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Entretiens

Une entrevue avec Anne-Marie Morice

Veuillez prendre note que cette entrevue conjugue un compte rendu et des citations, celles-ci seront entre parenthèses.

Présentation

Le premier numéro de Synesthésie a paru sur le site Babelweb, les numéros 2, 3, 4 et 5 ont été hébergés par le CICV de Pierre Shaeffer de 1995 à 1997. Ce dernier produisait les pages HTML alors que Synethésie fournissait le contenu : textes, photos, sons, etc. La revue électronique Synesthésie est maintenant étroitement associée au Métafort d’Aubervilliers, un organisme subventionné, et Synesthésie agit comme éditeur de contenus artistiques pour le Métafort. L’an prochain le Métafort entreprendra un volet d’aide à la création de sites.

Question: La revue Synesthésie propose deux sections principales : l’Actualité (Dernières nouvelles choisies du monde de l’art) et la Revue (Réflexions, créations sur un thème), mais elle crée aussi des événements réels. Quels liens établissez-vous entre ces deux activités?

« C’est une bonne question, c’est une question de fond. » Le contenu de Synesthésie propose en fait plus d’événements réels que d’événements sur le Web. « En France les gens ne sont pas très connectés à Internet et on est obligé de faire sans arrêt des événements ou de participer à des événements pour qu’ils comprennent ce qu’on fait… »

Les pages Web sont projetées sur de grands écrans et on en fait la promotion. Des ordinateurs sont installés sur place lors de certains événements afin de familiariser les artistes et les amateurs d’art contemporain, des animateurs se chargent d’initier les néophytes.

« Ce ne sont pas des artistes qui proposent des sites qu’ils ont faits, c’est nous qui produisons. » L’ordinateur est inexploré par de très nombreux artistes.

La dernière édition de Synesthésie (n°7) rassemble créations et réflexions autour du thème « Transsensorialités ». Ce numéro regroupe de nombreuses contributions dont celles Louise Poissant et de René Viau. Quelle est la participation de ces deux Québécois dans le cadre de votre dernière édition?

René Viau participe à Synesthésie depuis le numéro 4, il fait d’ailleurs partie du comité éditorial et il représente principalement le point de vue québécois et canadien de l’art contemporain.

Louise Poissant, reconnaissant qu’elle fait autorité en matière d’art médiatique, Synesthésie a reproduit (avec l’autorisation de L. Poissant) un texte publié dans Libération.

Le Métafort a pour vocation de rapprocher les disciplines culturelles, artistiques, technologiques, industrielles et sociales par l’emploi des nouvelles technologies. Il s’agit à la lecture de cette énumération d’un projet ambitieux, croyez-vous que les artistes sont nombreux à concevoir une telle ampleur à leur projet personnel ou commun?

« Il s’agit de pouvoir mettre en relation dans un espace physique qu’est le Métafort, des gens qui travaillent d’un point de vue artistique, sociétal, entrepreneurial…Une volonté d’interdisciplinarité, d’échanges…. ». « Il y a une tendance très forte actuellement dans l’art contemporain, justement à chercher d’autres publics…d’aller sur d’autres terrains. »

Quelles sont les tendances que vous pouvez repérer dans les sites sélectionnés par Synesthésie?

Aucune, sinon un ensemble diversifié d’actions artistiques allant de la monographie (ex. Stelarc) au médium Internet, à l’infographie, au hacker (Jodi), oeuvres collectives, interactives (Malaterre), narration, automatisme,… 

Vous avez tenté une expérience critique sur le Web dans laquelle le projet de l’artiste est intimement associé aux propos du critique? Quelle est, selon vous, la part du critique dans la compréhension des valeurs de représentation à l’égard des nouvelles technologies? 

L’oeuvre de l’artiste résiste-t-elle à son intégration au Web, serait une des questions prioritaires. Droits d’auteur, marché, interactivité orientent par la suite la sélection. « On se place vraiment dans la dimension du médium. » Par ailleurs, les artistes voulant sortir des balises habituelles, n’ont pas à médiatiser leurs oeuvres, c’est plutôt le travail de Synesthésie. De plus, Synesthésie développe des projets inédits avec des personnes qui ne sont pas familières avec le milieu de l’art contemporain. Ex. : un neuropsychiatre présente le cas d’une patiente qui souffre d’hallucinations visuelles, le Web sert alors de lieu de communication scientifique tout en permettant la simulation numérique de ces hallucinations.

Votre présentation de l’artiste Franck David est très ingénieuse. Ce système de thèmes interactifs englobe, dans une interface unique, votre analyse et les oeuvres de l’artiste. Il me semble que ce soit là un mode critique relativement inédit. Nous ne pouvons par contre déceler dans quelle mesure cet artiste se prêtait admirablement à cet exercice ou si votre intention est de développer cette interactivité critique basée sur le Web, cela questionne directement la distance entre l’objet créé par l’artiste et l’objet créé par le critique. Quelle est votre vision du cyberespace critique? Est-ce que cet amalgame interfacé postule la création d’un nouvel ordre esthétique?

« Oui, c’est vrai que le recul du critique est mis en question. J’ai plutôt une démarche créative par rapport à la critique… accompagner le processus de création plutôt que de le catégoriser dans des catégories esthétiques prédéterminées. »… « Les artistes ont besoin d’une forme d’interactivité ». « L’histoire est actuellement dans une phase complexe, confuse, de transition, on a envie de revisiter des notions mal digérées. »

Si la consultation interactive et l’esprit multimédia en venaient véritablement à fonder une nouvelle forme d’apprentissage et de communication ainsi qu’une nouvelle forme d’esthétique, croyez-vous que l’art contemporain, tel qu’on le connaît actuellement, serait relégué à un art individualiste ?

« Je ne suis pas d’accord, il y a une espèce de croisement entre l’art contemporain et puis un processus artistique qui peut naître avec ces nouveaux outils…L’histoire de l’art depuis cent ans amènerait plutôt à des attitudes artistiques nouvelles qui seraient mûres pour ces nouveaux outils. Il y a énormément d’événements artistiques en ce moment où il n’y a plus d’objet, …corpus de données, etc., l’art contemporain est aussi dans cette instabilité, il n’est plus tellement sur l’objet… C’est très dangereux de séparer le Web de l’art contemporain institutionnel, cela pourrait engendrer un nouvel académisme… »