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De la Régénération! Introduction

Jocelyn Fiset, Oil painting, Copenhague, 2015

Il n’y a pas si longtemps, l’artiste était à l’avant-garde de son temps

À l’avant-garde par rapport au clair-obscur, à l’impressionnisme, au cubisme, en fait, à l’avant-garde d’une esthétique toujours renouvelée. 

De nos jours, tout est esthétique, comme l’expliquent Gilles Lipovetsky, Jean Serroy et Yves Michaud dans leurs ouvrages respectifs : L’esthétisation du monde ; vivre à l’âge du capitalisme artiste et L’art à l’état gazeux.

Pour nous régénérer, nous avons aujourd’hui accès à l’esthétique des nouvelles technologies.

Il n’y a pas si longtemps, l’artiste travaillait dans la solitude de son atelier.

De nos jours, on compare souvent le processus créatif des artistes à une démarche scientifique, ou vice-versa, pourtant il y a bien longtemps que les scientifiques travaillent en collaboration.

Pour se régénérer, dans nos sociétés de plus en plus complexes, les artistes des arts visuels commencent à sortir de la solitude de leur atelier pour réaliser des projets soit avec d’autres artistes, soit avec des chercheurs dans des disciplines différentes. 
 
Pour se régénérer certains artistes développent l’aspect relationnel de leur démarche d’artiste pour se fondre dans la foule.
 
Pour se régénérer, une certaine catégorie d’artiste évoque la complexité des nouvelles technologies comme argument pour ne plus avoir à travailler seul.

Il n’y a pas si longtemps, le GRAVE était pionnier. 
 
Pionnier de la recherche et du développement dans ce que nous avons appelé les pratiques recyclantes en art. Nous avons présenté, pendant deux décennies, des œuvres qui prennent en compte l’idéologie du recyclage et de la récupération dans une région qui est le berceau du développement durable au Québec, celle du Centre-du-Québec. 

De nos jours, tout le monde recycle. Pas nécessairement de la bonne façon, pas nécessairement comme cela doit être fait mais parce que les règlements municipaux l’exigent. 
 
Pour se régénérer, le GRAVE compte sur de nouveaux concepts, de nouvelles approches, de nouveaux engagements, merci à vous toutes et tous d’avoir été là pour y contribuer.

Il n’y a pas si longtemps, l’artiste du développement durable était pionner.

De nos jours, des centaines de désigners, artisans et « patenteux » en tout genre tirent profit des rebuts et fabriquent « ad nauseam » des objets de consommation.

Pour se régénérer, les pionniers du développement durable ont compris qu’ils ne doivent pas servir uniquement à réutiliser et à transformer les tonnes de déchets de la société dans l’objectif de lui donner bonne conscience. 

Il n’y a pas si longtemps, j’étais moi-même un pionner.

Dès 1985, j’ai travaillé à la remise en question du métier d’artiste visuel alors que j’arrivais dans le milieu professionnel poussé par un fort désir de correspondre aux nouvelles réalités naissantes qui déjà laissaient entrevoir les immenses défis à venir.

Pour me régénérer, j’ai beaucoup lu ;

« … ce que Malévitch et Mondrian ont compris dans le même temps historique, c’est que le métier et l’abandon du métier sont une seule et même chose. Que les abandons successifs qui ont fait l’histoire du modernisme jusqu’à eux, celui du clair-obscur par Manet, celui de la perspective par Cézanne, celui de la figuration par eux-mêmes, n’étaient pas une sorte de salubre nettoyage par le vide qui devait précéder la construction d’un métier nouveau, mais qu’ils étaient ce métier. Que la peinture d’avant-garde affirmait des valeurs nouvelles là-même où elle semblait nier les anciennes ; et que cette affirmation, cette construction, n’avait besoin d’aucune autre justification que la destruction apparente de la tradition. Car cette destruction n’est qu’apparente : ce qui est abandonné l’est parce qu’il est déjà mort, assassiné non par les peintres mais par les conditions historiques, sociales, économiques, technologiques qui, depuis l’industrialisation, ont fait de la peinture un métier impossible. »

Nominalisme pictural : Marcel Duchamp, la peinture et la modernité,
Thierry De Duve (Minuit, 1984, p. 227)

ll n’y a pas si longtemps, j’ai vécu mon aggiornamento. Bien avant que l’on ne parle de développement durable je me suis donné comme leitmotiv de « limiter la production d’objet en art pour augmenter la production de sens dans la société ».

Nomadisme protecteur VI , 2005, Série d’interventions humanistes pour espaces publiques, Auxois-Morvan (France)

Au cours de mes nombreuses années de pérégrination d’artiste nomade créant des actes d’art éphémère sur les places publiques de nombreuses villes dans le monde, j’ai essayé de trouver des solutions d’artiste à des problèmes de société en complète rupture avec tous mes prédécesseurs, en m’attaquant directement au système qui depuis longtemps fait vivre les artistes : l’économie de marché ! 

Jocelyn Fiset, Le dôme, 150 Polaroïds,2005, installation

À cette époque, ce désir de régénération n’avait rien d’un projet esthétique, ce n’était ni une critique du support ou de la surface, ni un débat sur la figuration versus l’abstraction.  Les préoccupations qui ont toujours sous-tendue ma création n’ont jamais été d’ordre esthétique, mon art visait, et vise toujours, directement le système de consommation dans un projet social. Pour ce faire, il s’agissait simplement de ne plus avoir d’atelier, de ne plus produire de tableau, de ne plus faire d’exposition, ni de vernissage, il fallait remplacer l’absence d’objet de consommation par la présence de l’artiste en pleine action dans une grande accessibilité de rencontre avec le public, puisqu’il n’y avait rien à vendre.

