Intensity would seem to be associated with nonlinear processes: resonation and feedback that momentarily suspend the linear progress of the narrative present from past to future. Intensity is qualifiable as an emotional state, and that state is static – temporal and narrative noise. It is a state of suspense, potentially of disruption.
It is like a temporal sink, a hole in time, as we conceive of it and narrativize it.1
Brian Massumi
Du dôme au milieu : Immersion ≈ Émergence2 : aboutissement d’une semaine de recherche-création autour de la Satosphère3. Objectif : Explorer le potentiel de ce dôme de 18m de diamètre par 15m de hauteur en ce qui a trait à de nouvelles formes d’expérience. La nature immersive de l’environnement du dôme est ce qui a instigué la volonté d’établir un champ de travailqui allie une pratique de création artistique processuelle à une toile de fond philosophique. Mené collectivement par un réseau de chercheurs attachés au SenseLab4, ce processus collectif a joué le rôle de plateforme de création visant à mettre en pratique des concepts d’intérêt commun qui nourrissent le travail personnel de chacun. Cette collaboration a permis l’avènement d’une expérience esthétique unique qui met en place une relationalité entre corps, objets, espace et images. D’un côté, tout un chacun, avec ses caractéristiques propres : forces et faiblesses (créatives, techniques, conceptuelles, etc.). De l’autre, les caractéristiques propres à l’objet. Ce qui, d’une certaine manière, est défait, déconstruit ; fuir la spécificité de l’objet permet de mieux le (re)construire. Au milieu : tout cela à la fois.
Le champ
L’expression « collaboration processuelle » implique autant un décentrement en ce qui a trait à la direction du processus qu’une multiplicité. C’est comme s’il n’y avait pas de point central qui soit responsable de la configuration finale de l’événement – qui devient ainsi mouvement spontané émergeant des différents potentiels qui se rencontrent. Dans une telle approche, des groupes de travail distincts participent simultanément à une proposition collective de flot créatif constant. Ainsi parlant, ce qui est mis en œuvre est une perspective purement rhizomatique : l’événement est mouvant dans une réalité multiple. Chaque groupe de travail est un plan parmi d’autres plans et chaque individu est un point d’entrée ou de sortie vers un concept, une expertise artistique ou technique quelconque… Sous sa forme spécifique, Du dôme au milieu : Immersion ≈ Émergence a un début et une fin. La première rencontre, effectuée à l’aide d’outil collaboratif en ligne avec des chercheurs situés dans différents pays, a eu lieu le 21 novembre 2011. Le Projet-dôme, tel que nous l’avons familièrement appelé, a pris la forme d’une discussion performative réalisée le 22 octobre 2012 pour compléter le processus en place. Toutefois, d’un point de vue général, le processus collectif de recherche-création est une formation à partir de points d’entrée (tout un chacun) qui se rencontrent grâce à lui et qui le continuent dans leurs travaux respectifs. Chacun parvient, à travers cette expérience, à un bout de compréhension qui lui est propre et qui se continue sous différentes formes, sous d’autres appellations. L’événement devient ainsi catalyseur de compréhension. Si l’événement a un début et une fin en tant que plateforme de création, il reste que, comme catalyseur de compréhension, ses limites sont indiscernables.
L’attente active
L’événement est une façon de travailler sa matière première : les concepts. Jusqu’à quel point peuvent-ils s’étirer jusqu’à se métamorphoser? Comment les modeler, les tester, les muter… Le processus collectif de création est un point de rencontre pour trouver une façon de le faire et la réponse se trouve dans l’échange. Les liens humains qui se tissent deviennent un terrain extrêmement fertile pour faciliter cette entrée dans la pratique. C’est-à-dire que la collaboration présente des contraintes et des tendances propres à la formation de ce processus spécifique et qui le rendent, par ce fait, unique. Alors, cette rencontre unique se cristallise en tant que source de nouveauté absolue5. Tout au long du processus, chacun agit sans connaitre le résultat précis car tout un chacun est responsable d’un bout de chemin qui est nécessairement continué par d’autres. L’engagement envers le processus consiste seulement à donner le meilleur de soi en sachant que « je est un autre » et il est multiple. Dans cette générosité, il faut savoir lâcher prise et se détacher du résultat : on ne peut savoir exactement à quoi s’attendre. Ce qui amène une sorte d’attente active teintée d’incertitude quant à ce qui se passe ou ce qui « doit » se passer : le processus lui-même devient la finalité. La perspective de « l’événement » comme un objet perceptuel à présenter à un public est délaissée. Il n’y a pas de produit fini, mais des questions, de nouveaux points de passage possibles. Pour le souligner, la discussion performative qui a clôturé la période de recherche a été couronné de l’expression : « Ceci n’est pas un spectacle » en tant qu’invitation au public à prendre part au processus.
