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Cyberthéorie

De la critique dans les arts numériques : l'expologie au service d'une pensée de la médiation

Les arts numériques sont en manque de reconnaissance, parce qu’en manque de discours. Mais que fait donc la critique ? Cruellement silencieuse, étonnamment absente, élégamment excusée, plus rarement dénoncée. Edmond Couchot s’y risque cependant, régulièrement, avec conviction. 

Dans son article « La critique face à l’art numérique : une introduction à la question », publié récemment dans L’œuvre d’art et la critique1, il se risque à avancer le fait que l’art interactif « tend à déposséder la critique de sa fonction de médiation », (après avoir défini cette dernière comme essence et but de la critique d’art depuis le XIXème siècle). 

En s’appuyant sur l’analyse des nouvelles relations entre l’artiste et son public, induites par les nouvelles formes, technologies et procédés de création, il nous montre comment, selon lui, « la mission de médiation attribuée par la modernité au critique d’art devient inopérante » dans le cadre des arts numériques

L’expologie (la science de l’exposition) nous apporte cependant des éléments susceptibles d’éclairer bien différemment la place nouvelle de la médiation dans les arts numériques, en définissant l’origine du silence critique comme la résultante d’une erreur d’appréciation de la fonction de médiation, et non comme la conséquence de son hypothétique disparition.

Edmond Couchot analyse avec pertinence le mode opératoire des arts numériques, et le passage d’une « esthétique de la participation à une esthétique de l’interactivité » qui « change en profondeur les relations entre l’œuvre, l’auteur et le spectateur ».2 

Ce point est essentiel, et nous nous accordons avec l’auteur lorsqu’il avance que ces nouvelles formes d’expression « tend[ent] à refonder, d’une certaine façon, les relations internes de la triade oeuvre, artiste, public ». En effet, la nécessaire participation du spectateur, qui le rend spectateur-auteur de l’œuvre, chargé d’une responsabilité dans le processus d’achèvement de l’œuvre, modifie les rôles et les fonctions attribuées à chacune des parties. L’émergence de nouvelles formes d’actions-créatrices conduisent à une nécessaire redéfinition des rôles dans le processus créateur. 

Ce n’est donc pas sur cette redistribution et cette mutation des fonctions que nous ne suivrons pas avec Couchot, mais sur ce qu’il en déduit. « Ces notions elles-mêmes [nous dit-il, se référant à la triade oeuvre-artiste-public-], dans leur acception classique, deviennent obsolètes dans une logique de l’interactivité. L’interactivité fait disparaître, ou tend à faire disparaître les barrières qui séparent et spécifient les trois éléments de la triade ; elle modifie et déplace leurs fonctions, ou leur mode d’être particulier ; elle les rend perméables les uns aux autres ; elle les hybrident. Il en résulte que la mission de médiation attribuée à la critique devient inopérante ». Oui, elle modifie, déplace, hybride aussi, dans une certaine mesure. Non, elle ne fait pas disparaître, elle ne rend pas perméable les uns aux autres, les trois éléments de la triade

Et c’est justement dans cette erreur d’appréciation des artistes comme de la critique, qui ferait s’illusionner sur une quelconque suffisance de l’art numérique, sur une technologie envisagée, pensée comme médiatrice, que réside l’effacement de la critique et le silence qui entoure la création numérique. Mais la technique n’est pas à elle même sa propre médiation. C’est en pensant ainsi la dilution de la fonction de médiation dans la technologie et en considérant à tort que la technique contient et assure sa propre médiation, que les arts numériques réduisent la critique au silence. Et c’est en ne se pensant pas suffisamment comme un élément de médiation que la critique se dissout elle même dans l’art numérique.