Monique Jean, Point d’attaches ou les infidélités rotatives
Monique Jean nous invitait dans un espace dégagé, dans lequel prenait place son dispositif sonore, toutefois, malgré notre pleine liberté de mouvement dans cet espace, c’est dans l’ambiance sonore que l’on devait inévitablement cheminer.
Si l’espace de la salle stimule le jeu de la proximité et de l’éloignement, créant ainsi différents positionnements entre nous et l’œuvre sous sa forme objet, la spatialisation des effets sonores nous conduit pour sa part à mille lieues, dans des univers devenus étrangers par leur inaccessibilité ou leur présence retenue. Les montées et les descentes progressives, les dérives de pitch à connotation plaintive et quelques sons précipités et soudains nous amènent à comprendre l’œuvre comme la subtile distribution d’un langage dans l’espace-temps. Un langage imbriquant la voix, l’intention et la pure émotion, soutenu par des fréquences, des vagues, des soupirs, de rares intonations agissant comme de coups de semonce, donnant à notre présence une valeur d’incident, de concrétude, d’arrêté.
Les nuances s’enchaînent doucement, mais avec une expressivité qui, jamais, ne fait relâche, l’œuvre paraît s’animer d’une grande maturité dans son discours. Le développement des idées entendues ne faiblit que pour se reposer des intensités vécues, pour retrouver le nécessaire équilibre qui permettra à ce langage sourd de retrouver une voix pour s’exprimer. S’approcher, non il faut plutôt s’en éloigner, la recevoir, car elle vient à nous constamment avec une opiniâtreté désarmante. L’œuvre sonore a une personnalité, une voix intérieure.
Le dispositif est grave, le mur totémique en fond de scène est fabriqué de haut-parleurs vierges, branchés les uns aux autres, formant un courant compact de fils agglomérés qui disparaissent discrètement dans le mur. Des haut-parleurs en forme de bouches, de voix, d’émetteurs, une série de totems verticaux, minces, statiques mais frontaux. Sur le plancher, pas de console visible, tout tient dans la spatialité du son, sa présence tactile et ce mur aéré de vibrants totems.
Derrière ce mur du son, une lumière projetée plein centre vers le bas d’un mur blanc distant d’un mètre, crée un effet de contre-jour, évoquant une grandeur hors du commun. On peut circuler, voir derrière ce pan sonore. C’est peut-être alors un moment trompeur, car on a l’impression d’approcher le centre des émissions sonores, de se lover dans le ventre du dispositif, on y découvre plutôt la froide banalité technique du dispositif. Un jeu de coulisse qui nous laisse pantois.
À bien y penser, il y a dans ce dispositif sans fard, un effet que l’on retrouve dans la trame sonore; en effet, dans cet imaginaire musical des instants furtifs nous rappellent l’incontournable réalité du monde concret, l’idée même de la production culturelle.
Ne pas feindre pour mieux convaincre, voilà un des messages perçus lors de notre expérimentation de l’oeuvre. L’effet et sa construction, sans que l’un ou l’autre n’en pâtisse, dans une brusque harmonie baroque.