Deuxième chapitre de la série proposée par Cécile Petit
Devant l’extrême diversité des propositions artistiques présentes sur le Web, il convient de se demander quelle serait la manière la plus efficace d’aborder son analyse. Il me paraît impossible de passer outre la classification. Rares sont les analyses allant dans ce sens, et ce pour des raisons évidentes sur lesquelles nous reviendrons plus tard. Généralement, les écrits concernant le Net-art distinguent deux mouvances fondamentales : une tendance dont la problématique se situe au niveau du média lui-même, et une autre, qui se baserait sur une expérimentation plastique du médium.
Ainsi, Olga Kisseleva distingue deux voies majeures : “la plus suivie est celle qui consiste en un dialogue de l’artiste à travers l’ordinateur avec ses spectateurs ou avec d’autres artistes. L’autre aspect du Cyberart est la production d’œuvres par le biais des échanges avec l’ordinateur»1. En d’autres termes, il y a “ceux qui vont utiliser le cyber espace pour l’obtention de nouvelles composantes plastiques, et d’autres qui vont transformer l’expérience communicationnelle (processus et produit) comme un travail en lui-même»2. Edmond Couchot, quant à lui, la rejoint en distinguant également deux grandes tendances, “celle qui insiste sur le processus de création et celle qui recherche la participation du spectateur»3.
Cependant, une telle classification serait bien trop vaste car à l’intérieur même de ces grandes lignes se distinguent encore des similitudes entre les pratiques qui permettent un rapprochement de celles-ci en catégories plus précises. D’autres, comme Louis-José Lestocart4, utilisent le mode thématique. Mais là encore, la variété des thèmes abordés est trop (et de plus en plus) importante pour en déduire une analyse globale mais ciblée.
Annick Bureaud, quant à elle, fournit une étude plus précise avec sa « Typologie de la création sur Internet ». Mais ce n’est pas sans précaution qu’elle se risque à cet exercice, et à elle de poser quelques gardes fous : “cette typologie porte sur la forme des œuvres et non sur leur contenu ou leur esthétique individuelle (…). Elle ne prétend pas être définitive. Fondée sur une analyse des créations existantes, elle évoluera nécessairement avec les œuvres à venir»5. Or, une telle analyse pose un certain nombre de problèmes inhérents à son objet d’étude. Tout d’abord, les Net-artistes divulguent leurs travaux sur Internet, cyber-espace dans lequel règne la liberté, qui ne répond a priori à aucune règle et n’a besoin d’aucun médiateur. Or, Annick Bureaud, en choisissant d’analyser telle ou telle œuvre opère une sélection préalable. Et comme le souligne Richard Barbeau, dans un article consacré à cette typologie, “les œuvres sélectionnées gagnent donc une crédibilité proportionnelle à la rigueur des critères théoriques ou esthétiques. Ainsi validées, elles se positionnent progressivement sur la voie du consensus, comme cela se produit dans le réseau traditionnel des Institutions de l’art contemporain»6. C’est donc tenter d’inclure des œuvres dans un système rigide alors qu’elles s’en sont elles-même volontairement émancipées. Quoi qu’il en soit, il paraît bien impossible d’entamer une analyse sans procéder effectivement à une sélection. Il convient de préciser que cette étude, ces classifications et ces sélections sont forcément subjectives et n’engagent que leur auteur.
Un autre problème induit par une telle analyse tient à sa durée de vie hautement limitée. Nombre de cyber-œuvres sont, soit éphémères, soit en constante évolution. D’autre part, étant donné que cet art est intimement lié à son médium, il est contraint de suivre de très près les évolutions technologiques.
Porter un regard arrêté sur l’art Web semble alors périlleux.
Malgré ces risques, nous nous baserons sur l’étude d’Annick Bureaud, en tentant d’embrasser le plus largement possible la diversité des créations présentes sur le Web sans nous limiter à une catégorisation trop restrictive. Il ne s’agit pas ici d’enfermer des travaux entre des cloisons rigides, ce qui serait une entreprise vaine puisque nombre d’œuvres correspondent à une ou plusieurs catégories.
Si l’auteur définit quatre catégories, quatre mouvements au sein du Cyberart, qu’elle nomme : “Hypermédia”, “Le message est le médium”, “Communication, collaborative et relationnelle” et enfin, “Cyberception”, notre analyse en portera une cinquième, qui sera celle des œuvres hybrides, des inclassables du Web, qui se distinguent par leur caractère intrinsèquement original et complexe.