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Cyberculture

L'encyclopédisme nouvelle vague

Britannica Online

Britannica Online créait récemment un précédent inouï. L’encyclopédie, financièrement moribonde ces dernières années, reprend du service et de l’éclat dans la gratuité du cyberespace. En transigeant sa valeur exclusive pour une accessibilité totale et générale, Britannica exemplifie singulièrement le nouvel espace électronique du savoir.

De prime abord, reconnaissons que la démonstration n’est plus à faire, l’être encyclopédique, l’individu du tout savoir, n’existe pas et n’a vraisemblablement jamais existé. À ce titre, les premiers encyclopédistes que sont Diderot et D’Alembert nous apparaissent maintenant comme des êtres intuitifs ayant misé sur le livre comme support absolu, plus qu’ils n’étaient eux-mêmes des savants universels. En effet, sans l’existence de Gutenberg, ce projet encyclopédique n’aurait pas eu droit de cité, le média (le livre) et le contenu sont intimement liés dans l’idée même de la bible du savoir. Agnès Touraine, directrice générale aux éditions Havas, affirme aujourd’hui que « la filiation unique entre édition et papier datant de Gutenberg est révolue : les ouvrages peuvent être accessibles sur PC, CD-Rom, par téléchargement sur l’Internet et même par téléphone » (Libération, 12 novembre 1999). De plus, le livre est un objet reproductible et commercialisable, alors qu’Internet ne l’est pas. L’Internet est un milieu, une zone d’échanges, un flux. L’encyclopédie sur papier s’apparente, dans ce nouveau contexte, à un condensé baroque quasi fantastique, elle présente un air d’utopie. En outre, la curiosité générale en tant que telle surclasse largement la capacité d’une encyclopédie à répondre aux questionnements de tout un chacun. En somme, dans un univers complexifié par les échanges électroniques, ceux qui questionnent l’emportent sur ceux qui proposent des réponses, la proposition classique du savoir s’inverse.

C’est ce que la compagnie Britannica a compris, elle qui aura connu les deux faces de l’encyclopédisme, et c’est ce que la version Web met en pratique (avec pas moins de 100 millions de pages Web). Il faut comprendre ici que l’entreprise n’avait pas le choix, c’était la mort ou la gratuité de la consultation. Une manifestation de ce que certains appellent le cybercommunisme. L’objet disparaît pour laisser place à un échange d’informations dont tous les partenaires devraient se satisfaire.

L’encyclopédie, ne suffisant plus aux besoins actuels en tant qu’objet universel de la connaissance, réoriente donc son potentiel commercial en misant sur la qualité de ses informations et de ses données, et ce, dans un environnement électronique actualisé. Apprenez vite l’anglais si vous désirez profiter pleinement de cette manne ou attendons voir si l’encyclopédie française Universalis suivra sa consoeur britannique, celle-là ayant une réputation plus reconnue du point de vue scientifique.

L’art Web a aussi son créneau sur Britannica Online sous la chaîne Arts > Visual Arts > Web Art. Cette dernière présente une classification de sites anglophones cotés de 1 à 5, du site « digne d’intérêt » au « meilleur », dont certains ont aussi fait l’objet d’un commentaire sur Archée comme « äda’web » et « Beyond Interface (Steve Dietz) ». La section Web Art s’accompagne de deux sous-catégories : Artists et Projects. Une cinquantaine d’artistes y sont cotés, si l’artiste est présent sur plusieurs sites, ces derniers sont évalués et succinctement décrits. Dans la section Projects, on compte environ 80 titres reflétant la diversité des approches rencontrées sur le Web. Ces pages sont des répertoires, comme c’est la coutume sur Internet, donc aucune possibilité de recherche précise à l’intérieur de ceux-ci. Il faut s’y aventurer à l’aveugle, si aucune intention de recherche ne nous y prédispose.

Britannica Online, délestée de sa contrainte matérielle, devient une ressource légère et flexible pour le bien commun des internautes. De masse inerte, elle devient interactive. Étrange communisme de la libre et profitable circulation de l’information. On comprend, par cette volte-face radicale du plan de marketing, que la potentialité du Web encourage des attitudes commerciales autrefois foncièrement impensables.

Mais, malgré sa richesse, l’encyclopédie ne peut plus se targuer d’être exhaustive. Désormais, l’actualité est un fait informationnel incontournable, la pérennisation des données ne possède plus le monopole des vérités. En a-t-il déjà été autrement? Quoiqu’il en soit, la dimension dynamique de l’actualité brouille à sa façon les savoirs fixes.

À l’inverse, l’actualisation ne remplace pas le savoir au sens large. Si les médias créent la dimension électronique de la surprésentation, c’est-à-dire qu’ils présentent et rendent réel à la fois (Couchot, sur Archée), ils ne créent pas cependant l’histoire en son entier. L’encyclopédie se voit dès lors affublée d’une autorité historique et épistémologique auparavant moins reconnue. Avant, on insistait sur l’aspect moderne et contemporain de l’encyclopédie plutôt que sur ses dimensions proprement historiques.

La rapidité des développements de la société de l’information et l’essor de l’accessibilité, nous permettent de prendre conscience des changements en temps quasi réel. Et non seulement en tant que témoin, mais surtout sur le plan sensible des transformations perceptuelles que ces changements suscitent. Incommodes pour certains, excitantes pour d’autres, ces transitions instantanées virtualisent notre relation au monde par l’effet d’une rétroaction (cybernétique) envers nos habitudes de vie. La virtualité devient ainsi notre nouvel espace philosophique, notre place publique.

