La Slovénie
Vuk Cosic est le Slovène le plus en vue sur le Web. Étonnamment, le nombre d’ordinateurs branchés per capita en Slovénie est plus élevé qu’en Italie ou en Espagne. La Slovénie compte environ 2 millions d’habitants, majoritairement catholiques, avec un taux d’alphabétisation à 99%. On y parle évidemment le slovène mais aussi le serbo-croate, le hongrois et l’italien. Ancienne république fédérée de la Yougoslavie, la Slovénie est indépendante depuis 1991.
Selon Aleksandar Boskovic, la Slovénie fut si longtemps coincée entre l’est et l’ouest qu’elle a littéralement disparue de la carte. Plus que cela elle n’a jamais été visible, ajoute-t-il. À la remorque des changements et des conflits qui la saisirent, ce pays aurait plus ou moins consciemment opté pour la politique du laisser-faire. La Slovénie fait partie de ces pays considérés comme des zones intermédiaires entre la civilisation et les régions « sauvages » (qui est à l’abri de cette caricature du monde?). Boskovic conclut en signifiant à quel point la Slovénie actuelle sort de nulle part: « Creatio ex nihilo at its best » (Ctheory, Virtual Places).
Un pays bien branché mais aussi un pays culturellement actif sur le Web à travers le Multimedia center KiberSRCeLab à Kibla. Et pour découvrir le pays sous ses différents aspects historiques et culturels.
La démarche exemplaire
La démarche de Vuk Cosic prend sa source dans l’écriture, mais le choix d’un véhicule à ses idées a toujours suscité une interrogation, une ambivalence. Ainsi il a, entre autres, transposé celles-ci sous forme de Land Art et d’expositions en galerie. Il a aussi activement participé à des manifestations étudiantes à Belgrade, au point où il fut candidat (avec d’autres) au Prix Nobel pour son leadership contestataire. L’archéologie est la discipline universitaire (thèse en cours) qu’il a choisie. Un parcours pour le moins hybride, déployé dans diverses directions à l’image d’une activité en réseau. Pas étonnant donc de le voir surgir dans l’interréseau. (Tiré d’une entrenvue sur Telepolis)
Cosic n’est pas atypique pour autant, en effet le contenu socio-politico-critique apparaît dans plusieurs discours artistiques rencontrés sur le Web, que ce soit à travers un groupe spécifique d’artistes, un regroupement ou un acte ponctuel clairement ciblé. L’art et le politique ont de plus en plus maille à partir. Les oeuvres de Cosic possèdent une qualité critique dominante que ce soit à travers le regard cynique du pastiche ou d’un regard amusé sur les stéréotypes de l’histoire de l’art. Internet permet, en ce sens, un renouvellement du discours critique entre l’art et la société et, dans cette mesure, le cyberespace change la nature et la valeur des échanges.
Finalement, affirmer que les médias de masse ont longuement négligé l’activité artistique non officielle (celle qui n’a pas reçu la reconnaissance politique ou culturelle générale), ne surprendra personne. Dès lors, il n’est pas étonnant de constater que l’interréseau soit généreusement utilisé par les jeunes artistes. Une fois engagés dans l’alternative qu’est le cyberespace ils joignent, à une production d’objets virtuels, une activité critique stratégique. Cela permet de plus une diffusion internationale qui évite l’impasse de la consécration muséale. Une consécration arrimée aux contraintes des délais et des refus sucessifs ainsi qu’à une représentativité somme toute restreinte parce qu’elle s’attache à un espace concret. Notons toutefois que les musées d’art contemporain s’engagent progressivement dans une activité de promotion et de valorisation des oeuvres dédiées au Web. Il s’agit là d’un volet important de la nouvelle muséologie qu’on devra suivre de près dans les prochaines années.
L’oeuvre dédiée au Web
L’histoire de l’art dans les aéroports a été sélectionnée par la première Biennale d’art contemporain de Montréal (1998). Une histoire de l’art stéréotypée à souhait, réduite à quelques schémas pictographiques animés et inanimés. Si le carré blanc sur fond blanc de Malevitch convient parfaitement à ce type d’exercice, que choisir, par contre, pour représenter (sur un panneau routier par exemple) Cézanne ou les frères Lumière? Cosic nous le donne en mille dans cette oeuvre qu comporte deux facettes: la première critique le statisme de l’histoire de l’art; l’autre pointe sur l’aspect touristique des grands événements muséaux. Rafraîchissant. Cosic présente aussi une version de cette oeuvre pour les non-voyants, sons et imagerie adaptée à l’appui (ascii history of art for the blind).
Un artiste pour le moins enjoué à l’idée de réorganiser les idées préconçues quelles qu’elles soient. Dans cette même ligne d’attaque, on lui doit le célèbre vol du site de la Documenta X de Kassel (1998). Quelques heures avant le retrait officiel du site sur l’interréseau, Cosic déclare alors qu’il pompera celui-ci en son entier pour le faire vivre sur un autre serveur, le perpétuer. Une autre façon de contrer l’exclusivité (une valeur de richesse dans le monde de l’art) en multipliant ou en régénérant les données numériques. Nous voilà au coeur de la problématique du numérique, sa virtualité intrinsèque et son ubiquité.
Les responsables de la Documenta n’avaient, semble-t-il, d’autres choix que de paisiblement constater l’usurpation. Le fait que cet événement n’ait pas fait grand bruit du côté des responsables de la Documenta tend à corroborer la validité du principe d’universalité, implicite à l’interréseau. Ce geste, peu ou pas réclamé par les médias officiels du monde de l’art, tend à démontrer que les actions virtuelles n’ont pas encore la force d’impact qui leur permettrait de s’inscrire dans le discours. Pourtant, dans un contexte concret, ce type d’intervention en aurait ébranlé plus d’un.
Cosic est aussi un pasticheur. Dans son clin d’oeil à Jodi, intitulé Jodiblink, on assiste à de multiples tremblements d’images qui puisent dans l’iconographie HTML de Jodi. Metablink, une véritable performance HTML à l’écran, présente une grille de cases dans lesquelles le noir et le blanc clignotent ou fusionnent, créant ainsi une suite ininterrompue d’événements visuels. Bunker (pyjama) est une variante des précédentes, soit une succession de bandes verticales en multifenêtrage qu’on a le loisir de déplacer ad infinitum. Ce type d’oeuvre est basé sur le langage HTML (un langage de présentation, de mise en forme), il est abordé ici comme un véritable matériau à partir duquel l’oeuvre s’élabore. Ce travail de création diffère d’une production artistique utilisant la programmation proprement informatique (le Java ou le langage C), comme on peut le constater dans les oeuvres de Sawad Brooks par exemple.
Vuk cosic est un artiste prolifique qui brouille les cartes et s’active allègrement dans l’interréseau. Toutes ses productions sont rassemblées à l’adresse suivante : http://www.vuk.org/.