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Critiques

Compte rendu d'ISEA 2000

C’est à Paris, en décembre 2000, que se tenait le dixième Symposium annuel sur les arts électroniques organisé par l’Inter Société des Arts Électroniques (ISEA) et Art3000. Sur le thème de la RÉVÉLATION, cet événement annuel couvrait le large spectre des différents enjeux et médias entourant la production artistique liée aux nouvelles technologies dont les récents développements technologiques, le rôle des institutions dans la sphère des nouveaux médias, leur intégration dans diverses disciplines telles la danse et la performance, etc. ISEA 2000 a permis aux organismes internationaux et à de nombreux artistes de réfléchir sur les derniers développements de même qu’il offrait l’occasion d’anticiper sur les évolutions à venir. Avec plus de 250 conférences, interventions, expositions, performances et événements organisés conjointement avec les institutions parisiennes, et comportant une sélection de projets artistiques pour le Web ainsi que des cédéroms, cet événement international réunissant artistes, théoriciens, organisateurs de festivals et gens de l’industrie des nouveaux médias offrait des possibilités de rencontres et de discussions.

Je souligne ici certains moments forts et donne quelques aperçus des thèmes majeurs et des problématiques abordés lors d’ISEA 2000.

8 décembre 2000

1. Global et local

Modérateur: Nils Aziosmanoff, président et fondateur d’Art3000 à Paris. 

  • André Santini, Maire d’Issy-les-Moulineaux depuis 1980
  • Philippe Quéau, directeur de la Division de la Société de l’information à l’UNESCO
  • Etienne Krieger, directeur du HEC Start-Up Institute
  • Louis Bec, chercheur explorant les liens entre les domaines de l’art, de la science et de la technologie.

Cette conférence, abordant plus particulièrement l’influence du rôle social, économique et politique dans le développement de l’Internet, portait essentiellement sur les préoccupations de la France relativement aux subventions (dont le gouvernement est la source principale) et sur l’espace public dans le Web. Le débat tournait principalement autour de la mainmise des États-Unis dans le développement de l’Internet et de l’infiltration massive de la langue anglaise sur le Web. Originaire du Québec et étant moi-même bilingue, j’ai trouvé particulièrement intéressant que le Québec soit souvent cité en exemple dans le développement de stratégies linguistique(s) et culturelle(s) dans un univers Web à dominante anglophone. 

André Santini soulignait, pour sa part, l’importance de rencontrer les gens en chair et en os et démontrait comment Issy-les-Moulineaux (la Silicon Valley parisienne) est devenu un centre de développement des technologies de l’information qui favorise ce genre d’interactions avec les principaux intervenants impliqués dans la culture et la technologie.

Philippe Quéau signalait, quant à lui, le pouvoir politique potentiel d’un lobbying en faveur des pays du tiers monde émergeant sur Internet. Somme toute, la conférence nous rappelait qu’il reste beaucoup à faire pour réaliser un village global équitable et respectueux de la diversité culturelle – chose qu’on oublie facilement lorsqu’on travaille dans une Amérique du Nord anglophone.

2. L’archivage comme forme d’art ou l’esthétique des base de données

Cette série de conférences individuelles mettait en scène des artistes oeuvrant avec les bases de données, sur le plan esthétique et conceptuel, principalement à travers des projets interactifs et dédiés au Web. Elle était modérée par Karen O’Rourke, laquelle a également organisé une exposition parallèle à ISEA avec ces artistes.

+ Eduardo Kac–«Time Capsule»

La surveillance électronique et les implants génétiques sont à la base de ce projet initié en 1997 au moment où Eduardo Kac s’implantait une puce électronique à la cheville comportant un numéro d’identification programmé. Ce transmetteur permanent à basse fréquence (principalement utilisé pour retracer les animaux) a été enregistré au nom de Kac, à la fois en tant qu’«animal» et «propriétaire» afin qu’on puisse le suivre. «Time Capsule» combine l’intégration des biotechnologies, la mémoire et la surveillance, thèmes récurrents chez l’artiste et qu’il développe dans ses travaux transgéniques récents tel le projet «GFP Bunny».

http://www.ekac.org/

+ George Legrady–«Des souvenirs dans les poches»

Conçu au départ comme un événement interactif en galerie (bientôt accessible en ligne), «Des souvenirs dans les poches» joue avec les archives personnelles, les bases de données structurées et l’interactivité. À caractère participatif, ce projet de collage utilise comme matériau des objets scannés par les spectateurs. Invités à scanner le contenu de leurs poches, les visiteurs en galerie doivent en un second temps accoler une description aux objets à partir d’un certain nombre de qualités antagonistes, par exemple chaud-froid. Ces descriptions subjectives fournissent la base d’un archivage de ces objets dans une base de donnée changeante et malléable, constamment modelée par le nombre croissant d’entrées.

http://www.merz-akademie.de/~george.legrady/

+ Lev Manovich–«Freud-Lissitzky Navigator»

La narration et la fiction s’entremêlent dans ce jeu historique et archivistique fondé sur la rencontre de Sigmund Freud le psychanalyste, El Lissistzky l’architecte et Sergei Eisenstien le cinéaste. À partir de la question : «Qu’arriverait-il si Freud devait construire une maison à l’image de sa conception de la psyché?». Manovitch y répond avec un prototype de navigateur à niveaux multiples, toujours en développement, dans lequel se mêlent des artefacts visuels et des narrations biographiques inspirées de la psychanalyse, de l’architecture, du cinéma et des jeux du vingtième siècle. 

http://www-apparitions.ucsd.edu/~manovich/FLN/index.html

9 décembre 2000

3. Manœuvrer l’intelligence, Révélation du pouvoir

Modératrice : Sara Diamond, directrice du Centre d’art de Banff (Alberta, Canada), présentait les récentes créations et recherches de l’Institut des nouveaux médias du Centre d’art de Banff.

http://www.banffcetre.ab.ca/cfa/

+ Elisabeth VanderZaag–«Talk Nice»

Basée sur la technologie de la reconnaissance vocale, «Talk Nice» est un jeu interactif qui force les participants à parler avec des intonations aiguës en fin de phrase de manière à entrer en interaction avec deux jeunes femmes sur vidéo. Mettant en relief une série de 100 vidéos interactives préenregistrées, ce projet mise sur des notions féministes subverties, reflétant et transformant la dynamique interactive à la fois subtile et puissante de la parole.