Intensifier
C’est alors que l’expérience s’est intensifiée. Chercheurs et spectateurs indifférenciés, la signification de l’événement n’est pas donnée ni cherchée, mais vécue. Le lundi 22 octobre 2012, je pénètre le dôme avec un peu de retard. Est-ce commencé? Il n’y a pas « vraiment » de début, me répond-on. Je suis éblouie. Le dôme m’accueille dans ce qui lui est propre : les sons étirés, indéchiffrables, l’atmosphère d’intériorisation. Des images défilent tout autour de moi, mais ce qui attire le plus mon attention est la structure géante de tricot rouge au centre de l’espace. En m’identifiant aux nœuds du tricot, je « nous » vois les uns reliés aux autres en tant que structure d’un événement que nous formons : du dôme au milieu. Nous formons une multiplicité : un type d’objet complexe dont l’unité dérive d’une qualité qui participe à chacune de ses composantes de manière séparément (Whitehead, 1978 : 46). Le rouge ayant été mis pour cet aspect qualitatif que nous avons développé ensemble depuis le début du processus, soit un questionnement sur les implications politiques et sensuelles du dôme en tant qu’objet technologique situé au cœur de la ville de Montréal. Chaque ligne rouge de tricot qui relie un point à un autre correspond à une durée, à un projet en commun : atelier de prise de vue, sonore, un groupe de discussion conceptuelle ou un groupe de recherche sur le mouvement corporel… Chaque point de tricot devient, dans ma compréhension, une explosion autant qu’une implosion ; autant un mouvement individuel créatif qui vient de soi vers l’extérieur, qu’une intensification de l’expérience sous forme de germe de compréhension qui va s’abriter en chacun. Je tente de faire du crochet, mais l’expérience de la structure de fil rouge a déjà eu l’effet qu’elle devait avoir sur moi. Ne sachant que faire, je m’assoie confortablement : je me sens dans une fête.
Attendre plus longtemps
Même si la plupart des individus présents ne pouvaient faire un sens clair de ce qui se passait, « quelque chose » à la fois insolite et très intéressant avait lieu : l’objet-dôme s’est déclaré dans sa nature processuelle. C’est-à-dire que nous avons délibérément abandonné la tentative de forger d’avance une présentation pour donner préférence à une expérience-dôme qui catalyse le complexe relationnel agissant dans la situation. Pendant le processus collectif de recherche-création, longtemps il a été question de quel genre d’images serait utilisé, quelles sonorités voulions-nous, comment occuper l’espace… Ces questions sont tout à fait pertinentes lorsque l’on travaille avec un objet tel que la Satosphère, mais elles mettent beaucoup d’emphase sur ce qui demeure du domaine du « déterminable » (qui n’a jamais été l’objectif du projet). Même en étant engagés dans un « processus collectif » que nous voulions générateur d’une performativité émergeante, nous avons oublié, pendant un moment, de faire de la période d’exploration un événement en soi… C’est en changeant de cap, donc en accueillant intentionnellement l’indétermination dans l’exercice de préparation, que le résultat a pu se dévoiler en tant que « conversation performative ». Alors la question qui s’est imposée d’elle-même pendant le travail conceptuel est : « Quel genre d’intensités pouvaient être développées à travers des différences de rythme? ». Ce choix a été primordial car il nous a permis de nous rapprocher de l’objectif premier du projet de permettre la mise en place d’un processus générateur de qualité affective. Délaisser la possibilité de produire une certaine « réalité virtuelle » nous a permis de produire une « abstraction réelle » qui doit être vécue pour être déployée. Pour la saisir, il fallait être là, attendre un peu, que l’expérience apparaisse, se dépose, produise son effet. Du dôme au milieu : Immersion ≈ Émergence a donc été une invitation à performer l’événement conjointement en prenant part dans le processus de sa production : s’assoir au milieu de la structure géante de crochet, entendre et voir et, tout simplement, être là pour permettre à ce que l’expérience prenne place.
