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Cyberculture

Art et médias en perspective

Marshall McLuhan en a fait la pierre angulaire à toute réflexion sur les médias : le médium est le message. Alors, comment le Web, le média des médias, change-t-il la donne relativement à la représentation du milieu des arts visuels? 

D’abord, rappelons quels sont les médias favorisés par le milieu traditionnel des arts visuels. L’apport informatif le plus important provient des revues. Elles sont nombreuses et chacune représente un courant (moderniste, postmoderniste, historique, ethnologique, archéologique, technologique, etc.) ou une problématique (contemporanéité, multidisciplinarité, sociologie, photographie, peinture, installation, architecture, arts technologiques, etc.) ou, encore, un territoire (international, continental, national, urbain, régional, etc.). Du côté des journaux, seul quelques uns offrent un point de vue sérieux et régulier sur les activités artistiques courantes auxquelles s’ajoutent un point de vue critique sur les grands musées. La télévision (québécoise et canadienne) se démarque par l’absence d’un intérêt véritable si ce n’est par des émissions en provenance des télés communautaires qui, à cet égard, font un excellent travail quoique marginalisé. 

Ce tableau sommaire des organes de diffusion dans le domaine des arts visuels en révèle les particularités. Cela démontre que le milieu est subdivisé en autant d’intérêts relevant des courants, des problématiques ou du territoire, ou d’une combinaison de ceux-ci. Les courants et les problématiques sont incontournables et, en ce sens, l’art dédié au Web en fait partie, c’est-à-dire un art conçu spécifiquement à l’intérieur des contraintes et des possibilités techniques du Web. Le territoire, a priori inexistant avec l’art Web, ne sera sensible que par la langue dans laquelle l’oeuvre s’exprime (en autant évidemment qu’une langue participe de l’oeuvre), la géographie importe moins, sinon pas du tout. 

Donc, il y a un art Web comme il existe un art pictural, sculptural, photographique, etc. Compte tenu de sa présence sur l’interréseau, l’art Web a l’avantage d’une promotion en ligne instantanée que ce soit par l’entremise du site du créateur, de la création à l’intérieur d’un site hôte ou par l’entremise d’une revue électronique comme Archée. En contrepartie, l’art Web manque souvent de ressource pour se faire connaître à l’extérieur de l’Internet. En conclusion, il existe un art Web diffusé hors des voies traditionnelles du milieu des arts visuels, actif sur l’interréseau et appuyé par un réseau d’intérêt déterritorialisé. 

Les changements sont beaucoup plus marqués lorsqu’on aborde la question de la diffusion. Avant le Web, le milieu s’approprie des zones concrètes, des morceaux stratégiques sur l’échiquier des motifs et des intérêts souvent liés aux subventionneurs gouvernementaux. Prenons exemple de l’internationalisme versus le régionalisme. Entre les deux, dans le système conventionnel, il s’érige une barrière assez étanche. Cela est dû à un ensemble de facteurs convergents. Des facteurs de représentation nationale, d’échelle économique, de culture et de positionnement sur la carte des arts visuels. Les circuits internationaux sont économiquement gourmands en relations, déplacements, événements, coûts, organisations, etc. Les circuits régionaux fonctionnent souvent en vase clos avec de petits budgets et pour un public restreint, sauf dans le cadre d’événements spéciaux ayant une portée internationale. Le Symposium de la nouvelle peinture de Baie Saint-Paul (Québec) est, à ce titre, exemplaire. Ajoutons que dans ces cas, l’événement rejoint aussi une politique touristique régionale.

Comme on peut le constater, il y a deux ordres de grandeur dans la représentativité du milieu des arts visuels. En somme cela paraît normal, car tous ne peuvent se retrouver sur une même scène. Ce qui l’est moins, par contre, c’est la disparité quant aux possibilités de passer d’une scène à l’autre. N’entre pas qui veut dans le cercle de l’art contemporain international et ne sort pas qui veut du régionalisme. Pour créer un artiste contemporain international, il faut investir 80 000$ (Can) et plus par année pendant au moins 10 ans, aucun succès international en deçà de cette échelle. Pour subvenir au besoin d’une petite communauté à travers une galerie régionale, il en coûtera peut-être deux fois moins pour satisfaire plusieurs artistes. 

Un autre problème lié à ce système de diffusion provient du coût de production. Une revue par exemple allouera environ 60% de son budget à la fabrication matérielle et à la distribution. Qui plus est, le réseau de distribution s’avère réservé à quelques points de vente stratégiques, ce qui laisse en plan bon nombre de lecteurs potentiels. Par ailleurs, du côté de la consommation, un petit calcul sommaire nous indique que pour avoir une vision générale de ce qui s’écrit dans les revues, un consommateur doit s’attendre à débourser entre 30$ et 50$ par mois. Un montant énorme si on considère le profil économique de ceux et celles qui fréquentent le milieu.

C’est pour ces raisons, entre autres, que le Web s’avère un outil de communication incomparable. Non seulement offre-t-il beaucoup plus à moindre frais mais il permet une plus grande diffusion. La diffusion n’est plus, dans ce contexte, un obstacle à la connaissance. En termes clairs, cela signifie que le Web autorise une consommation culturelle élargie, accessible, qui change graduellement la perception même du milieu des arts.

Depuis le modernisme, l’idée de l’objet ou du concept comme but et fin de l’exercice artistique est devenue la norme parce que le système est basé sur l’individualisme. Avec le postmodernisme une autre idée s’élabore, conséquente de la première, à l’effet que tout objet est interprétable. Un artiste ne peut représenter une époque seulement si le discours en décide ainsi, sans ce discours pour en soutenir la validité, l’artiste disparaît avec ses créations, il n’a aucune visibilité reconnue hors du système établi. L’interprète, en ce sens, a une valeur égale à celle de l’artiste, il n’en dépend pas. Devant l’objet, l’interprète possède une autonomie, un savoir, des repères intellectuels. Il faut voir dans ce nouvel espace partagé, souvent contesté ou remis en question par les artistes eux-mêmes, une esthétique écosophique (une réflexion dynamique) naissante. 

Le démembrement des idéologies culturelles fortes a engagé les activités artistiques contemporaines sur la voie des recherches affranchies et surtout diversifiées. C’est ce qui caractérise l’art tel qu’on le conçoit couramment, soit un espace à la fois de liberté d’expression et d’alliances particulières, personnelles, sociologiques, politiques et autres. 

Il ne s’agit pas de créer une nouvelle plate-forme idéologique ni une mosaïque incompréhensible, alambiquée ou sans début ni fin. Ici, l’importance de la réalité et des appuis prend tout son poids. L’architecture du milieu se fonde sur des organismes indépendants les uns des autres tant du point vue de la création, de la diffusion que de la critique sans pour autant vivre séparément d’un point de vue culturel. Chacun des ces trois niveaux propose des informations relatives aux activités, aux productions et aux visions humaines. Archée, dans le cadre du cyberespace artistique, souhaite participer à cette riche diversité.