+ Arcangel Constantini–«Atari-Noise»

«Atari-Noise» est une brillante réappropriation des sons d’Atari (le plus populaire des appareils muni d’un un microprocesseur à avoir existé). 

Élaboré pour le Web, sous forme d’archives visuelles et sonores, il fait office de jeu, de performance, d’instrument ou simplement d’archives selon le contexte de présentation. La version Web devient une méta-instrumentation de toutes les sonorités possibles sous Atari et pouvant être jouées dans une cacophonie de séquences sonores et visuelles.

http://www.atari-noise.com/

+ Susan Kennard et Sara Diamond–«Code Zebra»

Encore en développement, «Code Zebra» sera un environnement visuel mobile de «clavardage» dont les patterns coïncideront avec les mouvements des idées, des émotions, de la souris (curseur) ou des cellules du cerveau. Les bavardages en ligne produiront ainsi des motifs visuels et des sons. Ce site s’adressera autant aux artistes qu’aux scientifiques et sera à la fois archives, performance, lieu d’échange et de rencontre.

http://www.codezebra.net/

4. Jason Lewis, directeur du Arts Alliance Laboratory à San Francisco, a parlé de son projet intitulé «ActiveText: Project», un processus d’expérimentations radicales dans la façon de traiter et d’interagir avec le texte, ainsi que des multiples performances et usages du Text Organ, présenté à l’échelle internationale. Le Arts Alliance Laboratory s’intéresse au développement du texte interactif, de la poésie et de la performance.

http://www.aalab.net

5. Anthony Kiedl, conservateur à la Dunlop Art Gallery à Regina, a abordé la représentation du «mignon» dans le contexte de la globalisation propre à notre société post-nucléaire, idée issue de la récente exposition «Fluffy», présentée à la Dunlop Gallery. Située dans l’immeuble de la Bibliothèque municipale de Regina, la Dunlop Art Gallery a présenté de nombreuses expositions questionnant l’arrivée massive de la culture populaire dans le monde de l’art.

http://www.dunlopartgallery.org/

10 décembre 2000

6. L’art numérique est-il contemporain?

  • + Modérateur : Philippe Cordognet
  • + Manuela de Barros
  • + Maurice Benayou

L’événement s’est terminé autour d’une discussion polémique et explosive sur le rôle des nouveaux médias au sein des structures bien établies en art contemporain comme les musées, les galeries d’art et les biennales. Sans point de convergence possible, un débat s’est ensuivi sur le rôle que devrait jouer l’institution, principalement dans la validation des œuvres en regard des réseaux autonomes émergeant soit dans l’Internet, la culture musicale ou à travers différents modes indépendants de production, de diffusion et de présentation.

Finalement, aucun consensus ne s’est manifesté — laissant les institutions et les individus devant un problème irrésolu sur la manière de négocier dans le futur la production, la diffusion et la conservation des œuvres issues des nouveaux médias –- enjeu qui semblait au cœur du festival des nouveaux médias.

7. En conclusion

À l’heure où les institutions s’interrogent sur leur rôle vis-à-vis des nouveaux médias et des initiatives indépendantes de diffusion de l’art, il est peut-être pertinent de questionner aussi la raison d’être des «festivals de nouveaux médias». Comme tout événement de cette ampleur (couvrant une vaste série d’événements), un «festival de nouveaux médias» offre des possibilités incroyables mais comporte aussi des contraintes; comment rendre compte d’un art en pleine effervescence en seulement quatre jours.

Alors que la technologie «envahit» notre univers tout en étendant sa culture à l’échelle planétaire, on ose espérer que la ghettoïsation des nouveaux médias soit chose du passé. Innovations technologiques mises à part, peut-être pouvons-nous dépasser une analyse de l’art médiatique fondée uniquement sur le media et plutôt la considérer à partir d’une approche multidisciplinaire tel que démontré lors d’ISEA 2000 dans certaines présentations centrées sur la danse, le théâtre, la performance et la musique.

Malgré de remarquables exposés, conférences et interventions, on constate avec regret que dans ce genre de festival on ne fait pas toujours le pont avec les œuvres, riches d’expériences et de découvertes, présentées au cours de l’événement. Ironiquement, c’est dans un lieu légendaire sans lien direct avec ISEA 2000, que j’ai eu l’expérience artistique la plus percutante : le «Palais des Mirages» du Musée Grévin (le Musée de Cire de Paris), réalisé pour l’Exposition universelle de Paris en 1900. Cette chambre cinétique de sons et lumières porte en elle les signes précurseurs de la poussée technologique qu’on retrouve aujourd’hui dans les installations multimédias et la réalité virtuelle. Devra-t-on invoquer les esprits des foires et des expositions passées pour en arriver à éblouir à la fois les sens et l’esprit?

Notes

Traduction: Kathleen Goggin et Pierre Robert.

Ce compte rendu de Valérie Lamontagne a été diffusé initialement en anglais sur la liste Rhizome. Il est aussi disponible sur Mobilgaze, un collectif voué à la promotion des oeuvres numériques, dont fait partie Valérie Lamontagne.