non marchande dans laquelle la Nature, en se « donnant » à profusion, déclenche un contre-don d’images et de paroles qui « donnent » à leur tour – « émettent » et « transmettent », tels des bâtons à message – un surcroît de « sens » ou de « valeur » qui entretient ou décuple le hau ou l’énergie donatrice, le mana de la trans-mission propre aux échanges, la force virtuelle qui régit la « circulation » des dons au sein de l’espace-temps. 

Les œuvres de l’artiste innu Richard Robertson, entre autres, sont des dispositifs porteurs ou transporteurs de hau, qui non seulement font « marcher la parole », la font « voyager », dirait Bibitte Bacon, mais font aussi « circuler les forces » – électrochromatiques, dira Robertson, cosmo-physiques au sens large – grâce auxquelles la parole elle-même, son souffle, son âme, tout comme la vision propre aux images de l’art et le mouvement du corps dansant ou performant ne serait-ce que sa lente déambulation sur le territoire de chasse ou sur n’importe quelle scène du monde, y compris celle de l’art, sont considérés comme de véritables « dons », qui participent tout entiers à la « prise de valeur » du monde comme lieu rituel des échanges non pas strictement économiques mais hautement symboliques qui définissent les rapports de l’homme et de la nature comme réciprocité plus ou moins différée des dons offerts, reçus puis rendus, selon une dynamique qui n’est pas sans lien avec le mode de « trans-mission » propre aux bâtons à message dont les œuvres de Robertson sont des sortes de variantes, comme on peut le voir dans Perdrix un jour, de 2000, ou Culture de l’espace oublié, de 2004, où des dispositifs de points de repère territoriaux permettent de lutter contre l’amnésie de notre temps.

Richard Robertson, Perdrix un jour, 2000
Richard Robertson, Culture de l’espace oublié, 2004
Richard Robertson, Sans titre, 2005

L’une de ses œuvres, justement intitulée Territoire (de 2006), se présente au milieu d’un large sentier comme une sorte de « bâton à message » multiple, à la fois opaque et transparent, au sein d’un bois d’épinettes blanches dont une partie semble détruite. Tendue entre deux troncs d’arbres, tel un collet par un braconnier, en une haute toile ou un large voile ajouré, un rideau à claire-voie, une porte de cordes ou une clôture de fils qui ouvre et ferme en même temps l’accès au territoire, elle prend l’allure d’un gigantesque capteur de rêve ou de mémoire, avec le double motif peint en rouge sur fond blanc puis en blanc sur fond rouge d’une aile et d’un œil rappelant ceux de l’aigle qui veille sur la forêt avec la même vigilance que l’Esprit. 

Richard Robertson, Territoire, 2006

Au moment de l’installation de ce dispositif, l’artiste nous a appris que son territoire de chasse venait d’être saccagé, ravagé et partiellement brûlé par les compagnies forestières qui exploitent les ressources de la région : cette espèce de barrière ailée munie d’un œil immense, tout sanglant d’une nature profondément meurtrie, se dresse dès lors comme un témoin oculaire de la destruction, un gardien permanent du désastre, à l’œil ouvert aussi large qu’une aile sur les menaces d’anéantissement, prêt à fondre comme l’aigle sur les prédateurs les plus puissants plutôt que sur les proies, dorénavant placées sous sa protection. 

Richard Robertson, Au fil du temps, 2006

Une autre installation, intitulée Au fil du temps, réalisée en août 2006 à l’occasion de l’événement Os brûlé organisé à Chicoutimi sur le thème de la scapulomancie5, montre aussi plusieurs fils qui pendent à un double câble tendu entre quatre poteaux, au bout desquels sont attachés des os et des crânes d’animaux tués non par le chasseur innu mais par les incendiaires étrangers : ces ossements témoignent d’un « écocide », d’un crime contre la nature, que l’artiste décrit non seulement comme la surexploitation des ressources forestières par l’industrie papetière omniprésente et omnipuissante au lac Saint-Jean mais aussi et surtout, de manière plus générale et inquiétante, comme l’envahissement du milieu naturel par ceux qu’il appelle « les Géants du temps6», responsables de la massification de l’espace, de la densification de l’univers, qui croule désormais sous son propre poids, s’écrase sur lui-même en une sorte de suicide lent, dont témoigne le saccage des territoires sauvages causé par les « combats de Titans » qu’ils déclenchent, qui ont pour enjeu la possession du plus grand espace dans le plus petit laps de temps possible en provoquant des agissements et des agitations qui bouleversent en profondeur l’état du monde : 

