Jean Voguet, compositeur
DT – Je commence par votre travail de composition Jean, puisque c’est votre travail de composition qui semble nourrir le travail de Philippe.
JV – Je ne suis pas sûr qu’elle le nourrisse… On travaille ensemble et comme ma musique est composée, mais que je l’interprète en temps réel, lui travaille en temps réel.
DT – Travaillez-vous toujours ensemble ou travaillez-vous aussi avec d’autres personnes ?
JV – Je travaille avec plusieurs autres artistes et il en est de même pour Philippe. En ce moment on travaille sur L’Odyssée, un projet qui comportera 18 stations. Pour l’instant, cinq seulement sont terminées car chaque fois qu’on y travaille plein de choses changent. On les réinterprète. On est dans une phase de recherche en fait.
DT – Au Grave vous présentez deux projets : l’Odyssée et Instants sonores.
JV – À l’origine, Jocelyn Fiset m’avait invité en rapport à l’orientation du GRAVE, c’est-à-dire, le recyclage et comme l’œuvre Instants sonores est une sorte de recyclage… Mais, comme je disais à Jocelyn, je ne suis rendu ailleurs sur le plan artistique. On a donc trouvé un terrain d’entente : on joue des pièces qui me préoccupent en ce moment, artistiquement, et des oeuvres que j’ai créées voilà maintenant plus de dix ans.
DT – Ce sont les œuvres créées à partir de voix ?
JV – Les Instants sonores. C’était un cycle sur les musiques vocales en voie de disparition. Je voulais faire neuf pièces et j’en ai fait sept puis je suis passé à autre chose. J’ai encore tous les matériaux et un certain travail a été fait mais pour l’instant, c’est en suspens.
DT – Le processus de travail sur les voix et les sons de gorge est-il le même que ce que vous faites avec L’Odyssée ?
JV – Non. Pour les voix, j’ai pris des enregistrements réalisés par des ethnologues, au Musée de l’homme. J’ai prélevé des échantillons de ces chants que j’ai traités numériquement. C’est un «retraitement» et cela reste toujours limité ; on entend quand même beaucoup les sons d’origine. Alors que L’Odyssée, c’est de la création pure avec les outils numériques et les sons. Par exemple, dans Station V , il y a à peu près deux cents échantillons, mais il a fallu en créé mille pour en retenir seulement deux cents. C’est ça, vraiment, le travail que je poursuis : ce sont des sons qui m’intéressent, c’est vraiment de la création pure.
DT – Où vous situez-vous par rapport à la musique électroacoustique, électronique, sérielle ou la musique concrète ?
JV – Je me situerais plus dans l’espace acousmatique. La musique électroacoustique, je n’en n’ai jamais fait pour la simple raison que je n’ai jamais aimé coupé des bandes avec des ciseaux ! Je trouve ça un peu trop mécanique. Quant à la musique concrète à la Pierre Schaeffer, je n’ai jamais été vraiment d’accord. L’astuce des effets sonores… j’en suis très loin. La musique sérielle, je l’ai évitée toute ma vie. Pour moi, c’est une erreur de l’histoire, un jeu d’intellectuels pour ne pas dire plus ! Fait par de très bons musiciens, mais ça vieillit et ça vieillira de plus en plus mal. Dans l’histoire musicale, on est passé très vite de quelque chose de fabuleux, Ravel et tout ça, on s’est traîné les émules de Schoenberg et on a atterri avec Berio, Stockhausen et voilà… Mais je ne veux pas me situer à partir de ça. Pour ma part, j’ai étudié toutes les sortes de musique dans ma jeunesse, la musique iranienne, indienne, maghrébine, etc. Instants sonores en est un peu l’aboutissement.
DT – Vous aviez une approche un peu ethnographique de la musique ?
JV – Non, non, j’ai été prendre des cours avec des maîtres parce que je voulais comprendre des systèmes de pensée complètement différents. La pensée est derrière la forme musicale, c’est l’approche. Bon, moi je l’ai fait en touriste ; pour jouer vraiment de la musique indienne, il faut le faire depuis tout petit, moi je n’en ai fait que pendant deux ans. Mais ça m’a enrichi. Ma mère était cantatrice. Je viens de la musique occidentale classique. J’avais besoin d’une bouffée d’oxygène. Et puis, il y avait ma curiosité d’ado par rapport au rock et toutes ces musiques-là.
DT –Est-ce que le rock influence encore aujourd’hui les sons que vous produisez ?
JV – Non, ce n’était qu’un passage obligé.
DT- Comment s’est fait ce passage vers ce que vous faites aujourd’hui qui est très différent ?
JV –J’ai toujours procédé par rupture. Un jour sur scène, je m’ennuyais. Je me voyais sauter avec ma guitare… J’ai arrêté d’un coup et je suis parti sur le jazz. J’ai eu la chance de rencontrer de grands jazz men. Tous les week-ends , je faisais des jam dans le 2e club de jazz de France avec des musiciens chevronnés et ça a été fabuleux en tant qu’expérience. J’ai joué dans des festivals, mais au bout d’un moment, les musiciens ont commencé à me dire que je ne faisais plus du jazz et ils n’avaient pas tort. Je ne suis pas né à Chicago, je suis savoyard donc plutôt du côté de Mozart. Ça n’empêche pas que j’adorais cette musique. Mais ça ne valait pas la peine de continuer car effectivement j’étais sur autre chose.
J’ai donc arrêté le jazz et j’ai commencé à jouer dans des ensembles de musique contemporaine et puis j’ai arrêté à nouveau. J’ai monté un ensemble instrumental pour qu’on puisse jouer ma musique et je suis allé chercher des stars du moment et les meilleurs élèves et nous avons passé des moments superbes. Après, il y a eu l’arrivée du micro ordinateur. J’étais déjà à l’IRCAM et tout d’un coup, je pouvais disposer d’orchestres au complet, de tous les instruments que je voulais et c’était moi l’interprète. Pour moi, c’était extraordinaire.
DT – Dans le paysage de la musique actuelle …
JV –En France, ce qu’on appelle la musique actuelle c’est très différent de ce qui se fait ici. C’est le rock et les musiques qui sont entre le jazz et le rock. C’est très différent de ce qui est présenté au FIMAV.
DT – Vous ne cherchez donc pas à vous situer par rapport à ce concept ?
JV – Ma musique se situe dans un espace sonore acousmatique. C’est une façon de penser l’espace sonore.
DT – Michel Chion parle de la voix acousmatique au cinéma.
JV – Ma musique est dans cette veine-là. Parce que les outils sont numériques, on fait de l’art numérique. Avec Philippe, ça c’est évident, mais je fais aussi de l’art performance, des installations et ce n’est pas nécessairement de l’art numérique. Au Mexique, par exemple, j’ai fait des actions.
Notes
[1] http://databaz.org/xtrm-art/ et http://poezibao.typepad.com/poezibao/2006/12/philippe_boisna.html sont deux sites qui vous aideront à mieux connaître les activités et la pensée de Philippe Boisnard
[2] Voir différents articles en faisant une recherche sous « Miller Puckette Patcher IRCAM » pour en savoir plus sur cette invention. Aucun article donne toute l’information.