C’est la question que pose Nathan Shedroff et ses réponses se condensent en 3 pages ultra concises. D’entrée de jeu la situation est claire, l’interactivité n’existe pas vraiment dans ce monde des nouvelles technologies, alors qu’au contraire le discours habituel ne cesse de vanter l’aspect interactif de ces nouvelles technologies (Pierre B. Landry du Musée des beaux-arts du Canada et Richard Sainte-Marie du site Arts Visuels Actuels répondaient dans le même sens à notre question sur le rapport entre l’information et la communication dans l’expérience du Web).
Non seulement l’affirme-t-il, mais il énumère les programmes et les logiciels qui ne sont pas interactifs. Parmi ceux-ci, le célèbre Flash de Macromedia, ce logiciel d’effets spéciaux grandement prisé pour sa souplesse et sa rapidité d’exécution à l’écran. Le JavaScript et les bannières rotatives entrent dans cette même catégorie. Ça bouge mais ce n’est pas interactif pour autant. La majorité des cédéroms, la télévision interactive (Vidéoway par exemple, câblo distributeur québécois), le contenu en général, lire un livre font aussi partie d’une interactivité moribonde.
Shedroff passe en revue plusieurs technologies et activités dans leur rapport à l’interactivité en prenant comme base ce registre du passif à l’interactif. Selon lui, ce qui approche une forme d’interactivité ce sont les narrations non linéaires, les forums de discussion ou de bavardage, certaines formes de personnalisation des environnements, les jeux vidéo et électroniques et les environnements MUD (jeux de rôle sur Internet, gérés par un « sorcier »).
Par contre, sont franchement interactifs les éléments suivants : les conversations, raconter une histoire, les applications logicielles, jouer au soccer, construire et décorer, tous les jeux.
L’auteur nous conduit ensuite vers une suite de tableaux qui tente de définir explicitement ce qu’est l’interactivité.
Les constituants de l’interactivité sont : la rétroaction, le contrôle, la productivité, la créativité et la co-créativité, la communication et l’adaptabilité. Il nous rappelle que ces constituants valent pour les médias mais aussi pour toute autre forme d’expérience. Viennent ensuite des tableaux comparatifs par média dans lesquels chacun des consituants de l’interactivité est coté.
Les médias comparés vont du livre à la conférence en passant par la télévision et le cédérom. À titre d’exemple, la télévision et la radio ont des cotes identiques; un contrôle, une rétroaction et un niveau de communication faible, avec une absence de productivité et d’adaptabilité.
Une application logicielle (le traitement de texte par exemple) présente un autre tableau ; un certain contrôle et une certaine rétroaction, une grande productivité, une absence de communication et une certaine adaptabilité. À l’autre bout du registre, les rencontres, la conversation, le sport et les jeux obtiennent une cote optimale pour chacun des constituants.
Une des plus mauvaises notes revient aux expositions artistiques; aucun contrôle, aucune rétroaction, aucune productivité, aucune communication, aucune adaptabilité. Évidemment, il faut se rappeler qu’il s’agit d’un filtre relatif à l’interactivité, il ne faut pas interpréter cela comme un jugement esthétique, et que, dans l’esprit (non initié) de Shedroff, les arts visuels sont vus dans une perspective ultra traditionnelle, soit la galerie de peintures et de sculptures visitée dans un statisme muet. Ceux et celles qui fréquentent la diversité des dispositifs actuels, savent que l’interactivité est souvent présente dans les galeries. Toutefois, il faut bien admettre qu’en général « l’esprit galerie » est encore très présent.
D’ailleurs, lorsque vient le moment de nous indiquer ce qui est intrinsèquement interactif, Shedroff ne manquera pas de mentionner peindre et sculpter. Cela crée une drôle de distorsion entre la teneur interactive associée au producteur et l’absence d’interactivité chez celui qui reçoit l’objet. À l’image d’un ensemble complexe de ficelles contrôlables qui finirait par un noeud inextricable.
L’Internet n’a pas une grande estime dans le viseur de Shedroff. Rien n’y serait vraiment interactif. Mais, contre mauvaise fortune bon coeur, il daigne tout de même nous donner quelques exemples de sites considérés comme ayant une valeur interactive. Dans un rapport à la rétroaction et au contrôle, le site du Musée Stedelijk est mentionné, ouf! Nous voilà sauvés, car ce sera le seul site culturel en lice.
Rappelons que ces observations concernent l’état actuel de l’interactivité vu dans un viseur global et comparé. Il y a lieu de croire que les choses peuvent changer rapidement en ce qui regarde les médias électroniques et leur intégration tant dans les arts que dans la vie.