Plus ça bouge et plus il y a de la couleur, de la chaleur, de la pesanteur, écrit l’artiste. Plus le temps coloré peint la vue de surfaces captivantes et passagères. Cependant, ce monde de surfaces colorées obscurcit les clartés qui jadis peuplaient l’imaginaire de la Terre. Il y avait auparavant des êtres de lumière posés à des endroits où l’axe du temps n’avait pas d’emprise. Ces lieux sans couleurs et sans mouvements possédaient une beauté éternelle et universelle. Ces espaces atemporels et mythiques tentaient d’arrêter le géant du temps qui colore l’environnement de teintes artificielles cachant une lourdeur qui accélère le monde et le fait chuter7

Les installations de fils et de cordes que Richard Robertson tend dans la nature sont des pièges à lumière ou des capteurs d’éternité destinés à faire barrière au Temps, aux Géants et aux Titans du « temps accéléré » qu’on appelle l’Histoire, dont la puissance incontrôlable brûle toutes les énergies de la Nature : « la démesure combinée à la vitesse, précise l’artiste, demande beaucoup d’énergie pour arriver à se maintenir active » ; ainsi « la course du géant pour devenir de plus en plus gros provoque chez celui-ci une transformation en une chose immense et dangereuse8», susceptible de tout écraser, de tout compresser, de tout anéantir. C’est une force non seulement déicide et homicide, qui s’attaque au corps de l’Homme et aux Esprits, non seulement « zoocide » et « biocide », puisqu’elle s’en prend aux espèces vivantes et à la source de toute vie, mais aussi « cosmicide » et « physicide », le cosmos et la phusis, l’apparaître et le devenir de la Nature naturante, toujours à l’état naissant, étant désormais menacés d’entrer en agonie puis de tomber dans un long coma dont ils se réveilleront pas.

Richard Robertson explique dans ses mots le fonctionnement symbolique de ses œuvres, qui sont de véritables « rituels » cosmo-physiques où les forces naturelles s’affrontent dans un espace-temps qu’ils cherchent à restituer à son propre être, libéré du devenir destructeur des Géants humains qui veulent se faire toujours plus grands que lui :

Je conçois mes installations à la façon de dispositifs qui travaillent sur le temps, le grand chaos qui vibre et dégage de la chaleur et des couleurs. En s’approchant de plus près de ces dispositifs, on aperçoit des réseaux de droites qui freinent cette excitation électro-chromatique. Ces ensembles de droites parallèles sont séparés au centre pour laisser apparaître des petits êtres de lumière. Ces brides éclairantes sont orientées dans le sens inverse des couleurs du temps qui vibrent. Elles sont là pour ralentir cette excitation électrochromatique qui essaie de sortir du dispositif pour devenir des géants envahissant l’espace alentour. Un milieu envahi par les géants du temps qui ont laissé leurs traces dévastatrices. Le fait d’être en présence de cette œuvre, de ce dispositif à ralentir le temps, aide l’humain à prendre conscience de ces petits espaces de clarté qui servent à inverser la tendance lourde qui est de toujours agir en grand9

Ces dispositifs de fils et de cordes tendus entre les arbres ou les bouts de bois au sein d’une nature accidentée sont analogues aux bâtons à message dont parle Joséphine Bacon : ils « orientent » et « font apparaître »… Ce sont des émissaires, des transmetteurs, qui « captent » puis « renvoient » des « petits êtres de lumières », des « petits espaces de clarté » qui nous permettent de nous « diriger », non seulement dans le monde physique, mais dans le monde éthique aussi bien, qui est la rencontre d’un univers mythique et d’une expérience esthétique culminant dans des « rites de vie » où nous ne sommes plus enfermés en nous, dans notre identité séparée, mais littéralement plongés dans cette « clarté où l’éternité a enfin retrouvé sa juste place dans le monde tourmenté et possédé par le temps accéléré, coloré, massif10», comme l’écrit Robertson, faisant ainsi écho à l’un des bâtons poétiques de Bibitte Bacon :

Le dos courbé
tu traverses les temps

[…]
que demain, hier
soient maintenant

ton pas léger
soulève l’espoir

un chant se fige
dans ta mémoire

tu deviens l’ancêtre 
de tes ancêtres11.

