Aller au contenu

L'apport de la richesse technologique à la créativité artistique

Christian Pichot

L’art et la technologie sont inséparables. Les artistes, – tout au long des âges – ont eu recours aux nouveaux instruments stimulant leurs imaginations. Cependant, ces techniques ne sont pas des instruments faciles à manipuler, l’artiste est appelé à chercher une corrélation entre ces instruments et ses préoccupations : « Chacun des artistes (…) se trouve un représentant des principales technologies nouvelles, c’est-à-dire du laser, (…) de l’ordinateur, des télécommunications, (…) et de l’art virtuel… » (Berthelet, 2005, p. 122).

 Face à cette relation qui ne cesse de s’approfondir entre art et technologie et à l’accélération des nouveaux procédés et à la prolifération de ces outils qui s’interposent de plus en plus entre l’homme et le monde on est appelé à réfléchir sur de nombreuses problématiques telles que:

  • Quels sont les moyens qui permettent de mieux intégrer l’art numérique dans le circuit général de la production artistique de notre temps ? Quelle influence cette technologie produit-elle aujourd’hui sur la représentation ? Comment peut-on profiter des apports techniques dans notre domaine ?
  • Quelle influence cette technologie produit-elle aujourd’hui sur la représentation ?
  • Comment peut-on profiter des apports techniques dans notre domaine ? 

Depuis les années soixante, les artistes se sont emparés des ordinateurs et des nouvelles technologies comme outils de recherche esthétique, de création et comme médiums d’exposition. Le numérique est devenu ainsi non seulement un support de médiation de l’art mais aussi un médium artistique en soi. Cette forme artistique, qui est l’objet de plus en plus d’événements culturels et que de multiples penseurs tentent aujourd’hui de théoriser, interroge de manière parallèle les pensées de l’art et de la communication en renouvelant l’esthétique de la création, de la médiation de l’art et de sa réception : « Tout nouveau moyen apparaissant sur la scène de la technique est aussitôt l’objet d’appropriations et de recherches appropriations et de recherches expressives de la part des artistes » (Meneguzzo, 2007, p. 190).

L’histoire des arts a vu quel bénéfice il y avait à exploiter les technologies qui apparaissent progressivement pour donner une forme de création artistique singulière, comme caractéristique de l’art de la fin du XXe siècle. En effet, ils renouvellent les finalités esthétiques et perturbent fortement la philosophie collective de l’art. Ces nouvelles technologies numériques sont exploitées comme pinceaux et comme toiles, comme outils et comme support : « Le numérique est en rupture avec les techniques figuratives traditionnelles. Ces dernières, trouvent dans le numérique l’occasion d’un rebondissement original » (Couchot et Hillaire, 2002, p. 28). Aujourd’hui de nombreux artistes œuvrent avec ces nouvelles technologies pour créer des images. Son statut semble être converti, amplifié, perturbe le sentiment de la réalité que nous gardons du monde perceptif. En effet, l’image a toujours constitué un intense champ de manipulation et de pensée, elle constitue la texture représentative de notre vie qui est de plus en plus programmée.

Nous devons également réfléchir à la mutation de notre société dans laquelle l’image prend une place indispensable. Cette image se fabrique essentiellement sur les bases de procédés numériques qui, en une décennie, viennent d’envahir toutes les formes d’expression de façon vraisemblablement durable et quasi-exclusive. Et pourtant, les institutions de l’art aspirent à prendre en considération cette révolution technologique et à lui accorder une place proportionnelle à son utilisation dans notre quotidien.

On peut donc appréhender que les liens entre la science et la technique se sont fait de plus en plus étroits, au point de donner naissance à un ensemble assez homogène – la technoscience –, vaste domaine de recoupement entre la recherche fondamentale et ses applications techniques. Celle-ci a trouvé son domaine de prédilection dans une nouvelle technologie qui entretient un rapport serré avec d’autres secteurs de la science. Or, il s’avère que cette région particulière de la technoscience est celle où les impacts sur le monde de l’art sont les plus concluants. L’importance de ce que l’on appellera plus généralement le numérique, tient à ce que cette technologie introduit dans les modes de représentation, notamment dans l’image, une rupture sans précédent dans l’histoire des techniques. 

