Aller au contenu
Cyberthéorie

Radicaux libres : Sur les pas de la réalisation d'une installation médiatique in situ

« Ceci tuera cela. Le livre tuera l’édifice. […] La presse tuera l’église. […] L’imprimerie tuera l’architecture »1. Victor Hugo expliquait ainsi dans Notre-Dame de Paris le passage de la théocratie à la démocratie à travers le remplacement des lettres gravées dans la pierre par celles fondues dans le plomb. Aujourd’hui, c’est le livre que l’on condamne à être tué par la télévision et la télévision par l’ordinateur. Si on en croit cette logique, les nouvelles machines à communiquer éliminent les anciennes au même rythme qu’elles remplacent une façon de penser par une autre. La réalité est plus nuancée. L’édition électronique n’a pas fait du codex un objet obsolète et l’ordinateur n’a pas encore rendu caducs les caractères d’imprimerie. Les nouvelles techniques ne font pas qu’innover, elles empruntent aussi beaucoup aux conventions traditionnelles. Pour forger les modèles technoculturels de demain, nous pouvons tirer encore bien des choses du passé, notamment de certaines conceptions imaginées à partir de la littérature et de l’architecture. C’est un héritage que l’on peut retrouver notamment chez Borges2 qui a projeté des écrits insolites qui nous permettent aujourd’hui d’appréhender le déferlement d’information de l’ère hypertextuelle. Une grande part de l’œuvre littéraire de Borges est incidemment marquée par des livres fantastiques qui cherchent, en vain, à épuiser toutes les permutations potentielles des signes. Cette part de l’univers borgésien est un espace-temps aux dimensions relatives que nul ouvrage conventionnel n’arriverait à contenir. Ainsi, l’auteur a esquissé plusieurs bouquins fabuleux en les décrivant sous une forme surdimensionnée libérée des limites physiques et techniques du papier. De même, il a suggéré des cartes et des bibliothèques proportionnées à l’échelle de l’Univers qui témoignent, en quelque sorte, des limites de l’imprimé et du bâti face à la difficulté d’interprétation qui résulte de la prolifération presque infinie des écrits. C’est librement à partir de cette vision borgésienne de l’espace livresque que j’ai conçu et réalisé, en collaboration avec Philippe Jean3, l’installation in situ Radicaux libres à la Grande Bibiliothèque du Québec4.

Radicaux libres