Pour devenir l’ancêtre de ses ancêtres et pouvoir dire : « Rêve parallèle / à ma vie, / mon réveil te ressemble // je t’ai vécu / avant de te vivre12 »… il faut non seulement « ralentir » ou « freiner » le temps accéléré de l’histoire humaine, comme l’écrit Richard Robertson, mais, plus radicalement encore, « s’orienter dans le sens inverse des lourdeurs du temps », « inveser la tendance lourde » qui est d’aller toujours plus vite et de faire toujours plus grand. Il faut renverser le temps humain, trophumain, au profit du temps cosmique, mythique, grâce aux dispositifs totémiques et aux bâtons poétiques, capteurs et émetteurs d’éternité en miniature, de petits espaces de clarté ou de petits êtres lumineux qui font apparaître la légèreté, l’âme, l’esprit, l’aigle en vol, l’onde, le souffle, le vent caressant les mousses et les lichens, au lieu qu’on y enfonce un pas toujours trop lourd pour notre Terre, qui n’est jamais que du ciel plus sombre, du ciel tombé plus bas. 

Les mots du poème et les images de l’art, à l’instar des tshissinuashitakana, doivent réintégrer la nature, à laquelle il faut qu’ils s’assimilent ou s’intériorisent, au point de devenir ses voies de circulation les plus secrètes, ses points de repère et ses lignes de fuite les plus sacrés, son système d’orientation plus ou moins occulte grâce auquel nous pouvons suivre la route des esprits ou la piste des ancêtres sans nous égarer, bref, les lignes de transmission quasi invisibles qui tiennent les lieux et les moments du monde en un seul et même « tout » : les paroles et les visions n’existent pas au-dessus de nous, dans une sorte de sur-réalité, qui se superposerait au réel proprement dit, mais au sein même de la nature, qui est sur-naturelle « par nature », si je puis dire, de manière inhérente et immanente, intrinsèque. C’est pourquoi Bibitte Bacon plante ses bâtons de poèmes dans l’espace et dans le temps de la mémoire et des rêves, et pas seulement sur la page du livre où on peut les lire : elle crée ainsi un véritable « rituel » de la parole où l’on circule de vers en vers, de strophe en strophe, comme au sein d’une forêt de signes où tel mot est une branche brisée, telle phrase un bout de bois penché, grâce auxquels l’on peut s’orienter dans ce territoire de chasse qu’est sa propre vie.

L’art comme talisman

Eruoma Awashish, La danse du soleil, détail, 2008

Eruoma Awashish est une artiste d’origine attikamekw qui vit en territoire innu, à Mashteuiatsh, tout comme Richard Robertson. Elle aussi utilise les bois de cervidés comme « bâtons à message » dérivés… pour « émettre » ou « transmettre » le hau, la vertu ou la force virtuelle propre à la forêt comme don premier, donation permanente, donnée sans cesse donnante – « nature naturante », éternellement naissante –, c’est-à-dire comme présent ou offrande qui doit lui être ultimement rendu pour que la « vie » continue. Les bois de cerfs, comme les ailes d’aigles qu’elle utilise également, ne sont pas seulement des vestiges momifiés ou naturalisés de la vie animale, dont la forêt tire sa vitalité, assurant grâce à elle la perpétuation du cycle de la prédation nécessaire à sa reproduction : ils sont aussi des talismans, que les Grecs appelaient telesma, du mot telos qui veut dire fin, finalité, achèvement, accomplissement, effet ultime, comme dans téléologie, « la science des fins dernières ou de la finalité de la vie », mais qui signifie aussi la distance et l’éloignement comme dans télégraphie ou télépathie, deux modes de « transmission à distance ».

