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Cyberthéorie

Mythographies web : fabrications d’identités

L’art hypermédiatique est propice à la diffusion de leurres de toutes sortes : personnalités multiples et troubles, marché du corps, journaux intimes où fiction et réalité s’entrecroisent. À l’ère du sujet tragique, tiraillé entre les multiples investigations du soi, le Web apparaît comme un lieu où les identités sont plus que jamais dynamiques et variables, identités des sujets mais aussi des supports et des genres. C’est le règne de la mythographie, écriture visuelle ou littéraire de la projection fantasmatique d’un sujet permettant de multiplier ses extensions identitaires, où les propositions sont subversives et permettent une redéfinition critique de nos certitudes.

Rappelons qu’une portion importante des productions d’art médiatique intègre un aspect d’autoreprésentation, réelle ou fictive. Que ce soit par l’obsession de l’autoportrait ou par la construction d’un alter ego fictionnel, les représentations véhiculées par les arts médiatiques instituent cette relation particulière avec le spectateur qui le renvoie à sa propre condition de sujet existentiel mais aussi, à son statut de sujet culturel. 

Une des hypothèses parmi les plus intéressantes de révision de la perspective psychanalytique est celle accordant au “ conflit narcissique ” (c.a.d les tensions et rivalités entre l’ego et la représentation que celui-ci se fabrique de lui-même) une dimension aussi importante que celle que Freud reconnaissait au “ conflit oedipien ”1. Dans une société régie par une morale rigide, il était cohérent de penser les conflits psychiques en fonction de la répression de désirs. Mais, les grands changements survenus dans nos repères identificatoires au cours du siècle dernier ne pouvaient demeurer sans conséquence. 

Comme l’image de soi se développe dans un contexte social qui véhicule des modèles et des types conventionnés, cette image évoluera nécessairement selon le contexte. N’est-il pas alors plausible de penser la perte de repères identificatoires comme siège d’une nouvelle inquiétude dont témoignerait certaines oeuvres hypermédiatiques? 

Le sujet coupable cède la place à un sujet tragique, habité par un malaise existentiel, par des problèmes d’accomplissement et d’image de soi, qu’il tentera de transcender par la mise en représentation de ses identités variables.

Les différents projets de mise en représentation de soi qui prolifèrent sur le Web (par exemple ceux de JenniCAM et de Natasha Merit) en sont des exemples éloquents. Mise en scène continue de l’image de l’artiste et de son intimité, ces œuvres témoignent autant de la fascination de l’artiste pour sa propre image que de celle du spectateur pour le personnage hypermédiatique. Mythographies narcissiques qui agissent à la fois comme outil d’investigation et de projection de soi.