L’encyclopédisme et les nouveaux médias

Le Dictionnaire des arts médiatiques

Qu’en est-il de la fabuleuse aventure de l’encyclopédie dans le monde des nouveaux médias et sur le Web? Nous ne sommes pas totalement en reste. Deux projets retiennent notre attention : le Dictionnaire des arts médiatiques et L’Encyclopédie Nouveaux Médias. Archée présente le Dictionnaire des arts médiatiques et son contenu encyclopédique. Il demeure un ouvrage incontournable tant par la profondeur de ses ressources que par sa gratuité en ligne. Toutefois, la présentation imite principalement celle d’un dictionnaire, ce qui laisse moins de latitude en ce qui a trait aux possibilités de requêtes. Les lettres et les termes référencés ne sont de bons indicateurs que si vous avez déjà des notions ou des noms en perspective. L’abécédaire n’est pas un outil pédagogique très performant comparé à l’encyclopédie. Le Dictionnaire des arts médiatiques demeure tout de même une ressource première dans le domaine des nouveaux médias. L’accès aux informations est rendu disponible à l’aide de listes regroupant :

  • les termes 
  • les illustrations 
  • les oeuvres 
  • les commentaires et 
  • les références 

Le GRAM (Groupe de recherche en arts médiatiques, Université du Québec à Montréal), à l’origine de ce dictionnaire, a reçu l’appui de la Fondation Daniel Langlois pour sa traduction et pour le développement de sa version en ligne. La version anglaise du dictionnaire sera hébergée par le MIT (Massachusetts Institue of Technology) et devrait être en ligne au printemps de l’an 2000. Par ailleurs, la revue Leonardo publiera le dictionnaire en format papier par tranches successives et par sous-thèmes sur une période de trois ans à compter de l’an prochain.

L’Encyclopédie Nouveaux Médias

L’Encyclopédie Nouveaux Médias, pour sa part, comble un besoin. Elle permet en effet de se familiariser avec les nouvelles approches artistiques à l’aide d’une constellation interactive de faits historiques, de notions et d’artistes. Née de l’initiative du Centre Georges Pompidou, du Museum Ludwig et du Centre pour l’image contemporaine Saint-Gervais Genève, cette encyclopédie prend depuis peu son envol sur Internet et le projet nous paraît très prometteur. Les principaux chapitres seront en place d’ici le 24 décembre 1999 et l’ensemble sera achevé dans le courant de l’an 2000. Participent aussi à la réalisation de ce projet : Constant vzw (vereniging voor kunst en media, Bruxelles), l’AFAA (Association Française d’Action Artistique, Paris) et la Commission Européenne (DG X).

L’Encyclopédie Nouveaux Médias comprend un abécédaire des artistes et des oeuvres ainsi qu’un glossaire, une section de repères historiques et une bibliographie générale. Les sections comportent divers degrés d’organisation en hyperliens. Par exemple, la bibliographie est purement livresque alors que les repères historiques contiennent des surplus d’informations (en fenêtres détachées).

Une de ses principales qualités tient à son regard historique transcontinental. On aurait pu effectivement croire à l’eurocentrisme d’un tel projet, mais ce n’est pas le cas. De plus, l’orientation encyclopédique nous préserve d’un catalogage pur et simple, souvent fastidieux d’approche et sans vie interactive.

La section « Repères historiques » rassemble les artistes et les réseaux en provenance de lieux multiples pour autant de grands centres urbains à travers le monde. Si, au siècle dernier, les grandes villes formaient des niches exceptionnelles pour la créativité, aujourd’hui les réseaux occupent cette fonction. De nos jours, les villes accueillent ponctuellement et de façon alternée les événements culturels dans un esprit de mouvance. Les « Repères historiques » proposent un découpage en décennies, et ce, depuis les années 1950. Rappelons quelques divergences à ce propos. Pour Michael Century (Pathways to Innovation in Digital Culture), c’est avec le Bauhaus qu’aurait eu lieu la première rencontre significative entre l’art et la technologie. Pour sa part, Edmond Couchot (La technologie dans l’art, sur Archée) débute sa réflexion technesthésique dès les premiers jours de l’appareil photographique. L’Encyclopédie Nouveaux Médias, quant à elle, concentre son intérêt sur les actions artistiques pluridisciplinaires. Le moment initial de cette pluridisciplinarité en action reviendrait à John Cage en 1952 qui, avec la collaboration du chorégraphe Merce Cunningham et de l’artiste Robert Rauschenberg, entre autres, produisait Untitled Event, un événement pluridisciplinaire non concerté.

L’Encyclopédie Nouveaux Médias se consulte en trois langues : français, allemand et anglais. Elle se veut évolutive et collaborative. On compte présenter 100 artistes et 500 oeuvres pour la fin 1999, et l’an 2000 verra le projet réalisé en son entier, soit la totalité des artistes et des oeuvres des collections des trois principaux partenaires (principalement issus de l’art moderne et contemporain) . À ce jour l’association Constant et l’Association Française d’Action Artistique se joignent à cette démarche encyclopédique. Fait à remarquer, les informations s’accompagnent de séquences vidéo en QuickTime ou en RealPlayer.

Ces trois projets démontrent que l’encyclopédisme sur Internet acquiert une pertinence que la majorité des institutions établies atteignent difficilement. Le rapport à la connaissance vit-il une révolution tranquille mais inévitable?