Détourner
En étant là, nous sentions la fascination de l’image nous envahir. Les gros coussins noirs, ergonomiquement faits pour nous séduire vers une position confortable, nous incitaient à nous assoir et à observer le grand écran du dôme. Distorsion de l’image : les escaliers de la SAT agissaient sur les participants tout autant que l’invitation à vivre les mailles de crochet. L’intérieur de la Société des Arts Technologiques (SAT) se faisait repousser encore plus en son intérieur. Juste avant, l’invitation ouverte à tous ceux qui se trouvaient dans les voisinages au moment du culminant 17h. Avons-nous observé l’opposition entre ceux qui se trouvaient à l’intérieur de la SAT et ceux qui se trouvaient à l’extérieur soulignée par cette invitation? Autant de façons de perturber ou d’accentuer la notion d’espace. Tout ce qui a été bâti pendant l’année précédente était concentré dans cet intervalle de temps. Or, personne n’avait « prévu » l’effet définitif de l’événement ; il s’est dévoilé de lui-même et les « chercheurs » le découvraient en même temps que les « spectateurs » (ou vice-versa?). Donc, au lieu de créer une expérience de « réalité virtuelle » qui tente d’amener le participant dans une réalité autre, le virtuel a pris place comme acte. Cette « abstraction réelle » vécue pendant le 5 à 7 à la SAT condense en elle tout ce qui a conditionné activement ou passivement l’événement. À travers ce dernier a pris forme un processus de résolution des tendances ayant agi comme forces formatrices. Mais, en tant que chercheurs, que cherchions-nous au fait? Détourner, tout simplement, l’euphorie de la technologie et faire autre chose du mythique dôme pour tout simplement remplir la fonction de base du chercheur qui est d’explorer de nouvelles avenues. L’avantage d’une telle pratique pour les chercheurs participants demeure la case vide que chacun remplit à sa manière : voilà tout un monde qui prend place. Qu’avons-nous créé? Possiblement beaucoup de questions productives de sens sur les médias technologiques, sur de nouvelles formes de collaboration, sur différentes façons d’entrer en contact avec un public (nous) qui est habitué à s’assoir et à regarder. Quoi de plus? À suivre…
Notes
[1] Brian Massumi, 2002 : 26.
[2] Une proposition du Sense-Lab ayant eu lieu le lundi 22 octobre 2012 à la Société des Arts Technologiques de Montréal.
[3] Nom accordé au dôme construit par la Société des Arts Technologiques de Montréal.
[4] http://senselab.ca/wp2/about/
[5] Tel que compris dans l’expression bergsonienne : « création continue d’imprévisible nouveauté ».
Bibliographie
– Bergson, Henri, La pensée et le mouvant, Paris, PUF, 1934, 648 p.
– Deleuze, Gilles, « Un nouveau cartographe (Surveiller et punir ») » et « Les stratégies ou le non-stratifié : la pensée du dehors (Pouvoir) », dans Foucault, Paris, Les Éditions de Minuit, 1986, 144 p.
– Deleuze, Gilles, « L’image-mouvement et ses trois variétés (second commentaire de Bergson) », dans Cinéma 1 : L’image mouvement, Paris, Les Éditions de Minuit, 1983, 296 p.
– Deleuze, Gilles, « Les deux étages », dans Le pli : Leibniz et le baroque, Paris, Les Éditions de Minuit, 1988, 192 p.
– Deleuze, Gilles et Félix Guattari, « Introduction : Rhizome », dans Mille Plateaux, Paris, Les Éditions de Minuit, 1980, 640 p.
– Massumi, Brian, « The Diagram as Technique of Existence : Ovum of the Universe Segmented », dans Semblance and Event : Activist Philosophy and the Occurrent Arts, MIT Press, 2011, 232 p.
– Massumi, Brian, « The Autonomy of Affect » dans Parables for the Virtual : Movement, Affect, Sensation, Duke University Press, 2002, 408 p.
– Whitehead, Alfred North, Process and Reality, New York, The Free Press, 1978, 398 p.
– Whitehead, Alfred North, « Objects », dans The Concept of Nature, Teddington, The Echo Library, 2006, 108 p.