Aller au contenu
Cyberthéorie

Edmond Couchot. La technologie dans l'art

Un compte rendu du livre d’Edmond Couchot. La technologie dans l’art : De la photographie à la réalité virtuelle, Éditions Jacqueline Chambon, 1998, 269 p.

Si l’art contemporain accorde une grande valeur à la photographie, la reproduction mécanisée du réel dérangea profondément la relation à la peinture. Cet inconfort persistant entre l’art et la technologie a aussi eu pour effet d’en occulter les enchevêtrements. En effet, l’histoire de l’art oeuvre en marge d’une interrogation systématique relativement à l’impact des technologies sur nos modes de perception. À l’instar d’Edmond Couchot, il faut bien reconnaître que les 19eet 20e siècles cultivent d’abondance le monde artificiel des machines et des technologies scientifiques. En quoi l’art y aurait-il échappé? Edmond Couchot pousse dans cette direction et sa réflexion, autant éprise d’histoire de l’art que de technologie, nous convie ardemment à revisiter les idées établies.

Le livre est construit à l’image de la relation parallèle entre l’histoire de l’art et la technologie. Une première partie, dense et riche d’avenues exploratoires, revoit l’histoire moderne de l’art (depuis la photographie) sous l’angle de la pression technesthésique. La vie artificielle, en s’infiltrant profondément dans nos moeurs, change significativement les perceptions et amène un déplacement marqué de la subjectivité. Impressionnisme, fauvisme, cubisme, abstraction, etc., ne seraient que des facettes d’un nouveau rapport entre le Je et le On. 

D’un système de représentation (mimésis) désormais uniformisé par la photographie, le cinéma et la télévision, l’art visuel passe à un système de présentation et même de surprésentation. À titre d’exemple, le cubisme introduit des objets réels sur la surface peinte (présentation), Duchamp propose ses ready-made, Rauschenberg crée ses Combine Painting (suprésentation), Leo Steinberg introduit la notion de « Flat Bed » et ainsi de suite jusqu’au happening et à l’installation. Les raisonnements développés par l’auteur pour chacun de ces mouvements sont autant de pistes fécondes et convaincantes. Il offre un tableau concis des liens étroits entre l’histoire de l’art, la perception et le développement technologique. Cette première partie vaut le livre à elle seule.

La deuxième partie s’intéresse plus spécifiquement à l’art numérique. Dans le prolongement de ce regard lucide qui nuance et complexifie les rapports entre l’art, l’esthétique, la science et la technologie, Couchot nous introduit au monde et à l’histoire de la technoscience. De la représentation à la présentation et la surprésentation, nous passons à la simulation, du sujet regardant nous sommes conduits à la consultation interactive. Les modes réel, artificiel et virtuel s’interpénètrent dans un dialogisme propre à la cybernétique. 

L’hybridation active entre l’énonciation, la transmission et la réception change dès lors nos rapports à l’oeuvre. Le numérique étant  » un consommateur insatiable de modèles de simulation  » (p. 161), les types d’accès au contenu de l’oeuvre numérique vont de l’interaction à la plongée dans l’image, de la rencontre d’êtres virtuels à la construction en réseau et à l’interréseau. Les exemples et les descriptions d’oeuvres sont nombreuses. Las Meninas de Michael Tolson par exemple, tout en s’inspirant du tableau de Velasquez, utilise un programme informatique qui combine les modèles des réseaux neuronaux et des algorithmes génétiques.

Le sujet interfacé devient ainsi une nouvelle figure de la subjectivité. Une subjectivité qui s’installe directement dans le prolongement des déplacements initiaux provoqués, entre autres, par l’avènement de la photographie. Le numérique, pour Couchot, réalise enfin le désir moderne de l’intersubjectivité, à la croisée du réel et du virtuel.