Portrait d’artiste – Eruoma Awashish

Le mot telesma était utilisé à la fois pour parler d’un rite religieux censé évoquer et conjurer la finitude ou la finalité de l’être humain et pour désigner le don en retour que chaque citoyen devait au souverain ou aux maîtres de la cité sous forme d’impôts ou de redevances. Le mot talisman, qui en dérive, a gardé une partie de ce sens : c’est « un objet sur lequel sont gravés ou inscrits des signes consacrés, auquel on attribue des vertus magiques de protection, des effets souverains », comme disent les dictionnaires, montrant par là le lien secret qui unit le hau propre au don et le mana propre au symbole, tous deux soumis au fait que l’objet ritualisé en quoi consiste l’œuvre d’art, au même titre que l’amulette ou le fétiche, n’acquiert son pouvoir, sa puissance d’effectuation, ses vertus protectrices – auxquels les grands totems des Indiens de la Côte ouest du Canada sont notamment dédiés – que par sa finalité dernière, son telos ultime, qui est de rendre en une redevance infinie, plus proche de l’offrande, du sacrifice, de la dépense ou du potlatch que de l’impôt proprement dit, ce qu’il a reçu à l’origine de la Nature donatrice à laquelle il appartient. 

Comme le bâton à message qui émet à travers le temps et l’espace les points de repère permettant de s’orienter dans la forêt – ayant en tête le but rêvé du voyage, sa finalité, son telos comme « fin », et l’origine sans cesse rappelée du nomadisme, soit la piste des ancêtres ou les causes premières de tout voyage, le telos comme « distance sacrée » –, les performances et les installations rituelles d’Eruoma Awashish sont des telesmata permettant de franchir et de s’affranchir des espaces infinis, des distances secrètes qui nous séparent du monde sacré des origines et des fins, des dons premiers et des ultimes contre-dons, des données naturelles et des dettes symboliques que les offrandes, les sacrifices ou les redevances artistiques remboursent au-delà de toutes valeurs attribuables, de toutes sommes quantifiables. 

Dans une de ses œuvres (exposées à l’automne 2009 au Musée de Mashteuiatsh sous le titre général de La danse du soleil), on trouve un grand bois de cerf placé à l’extrême gauche d’un long tableau horizontal peint presque uniformément en brun, de la couleur du panache de l’animal, mais par larges touches qui évoquent le mouvement et la matière du ciel et de la terre, en même temps que le geste et la main de l’artiste, en un vaste champ monochrome coupé en deux, dans le dernier quart de l’œuvre, autrement vide de toute figure. Ce panache est pour l’Innu un signe souverain, protecteur, dans laquelle la bête survit à elle-même – comme l’épinette blanche dans la branche qu’on penche, rompt ou croise, devenue tshissinuashitakana – et grâce auquel son esprit ou sa « parole » s’exprime au-delà de son être. La vie et mort s’y raboutent symboliquement, si je puis dire : le bois totémique ou le chef talismanique dans lequel l’animal devient éternel, plus que vivant, presque divin – Atikuapeu, « Homme-caribou », ou Papakassik, « Maître du caribou », dirait Bibitte Bacon13, bois à message transmettant une force séculaire, dépositaire de la Puissance, porteur de la Valeur, ambassadeur de l’Esprit –, « ouvre » le champ de vision, amorce le balayage de l’espace, où l’on ne rencontre rien d’autre que l’infini et son insondable profondeur de champ, sinon une faille ou une cassure dans la continuité qui montre qu’une frontière existe, une limite persiste, mais que le regard peut franchir ou transgresser, poursuivant son voyage au-delà des fins… Comme si la figure tutélaire du bois de cerf ou de caribou, à l’image du sentier des ancêtres dans le poème de Joséphine Bacon, portait le hau ou le mana au sens fort, soit la valeur primordiale ou le signifiant flottant qui est la force grâce à laquelle « les paroles marchent » sans arrêt et les « dons circulent » sans interruption dans un monde à la fois naturel et sur-naturel où les mots et les images sont entre les êtres, parmi eux, au cœur d’une seule et même forêt dans laquelle chaque tronc, chaque branche et chaque brindille est un bâton à message virtuel qui a pour mission ou pour vertu d’émettre et de transmettre partout sur la planète pour qu’on puisse y errer en toute liberté, comme les souffles et les esprits, sans se perdre ou s’égarer.

