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Critiques

Le son impossible

Lors ma visite à la Galerie B-312, j’étais seul, seul de ma personne dans une salle où les moindres bruits s’entendent. Un vide incommode sous un éclairage blanc comme neige. Aux aguets, je parcours les lieux du regard à la recherche de signes, inertes ou vivants. Seul le bruit de mes pas semble s’accorder à mes attentes incertaines. Qui plus est, je marche à la rencontre de l’Angle mort, une installation de Frédéric Lavoie.

C’est d’ailleurs un angle mort qui nous conduira dans une enclave aux murs blancs, à l’intérieur de la galerie, dans laquelle un écran lumineux rectangulaire, ressemblant à un tableau, semble flotter. Tout autour de la pièce, incrustées aux quatre coins des murs, de noires enceintes acoustiques. En se positionnant à une courte distance et à hauteur des yeux, on regarde confortablement en direction du tableau, il est aussi possible d’en faire le tour, de déambuler, de marcher derrière ce tableau suspendu d’où émane une lumière blanche. 

Des séquences vidéographiques projetées sur la surface avant du tableau, mais donnant l’impression que l’image provient du tableau même, se suivent de façon ininterrompue. L’épaisseur d’environ 12 cm du tableau nous rappelle continuellement qu’il s’agit d’un objet tridimensionnel. Les séquences présentent des personnes défilant chacune pour un court laps de temps, sans effet particulier, en un clin d’œil (le temps d’une image) on passe de l’une à l’autre. Chaque personne, dont l’âge varie entre 20 et 30 ans, attend, assise à une table de bois verni qui se prolonge indéfiniment hors du cadre visuel. Bien au centre de ce tableau, sur un fond noir, on constate que chacune d’entre elles exécute les gestes coutumiers lorsqu’on est en situation d’attente, soumis au silence, dans une expectative à la fois retenue et agitée : tapotements, grattages, étirements, caresses de surface, détournements de la tête, changements de positions corporelles, mains jointes et déjointes, craquements, etc.

Ce microcosme gestuel issu de l’angle mort (l’attente), terme fort bien choisi pour nommer ce phénomène social si particulier et typique, est littéralement braqué par une armada de microphones. Le résultat amplifié de cette captation sonore sort, à volume élevé, des enceintes acoustiques disposées dans la salle, provoquant un décrochage entre les gestes vus et les bruits entendus. Il est en effet impossible, lors d’une première audition, de faire un lien simple et direct entre les deux. Le son nous grimpe littéralement aux oreilles, nous agresse par son effet inattendu, tandis qu’on contemple les gestes avec une certaine distance. L’écart entre les deux, dérange. Discorde sensorielle. Froide anatomie d’un silence rempli de sons.

Cette gêne fait écho à l’attitude même des participants à ce test d’endurance inopiné. Remplie de ces effets, notre perception change peu à peu pour se cantonner lentement dans un voyeurisme qui invalide les repaires identitaires, les différences. Tout se résume alors à des corps indisposés, en mal d’une action signifiante, d’un signal libérateur, toujours à venir et jamais résolus. Le vide généré par ce moment en devient étourdissant.

Si ce n’était des réactions vives des participants, amenées par l’absurde d’une situation que tous viendront à comprendre, le malaise serait presque intolérable. Quand les sourires fusent et que les éclats de rire explosent, on se sent soulagé que l’expression libre reprenne ses droits. Des textes en voix off sont aussi entendus, difficilement audibles dois-je dire, je ne m’y suis pas attardé, les croyant surfaits en rapport avec l’idée première de ce vide rempli de sons à la recherche de sens.

Une installation vidéographique à visées anthropologiques, à regarder seul, comme on le fait devant une nature morte ou un angle mort… À déguster lentement.