Ouvrir peu à peu le corps de l’image selon un parcours de l’extérieur des corps jusqu’aux peaux internes pour découvrir ce que cache la peau écranique, ce qu’enveloppe cet épiderme pour dévoiler les tissus intérieurs, les chairs numériques. Une fente s’ouvre dans le corps de l’image virtuelle pour la dévoiler et la faire devenir objet de sensualité et de sollicitation des sens. La couleur vient ici faire écran au sens où le terme « couleur » renvoie à la notion de « couleur-écran » dans son acception la plus ancienne. En effet, chroa ou chroia, avant de désigner la couleur, désigne originellement la peau. Chromata se rapporte à la surface des corps, à la carnation. Ainsi, des effets de grains se répondent entre le pigment pictural, le pixel écranique et le pigment de la peau qu’il soit représenté ou numérisé. Mais alors comment les arts visuels s’emparent-ils aujourd’hui de cette peau chromatique à travers l’image du corps?
Cette chair-élément est le médium de la perception tactile permettant les échanges entre le tangible et le visible. Dans la phénoménologie de Merleau-Ponty, la chair n’est pas seulement la substance d’un corps, mais l’élément qui fonde la dimension même du sensible. Pénétrer les strates du visible et du visuel, de la surface vers les profondeurs de l’image, du macroscopique vers le microscopique, pour goûter à la vie intime des éléments dans une micro-analyse ou chirurgie de l’image, dans ce désir de gratter le vernis des peaux visuelles afin d’aller jusqu’au cœur analytique des choses. C’est ainsi que notre réflexion se construit, s’attachant à la fois à l’image de la chair en tant que représentation visuelle et artistique du corps humain, mais aussi au corps de l’image, et ce, plus précisément au sein du médium numérique qui permet de multiples retouches d’une image réelle. Les images issues des nouveaux médias se nourrissent de l’humain, de la chair entre l’organique et le numérique au sens où les pixels, les éléments premiers à l’origine de l’image numérique sont pris en compte tout en soulevant l’idée d’une chair numérique comme épiderme et derme de l’image. Des liens se tissent alors entre l’intérieur du corps–substance et l’extérieur du corps-objet et de façon plus large, à mi-chemin entre le visible et l’invisible.
En situant notre analyse plastique entre l’organique et le numérique, positionnons-nous sur le fil d’un entre-deux, entre surface et profondeur, entre l’extérieur, la peau et l’intérieur, l’inconnu comme possible virtuel. Le concept même de peau ne cesse d’hésiter entre le tégument, ce qui recouvre, et le derme, le sous-cutané issu des couches profondes de la peau. Dans sa terminologie même, la chair se dote de plusieurs sens. Cette exploration plastique de la chair subit un impossible départage entre la surface des chairs et leur dessous : chair de l’écran et chair du corps, peaux numériques et peaux organiques. La chair du dedans évoque une animation intérieure. Cet aspect cellulaire et vivant rejoint la dimension numérique et pulsationnelle des bits et des pixels contenue dans la matrice mathématique d’un ordinateur. Cette substance numérique quasi organique intéresse les artistes, car elle symbolise la véritable matrice charnelle qui figure un état primitif de l’image, un état de celle-ci avant sa réalisation en tant qu’apparence. Mais cette chair numérique se nourrit d’un paradoxe. Alors, comment faire naître du corporel, de l’organique à partir du numérique? Qu’est-ce qui est d’essence organique dans une œuvre numérique? Devient-il possible d’exprimer la sensualité du corps, cette chair sensible au creux des nouvelles images plutôt lisses et parfaites à priori? Dans ce parcours au travers des différentes couches superposées de l’image, le fait de s’infiltrer et de percer les secrets de son processus de création nous permet de comprendre comment l’image peut-elle à la fois, se faire chair et représentation de la chair.