La marque du Nomade 6.0, intervention de Jocelyn Fiset, Avallon (France), 2013

Malgré 30 ans de pratiques artistiques, préoccupés, engagés, malgré tous les discours prometteurs des politiques, force est de constater que nous sommes encore et toujours sous le joug de la loi de la jungle capitaliste où l’argent des plus fortunés et des plus puissants, contribue plus que jamais à tout corrompre ! Nos sociétés modernes vivent toutes sur de l’argent emprunté aux banques et aux grands groupes financiers internationaux à l’image de nos existences qui, elles, vivent sur du temps emprunté aux générations futures dont on constate déjà que leur espérance de vie sera moindre que la nôtre si rien ne change. Nous n’apprenons pas de nos erreurs. La crise se poursuit toujours et nous sommes loin d’être certain d’en voir bientôt la fin. Nous fonctionnons comme si nous attendions le moment d’atteindre le point de bascule (tipping point) qui fera tout s’écrouler comme un jeu de domino.  Nous vivons dans des sociétés qui se radicalisent toujours plus profondément vers des extrêmes dogmatiques, qu’elles soient de droite ou de gauche, avec des idéologies qui ne sont plus des projets au service de la société mais des dictatures de la pensée érigées en systèmes au service des Grands Lobbys Internationaux qui sont à des années lumières de se préoccuper du facteur humain.

La marque du Nomade 6.0, intervention de Jocelyn Fiset, Avallon (France), 2013

Et pendant ce temps, que font les artistes ? Comme si de rien n’était, ils créent. Ils peignent, dessinent, photographient, sculptent de manière pléthorique des œuvres destinées à inonder le marché de l’art car, au fond d’eux-mêmes, ils ne diffèrent pas de la moyenne des arrivistes ambitieux, espérant devenir riches en vendant le fruit de leur labeur. Production et surproduction de la société, production et surproduction des artistes. Il y en a même un qui s’est amusé, il y a quelques années, au pire moment de la crise économique et des malversations des bandits à cravate, à passer outre le système des galeristes pour vendre directement ses œuvres dans les encans d’art les plus réputés du monde. Toute la société était en émoi pour cause de crise économique et Monsieurdécide de jouer avec ce qu’il y a de pire dans la société ; la spéculation! Nous sommes embourbés dans une société qui élève au rang de méga stars internationales des artistes à l’esprit de métal tel Damian Hirst et Jeff Koons. 

De nos jours, cette réalité est majoritaire.  C’est cette réalité que le monde « ordinaire » désire, celle de l’égo, du glamour, du bling bling, du vedettariat et du Star système ! 

De nos jours, nombreux sont les artistes qui font des happenings, de la performance, de l’art relationnel, du land art, mais rares et marginalisés sont ceux qui pratiquent une seule et unique discipline, éphémère et anticonsumériste.

Selon l’étude de Mélodie T Blais, Application et efficacité d’une thérapie basée sur les inférences auprès d’une population d’accumulateurs compulsifs : une étude de cas clinique il y aurait environ 4% de la population souffrant du trouble d’accumulation compulsive d’objets (Samuels et al., 2008). L’impact sur leur vie peut être dommageable pouvant mener à des divorces, des pertes d’emploi ainsi qu’à des troubles de santé mentale et physique. 

Cette envie d’acquérir ou d’accumuler de nouveaux objets est perçue comme impossible à contrôler pour l’accumulateur. S’il ne le faisait pas cela aurait pour effet de lui causer de la détresse ou un inconfort important (O’Connor, St-Pierre-Delorme, & Koszegi, N, 2012).

Dans cette seule description des effets sur les accumulateurs compulsifs qui sont considérés comme atteint d’une maladie par les spécialistes, j’y vois simplement la description de la majorité de la population de nos pays industrialisés qui, s’ils ne sont pas précisément accumulateurs compulsifs, sont sûrement des consommateurs compulsifs.
En ce sens la majorité de nos semblables souffriraient de trouble compulsif.

Le processus de RÉGÉNÉRATION devrait aider à traiter ce genre de comportement chez nos contemporains, autrement les efforts afin de construire la société de demain demeureraient vains.

Qu’est-ce qu’il y a dans nos cerveaux pour que nous tenions tant à nous accaparer et thésauriser la matière. De quelle maladie souffrons-nous pour vouloir accumuler à l’infinie et à tout prix toute sorte de choses ? 

En fait l’idée de régénération est présente depuis au moins 30 ans, mais elle n’a jamais réussi à imprégner les valeurs et les habitudes de vie de la société et très peu le milieu artistique lui-même.

La marque du Nomade 6.0, intervention de Jocelyn Fiset, Avallon (France), 2013

Pour se régénérer et régénérer la société, l’artiste devra trouver les moyens de devenir plus persuasif et convainquant sinon plus contagieux.

Finalement il est incroyable de constater qu’avec tous les moyens de communications, toute cette puissance technologique que nous possédons et que nous contrôlons, que nous, artistes, soyons encore des marginaux dans la société et dans le monde !

Merci à Samuel Bergeron (étudiant au Cégep de Victoriaville et stagiaire au GRAVE, été 2015).