Eruoma Awashish, Manto, 2006

C’est ce qu’on peut voir également dans une autre œuvre d’Eruoma Awashish, intitulée Manto, de 2006, où un grand manteau de chamane, vide de tout corps réel, présent, actuel, veille tel un revenant ou un fantôme lumineux mais sanglant sur tout un peuple de crânes d’animaux, qui s’étendent à ses pieds en cercles concentriques selon un axe ou un vecteur qui va vers l’extérieur, l’horizon, l’ailleurs, mais dans l’ombre ou sous la lumière doublement protectrice du grand poncho qui flotte, sans forme ni fond, doué d’une puissance sourde, d’une énergie, d’une vertu, d’une force virtuelle qu’il leur transmet jusque par delà les limites de la mort, les frontières de la finitude, le seuil du possible, pour une « transhumance » qui n’aura pas de fin, un « voyage de l’âme ou de la parole » qui ne connaîtra pas de clôture, parce qu’un tel nomadisme propre à la vie ne consiste pas à aller d’un point à un autre mais à emprunter le grand arc de cercle de la donation où tout passe de main en main pour revenir à son point de départ, là d’où « part » à nouveau la « mission » propre au « message » qui va d’être en être, d’arbre en arbre, de bâton en bâton, mais aussi d’œuvre en œuvre et de poème en poème, cette mission étant d’« émettre » et de « remettre » sans arrêt, sans se démettre jamais, comme le souligne d’ailleurs la présence du tambour sacré ou du Teueikanentre les pans du grand  Manitu-manto, qui continue de battre au cœur de la forêt même après les grands saccages ou les grands massacres.

Eruoma Awashish, Sans titre
Eruoma Awashish, Sans titre (détail)

Voilà une sorte de rituel figé dans un moment du temps « ralenti » à l’extrême, un « arrêt sur image » où l’on peut voir, comme dans Takwakin, de 2008, et plusieurs autres œuvres, que la figure totémique du crâne, de l’aile ou du panache, qui renvoie à une « animalité » non corruptible, à la « vie » non putrescible, proche du « divin » ou de l’« esprit », puisque l’os, le bois, la plume ne périssent pas au même titre que la chair – semblables en cela aux branches d’épinettes blanches qu’on rompt, plie, croise pour en faire de petits totems sémiotiques ou des bâtons à message –, bref, que la relique talismanique des proies que le chasseur a prélevées pour sa survie parmi les dons multiples que la forêt lui offre ne constitue pas seulement un motif ou un vague symbole dans l’univers artistique des Innus ou des Attikamekws, mais de véritables relais de transmission de la vie elle-même, de l’énergie réunie du hau et du mana qui régit la « circulation » des dons ou des donations, bien plus que des « données ».

Eruoma Awashish, Cycle, 2008
Eruoma Awashish, Cycle, 2008

C’est ce à quoi l’art participe au même titre que les rites et les mythes d’autrefois, comme le montre une autre œuvre d’Eruoma Awashish, de 2009, où l’on voit sortir de la poitrine d’un chasseur-chamane – paré d’une auréole et d’une plume d’aigle sur la tête, d’un œil béant ou d’une blessure large ouverte sur le cœur, en un mélange flagrant d’animisme et de christianisme, qu’accentuent ses bras en croix et le pagne qui lui ceinture les reins –, où l’on voit partir, dis-je, des pectoraux doublement incisés du personnage, deux paires de fils rouges qu’on retrouve ensuite dans l’espace tridimensionnel de l’installation, où trois crânes de vaches sont reliés entre eux par des cordons du même rouge, qui sont autant de veines ou d’artères permettant la libre circulation du sang, de l’énergie ou du vivant entre l’homme, les dieux et les bêtes, qui forment une seule et même Nature, traversée toute par l’esprit voyageur qui l’anime et la transmute en « parole qui marche », comme dit Joséphine Bacon, dont la longue ligne de « bâtons à message » plantés dans l’espace-temps migrateur qu’est notre arrière-pays secret, notre nutshimit profond, l’intérieur sacré ou le cœur battant de nos terres, se clôt brusquement par ce petit piquet de mots :

Quand une parole est offerte
elle ne meurt jamais.

Ceux qui viendront
l’entendront14.

