Lors de la conférence que vous avez présenté dans le cadre la Biennale de Montréal 2000, vous affirmiez que l’esthétique de la première génération des œuvres dédiées au Web dépendait de certaines limites technologiques. À quels types d’œuvres faisiez-vous référence?
Alex Galloway : Oui, cette génération d’art Web était profondément contrainte par la technologie. Ces limitations représentaient en même temps des défis esthétiques. La plus importante était celle de la bande passante, mais il y en a d’autres, tel l’aspect très élémentaire des premiers protocoles comme le HTML 1.0. Par conséquent, une pratique artistique a émergé, en donnant du même coup une idée des limites et des défaillances technologiques. On pense par exemple à Jodi, Olia Lialina, Heath Bunting, Alexei Shulgin, Vuk Cosic, et bien d’autres. L’esthétique de cet art est par ailleurs des plus excitant et des plus créatif, et propose des déplacements intellectuels intéressants.
Je suis aussi d’avis que ces premières contraintes tendent maintenant à disparaître. Aujourd’hui, l’art du Web est beaucoup plus influencé par certains contextes commerciaux. Ces derniers peuvent prendre plusieurs formes, comme les applications commerciales des animations en Flash, les jeux vidéo (un genre essentiellement commercial), ou l’esthétique corporative propre au travail de RTMark, Etoy et autres.
C’est aussi autour du travail de ces artistes que s’est cristallisée une très petite communauté de gens avertis. Ces derniers étant les seuls à pouvoir apprécier ce genre de production plutôt conceptuel et opaque, souvent basé sur le questionnement des codes et leur brouillage. Mais c’est à se demander si cet art du Web n’est pas, d’une certaine façon, déterminé par les attentes de ce milieu spécialisé plus que par les limites technologiques? Ce milieu doit-il s’ouvrir davantage tout en gardant cette tradition de questionnement intellectuel ou se dissoudre dans un environnement plus vaste?
Comparativement aux enclaves du monde de l’art, l’art du Web est plus ouvert. Il est seulement soumis à la volonté de participation des utilisateurs, tandis que le monde de l’art en général est contraint par des questions d’accessibilité, de prestige, d’argent, etc. Mais personne n’est obligé de tenir compte de mon modèle analytique pour participer à un œuvre ou pour l’apprécier, il est simplement question ici de l’émergence de l’art sur Internet d’un point de vue historique. Oui, on peut toujours être plus inclusif, mais les conditions actuelles de l’art Web amènent des opportunités inédites entre les artistes et les utilisateurs.