Aller au contenu
Cyberculture

Digital Chile_08 ou Apercevoir et expérimenter pour voir

Troisième exposition internationale tenue à la galerie de la SAT, après celles de la Suède et de l’Allemagne, Digital Chile_08 mérite d’être apprivoisée autant pour en prendre acte que pour la transcrire. Quelle œuvre vous a attiré en premier, vous a retenu le plus longtemps et à laquelle vous avez eu le goût de revenir, pourrait-on demander au public qui a fréquenté l’exposition? 

À prime abord, lorsqu’on entre dans la galerie, on éprouve un choc culturel produit par la force d’attraction des œuvres et peut-être plus encore par les premières associations que nous faisons spontanément avant même de bien les observer. On croirait participer à un «  buffet » où sur chacune des six tables «  une pièce montée » est dressée. Elles sont différentes les unes des autres. Seulement deux dénominateurs communs les relient : la provenance culturelle chilienne et l’empreinte du numérique. À la forme variable de leur écran s’ajoute leur degré d’interactivité, depuis le degré zéro, en passant par la mise en marche, la navigation ou l’activation jusqu’à l’expérimentation par le déplacement et le poids du corps.

Cyber birds dance de Yto Aranda

Sur le mur à droite, un poste d’ordinateur propose Cyber birds dance, une œuvre d’Yto Aranda où l’interactivité m’interpelle. Sur le mur opposé, Panorganic Vision, un assemblage photo d’Alberto Lagos, me semble à première vue de facture plutôt traditionnelle. Sur le plancher au centre repose Equilibrium explorer, de Roberto Larraguibel. Tout au fond, un petit salon meublé d’un divan, d’une vieille télévision à télécommande et d’une lampe, reçoit les visiteurs pour la diffusion de PubliK-O de Claudio Rivera-Seguel. Une fois descendu l’escalier de cet ancien bâtiment rénové partiellement, Like a second nature de Félix Lazo se donne à voir sur un immense écran texturé où la projection apparaît simultanément au recto et au verso. Où se trouve la sixième œuvre ? Elle est au sous-sol accessible par une ouverture dans le mur vers l’avant de l’immeuble. Body project de Klaudia Kemper me retiendra un bon moment avec, pour écran, une forme en trois dimensions suspendue au centre de la pièce. Je reviens au petit salon où m’interpelle PubliK-O, partagée entre l’attrait et le rejet. Ensuite je m’approche de Panorganic Vision, dont l’assemblage me laisse découvrir une structure narrative qui spatialise le temps.

Panorganic Vision d’Alberto Lagos

De ces premières impressions se dégage un constat. Pour se dévoiler, les œuvres médiatiques exigent la participation du public, elles ne se donnent pas d’emblée. Comme la page couverture d’un livre, la pochette d’un album, il faut tourner les pages, manipuler les fonctions, inscrire notre démarche dans une durée, pour les aborder, les percevoir et, au bout du compte, en débusquer une ou des lignes de sens. À quelle réflexion plus théorique pourrait-on associer après-coup ces premières impressions?

Avec Digital Chile_08, la citation suivante, extraite de la recension du recueil Prolifération des écrans/of screen qui sera diffusée dans Archée de février 2009, prend un sens éminemment concret. «  L’objet d’analyse, la prolifération des écrans, passe de «  l’écran matériel, objet neutre et indifférent aux contenus qu’il projette, à l’écran considéré comme un vecteur cognitif incontournable, déterminant de nouvelles approches épistémologiques et psychologiques. Plusieurs textes insistent sur la transition et le passage d’un paradigme mécaniste à une épistémé organiciste, pressentant plus ou moins précisément les changements dans la façon de percevoir, de penser et de ressentir, qui s’opèrent actuellement. »1

Ici l’«  objet d’analyse » se constitue par la diversification de l’écran, en fonction de la taille, de la forme, de la texture, de la surface et de la localisation exploitées, mais encore davantage par le média qui l’électrifie ainsi que les médiums, les langages, les genres qui structurent et mettent en forme l’intention et le propos. De la même manière, le vocable «  plusieurs textes » devient six œuvres dont la fréquentation en chassé-croisé favorise l’interpénétration des paradigmes esthétiques de la contemplation et de l’expérimentation. Une sorte d’intrication de l’ancien [devant] et du nouveau [dedans, à l’intérieur, autour] qui se mêlent aux procédés habituels contemporains reliant les divers motifs culturels transportés par ces objets. Pour les six œuvres, le changement dans la façon de percevoir, de penser et de ressentir passe résolument par un appel à se déplacer devant, derrière, autour, à l’intérieur et, particulièrement pour deux d’entre eux, à manipuler, actualiser et activer. D’une certaine façon, à conduire.