L’apparition de l’ordinateur dans le monde de l’image nous a conduit nécessairement vers son utilisation et, de plus en plus. Il offrait de nouvelles possibilités qu’il nous fallait explorer. Il n’en est pas de même pour l’ordinateur qui s’avère être une technologie plus complexe et plus riche. Son usage ne peut qu’enrichir notre discipline mais il est nécessaire d’en saisir tous les enjeux. Bien évidemment, dans le domaine des arts plastiques, la question de l’image est essentielle que ce soit sur le plan de la fabrication d’images ou sur le plan de son utilisation pour présenter des œuvres et des démarches artistiques. L’usage de l’ordinateur bouleverse nos pratiques, il s’ajoute aux procédés existants comme le dessin, la peinture, le collage pour la fabrication. Il s’ajoute mais il transforme en démultipliant les possibles, en rendant parfois obsolète certains usages. C’est un des grands bouleversements dans notre discipline où l’empirisme quant à la technique n’est plus favorable à la créativité. La formation ou l’auto-formation deviennent incontournables. Sur l’aspect création, l’ordinateur pourrait être comparé à un ensemble de techniques comme la peinture ou le coloriage, le collage ou le photomontage. Il y a effectivement de nombreuses similitudes mais également des différences importantes qui justifient à elles seules le choix de mener telle ou telle séquence à l’aide ou non de cet outil. Si on veut aborder la question de la matérialité dans l’image, on choisira la peinture, si c’est celle des effets de matières l’ordinateur pourra devenir un outil numérique intéressant. De même, le collage ou le photomontage prennent un tout autre sens avec l’ordinateur puisqu’un élément prélevé pourra être multiplié, transposé, recoloré, réduit, agrandit, déformé, ainsi l’intervention sur la reproduction d’une œuvre devient beaucoup plus aisée avec cet outil. 

Actuellement, de nombreux artistes exploitent les outils numériques pour leurs créations plastiques. C’est le va-et-vient constant entre le foisonnement de leurs imaginations créatrices d’une part, et l’abondance de ces ressources techniques d’autres part, qui vont permettre aux artistes d’enfanter des œuvres avec une acquisition des connaissances approfondies sur l’image numérique fondée sur une double compétence artistique et technique : L’exploitation de l’outil numérique dans les arts plastiques n’a qu’une limite, c’est la fertilité de notre imaginaire. En effet, le développement des techniques d’imageries numériques (logiciels de retouche comme Photoshop ou The Gimp, de synthèse d’images comme Poser, etc.) ont été suivis par de nouveaux thèmes de réflexion sur une plasticité et une interchangeabilité croissante. 

Toujours provocantes, souvent repoussantes, parfois attirantes, les démarches artistiques aux moyens de l’art numérique donnent une nouvelle dimension expressive. 

Dans ce contexte, on peut se référer à l’artiste contemporaine Annie Baillargeon1, passionnée par divers modes d’expression qui conjugue le photomontage numérique avec la mise en scène d’un corps contrarié. Elle crée des représentations baroques dans lesquelles des corps féminins sont répandus, répétés, fragmentés, amputés en des compositions complexes parfois embrouillées. Par le biais de cette répétition systématique de corps et de formes, l’artiste crée des scènes dramatiques qui s’articulent autour de la question de la condition humaine. Il ne s’agit pas d’une simple répétition, mais plutôt de constructions corporelles qui dévoilent la richesse plastique de ces corps.

Annie Baillargeon, Cortège, Impression Jet d’encre, 36 X 36 pouces
Annie Baillargeon, Cortège, (détail) Impression Jet d’encre, 36 X 36 pouces
Annie Baillargeon, Ecchymose Impression Jet d’encre, 36 X 36 pouces
Annie Baillargeon, Ecchymose, (détail), Impression Jet d’encre, 36 X 36 pouces

Les nouvelles technologies séduisent ainsi de plus en plus les artistes qui se consacrent à l’art du collage ou à la peinture et au dessin. Ils utilisent le numérique comme outil dans le cadre de leur production artistique.  La spécificité de l’art numérique réside dans le fait que l’œuvre, loin de n’être qu’une présence, est l’objet d’un calcul permanent. En influant sur les paramètres de ce calcul, on agit sur l’œuvre. 

On peut aussi se référer à l’œuvre de l’artiste Christian Pichot2 qu’il réalise à partir de photographies numériques et de radiographies scannées. Il présente quelques clichés travaillés à partir de radiographies du squelette humain. Toute son œuvre réside dans l’ajout d’éléments considérés alors comme des prothèses ou des pièces détachées. Son esthétique témoigne de l’influence du milieu de la mode au sein duquel il a travaillé pendant plusieurs années.

Les modèles fantomatiques de cet artiste sont érotiques et parés de métal. Ces parcelles de corps métamorphosées semblent venir de l’au-delà… Son univers artistique mise sur l’originalité, les sous entendus et l’impact du visuel.

Les radios, sont une partie du corps humain, une partie de la douleur humaine que l’artiste a transformée au gré de son imagination dans un univers de science-fiction. Ces derniers sont ensuite scannés pour les faire apparaitre sur l’écran. L’artiste exploite parallèlement des logiciels de traitement d’image témoignant de sa présence de façon irréelle.

Funky, Christian Pichot
SCAN 2004-9, Christian Pichot
One string, Christian Pichot

Notamment et à sa façon, Pierre Chamberland3, en déconstruisant les formes d’un sujet dit traditionnel, il fait apparaître un espace métamorphosé et réussit à faire cohabiter la figuration et l’abstraction. 