Eruoma Awashish, Fatalité, 2012
Eruoma Awashish, Kakakew (le messager), 2014
Eruoma Awashish, Cycle II, 2012

L’art « panneaux de signalisation »

Nous entendons encore cette offrande parlante même si elle se donne sous une autre forme sur la route partout déroutée et déroutante que nous empruntons de nos jours, qui n’a plus rien à voir avec le sentier innu bordé de bâtons à message ni avec le chemin de croix qu’aura frayé la religion au travers des siècles : c’est un écho, une rumeur, une vague réverbération qui ressemble au bruit de la mer que nous entendons, en une sorte d’hallucination auditive, dans les coquillages vides et par conséquent morts que nous portons à notre oreille pour y sentir la présence vivante des grandes marées, des vagues et du ressac, des flux et des reflux, et qui s’avère un rêve ou un souvenir, un fantasme ou un regret, un désir ou une nostalgie, jamais une présence ou un présent proprement dits.

Les poèmes et les œuvres d’art, toutefois, sont nos petites croix et nos bâtons à message sur l’itinéraire complexe et souvent trompeur que nous traçons sur les cartes imaginaires de notre monde et de notre histoire, où ils nous servent d’antennes et de poteaux indicateurs, de bornes kilométriques et de panneaux de signalisation, de rambardes, de parapets, de feux de circulation, de poteaux d’angle, de balises de détresses aussi, et de signaux d’alarme. Ils ponctuent notre existence de signes énigmatiques qui ne renvoient qu’à l’Énigme elle-même. Leur fonction n’est pas tant de l’élucider que de soulever – et de nous soulever avec, sans doute – l’insoluble question du Mystère de l’incarnation par lequel nous sommes en Vie dans la Parole et en Parole dans la Vie… de la même façon que le souffle est dans l’arbre et l’arbre est dans le souffle ou l’Innu porte le Manto-Manitu qui le porte à son tour, aucun n’Esprit ne pouvant exister sans s’incarner dans la chair parlante et aucune Vie ne pouvant subsister sans s’excarner dans le grand respir de l’âme qui l’emporte et la transporte toujours au-delà, dans le grand nutschimit de l’Homme, son territoire de chasse spirituel le plus vaste et le plus giboyeux, son « arrière-pays » de cocagne qui n’est ni Éden ni Hadès mais ce monde de souffles et d’airs que les voix et les visions les plus vives créent et recréent dans son esprit et dans sa chair comme si c’était la source même de son être et la mer sans fin où elle se déverse. 

Économie bleu, dit-on, écologie transparente, diaphane, translucide, pourrait-on ajouter avec les artistes innus : un monde d’échanges et de rechanges permanents, en constante régénérescence, dénué de toute opacité, de toute lourdeur, où chaque obstacle serait levé comme on lève une oie, une outarde, non pas pour l’éliminer mais pour contempler sur le fond du ciel sans fin l’arc de cercle de son envol… Voilà l’ultime visée de l’art au sens d’ars, mode de vie, manière d’être, mœurs et usages, où habitudes et habitats s’accordent comme le verbe au sujet ou le do majeur au ré mineur en un air commun ou une chair commune, bien plus qu’en un simple « sens commun », c’est-à-dire en un oikos partagé qui constitue à la fois l’air qu’on chante et qu’on respire, l’atmosphère dans laquelle on vit et crée, survit et se recrée, le corps d’échanges et de rechanges au sein duquel nous nous donnons naissance à tout moment, en accord profond avec cette Nature naturante à laquelle nous appartenons bien plus que nous ne la posséderons jamais.

Notes

[1] Claude Lévi-Strauss, « Introduction à l’œuvre de Marcel Mauss » dans Marcel Mauss, Sociologie et anthropologie, Paris, PUF, 1950, p. XXXVIII. (C’est moi qui souligne.)

[2] Cité par Lévi-Strauss, op. cit, p. XXXVIII. (C’est moi qui souligne.)

[3] Joséphine Bacon, Bâtons à message / Tshissinashitakana, Montréal, Mémoire d’encrier, 2009, p. 7.

[4] Ibid.

[5] L’événement Os brûlé a été organisé par Michaël La Chance et Cindy Dumais à la Vie