Ses sujets favoris sont inspirés par les effets des changements des saisons sur la nature et, d’une manière particulière, la figure de l’arbre. La composition et l’équilibre de l’œuvre demeurent pour lui un sujet constant d’attention. Ses couleurs riches et contrastées s’harmonisent avec des textures où les jeux de matières s’interpellent.

Photomontage Pierre Chamberland
Photomontage Pierre Chamberland

Chaque photomontage est réalisé à l’écran de l’ordinateur à partir de photos numériques et d’un logiciel d’images. Le but de l’artiste est de créer une œuvre qui s’apparente à la fois à une photographie et à une œuvre peinte. Il prend donc les caractéristiques de ces deux techniques afin d’obtenir une nouvelle version de la réalité. Il choisi différents éléments de sa composition en cours dans ses photos et il les assemble pour former une nouvelle œuvre. Il travaille les montages sur plusieurs jours afin de s’assurer que ses éléments sont bien choisis, proportionnés, éclairés, texturés et harmonisés. La réalité de la photo est ainsi modifiée selon sa réalité intérieure. L’image finale devient ensuite un fichier informatique qui est imprimé sur du papier photographique professionnel. 

Ses photomontages numériques sont imprimés sur du papier d’archive et sont par la suite détaillés avec de l’encre ou de l’acrylique dorés. Il a réussi à exploiter ses photomontages réalisés par ordinateur comme support pour réintervenir par le biais de la matière palpable et même avec des éléments hétérogènes collés qui sont ajoutés à la composition.

D’après ces expériences, on peut constater que le domaine de l’art est ouvert à de nombreuses disciplines, qu’il n’y a pas de limites ou des techniques qui le définissent. La combinaison entre la technologie et l’art offre un vaste champ de traitement et de métamorphose permanente dans un système hyper-dynamique et instable. En tissant le virtuel au palpable, le résultat peut être un vrai métissage entre la représentation et le monde virtuel. Le résultat est toujours inattendu suite aux hybridations des techniques et des processus profondément modifié par cette imbrication de l’espace réel et de l’espace virtuel dans laquelle l’imaginaire trouve des nouveaux champs d’exploration.

L’œuvre numérique n’est pas une trace matérielle, mais plutôt c’est un code qui permet de reconstruire l’œuvre vivante au tant que l’on veut. On peut ainsi observer dans certaines images une utilisation des transparences faisant naître des textures inédites, d’improbables photomontages, des graphismes synthétiques dont les caractéristiques visuelles orientent l’interprétation dans le sens de l’usage de l’ordinateur. Les technologies numériques mettent à portée de tous des outils techniques et plastiques qui étaient réservés aux professionnels avant la révolution numérique.  

La technologie numérique ultrasophistiquée de nos jours imprègne notre culture qualifiée depuis déjà longtemps de postmoderne. Il est fondamental de constater dans ce cadre que cette variation qui a caractérisé la représentation dans ses enjeux et sa technicité – surtout avec l’évolution des techniques de la photographie et l’avènement de l’art vidéo et numérique, fondés sur l’exploitation des nouvelles technologies de l’image – est à l’origine d’une métamorphose totale des acquis traditionnels qui, suggérant des nouvelles allégories, acquiert un nouveau statut.

S’inscrivant dans le prolongement de la recherche artistique classique, l’art numérique peut influencer, à mon sens, les mutations sociales et culturelles tout entières.   Il permet en effet d’ouvrir la voix à des réflexions sur le statut et les enjeux des technologies informatiques dans la société. Cet art prend, certes, plusieurs significations grâce à ses multiples caractéristiques. Bien que la source de l’art numérique soit unique (le système binaire), les œuvres prennent des aspects différents et variés. Cette effervescence remarquable observée confirme que l’art numérique a ses propres spécificités qui le caractérisent des autres domaines artistiques et qu’il défend sa place dans l’art contemporain. Enfin, l’impact des technologies du numérique sur la création artistique contemporaine est immense. Non seulement des disciplines dites classiques qui ont été profondément transformées par le numérique, mais celui-ci a également donné naissance à des formes radicalement nouvelles.

Notes

[1] Annie Baillargeon : Elle vit et travaille à Québec. Ses œuvres se caractérisent par des représentations glorifiées du corps féminin.

[2] Christian Pichot : artiste peintre numérique, Directeur de recherche CNRS. Laboratoire d’Electronique, Antennes et Télécommunications, Université de Nice-Sophia Antipolis.

[3] Pierre Chamberland.

Bibliographie

– Berthet, Dominique, L’audace en art, Paris, L’Harmattan, 2005, 290 p.

– Couchot, Edmond, Norbert Hillaire, L’art Numérique, Comment la technologie vient au monde de l’art, Paris, Flammarion, 2002, 288 p.

– Meneguzzo, Marco, L’art au XXème siècle, Paris, Hazan, 2007, 384 p.