L’espace nous donne corps. Il nous dresse à la verticale, nous étend contre l’horizon, module nos gestes et même nos pensées ou sentiments. Nous l’imaginons vide, alors qu’il est chargé et contraignant. Nous le pensons géographique, social, national, économique, relationnel, culturel, virtuel ou spirituel, alors qu’il est tout cela à la fois. Composite et lié au temps, l’espace est une dimension déterminante de notre relation au monde. Depuis longtemps, l’espace constitue l’objet des recherches plastiques et esthétiques de Philomène Longpré.
Jeune artiste, Philomène Longpré s’intéressait à ses espaces intérieurs, cherchait à leur donner formes et couleurs pour les rendre visibles. Très vite, elle réalisa que ses espaces intérieurs débordaient sur l’extérieur. Elle les suivit jusqu’en Asie. Là, dans ces pays où le nombre se fait multitudes, elle redécouvrit l’espace par le manque et l’encombrement. Surchargé et surpeuplé, l’espace physique rapetissait autour d’elle, la contraignant à resserrer ses mouvements contre son corps. Devenue particule élémentaire au sein de l’innombrable, Philomène Longpré se sentait emportée par des courants omnidirectionnels ; le mouvement des autres résonnait en elle et devenait la source de ses propres mouvements. Pour redevenir sujet de ses mouvements, il lui fallait d’abord intégrer ceux des autres. Et conquérir, à même l’espace qui la contraignait, un autre espace. Un espace dans lequel elle serait, à nouveau, libre de ses mouvements. Dans un environnement chargé de dieux, cet espace pouvait se construire entre le ciel et la terre. Il serait aussi infini que le ciel, mais se définirait sur terre.
Inscrite au programme d’art électronique de l’Université Concordia dès son retour d’Asie, Philomène Longpré poursuit ses recherches avec des moyens nouveaux et une conception renouvelée de l’espace. Employant l’image vidéo, le langage numérique et ses possibilités interactives, l’environnement d’intervention et le corps humain, elle crée des lieux d’expériences au sein desquels l’être humain, soumis aux règles d’un espace physique contraignant, devra conquérir son espace propre. Ouvrant l’espace créé sur son environnement immédiat, Philomène Longpré joue des frontières entre imaginaire et réalité, espace virtuel et espace physique. Elle construit des espaces hétérogènes dans lesquels le mouvement est continu.
Dans Plato’s cavern (2000), Philomène Longpré observe un individu osciller entre le désir de quitter ses lieux d’origines, contraignants, et la crainte d’ainsi disparaître. Dans Cycle (2001), l’individu trace son orbite entre espace collectif et espace singulier en suivant un mouvement cyclique. Dans Passage (2002), il marche vers son espace propre, emportant avec lui, bagages intérieurs, ses lieux d’origines. Et enfin, dans Silence inexistant (2002), Philomène Longpré créé un espace quotidien tellement contraignant qu’il ne peut qu’être source de douleurs pour l’individu incapable, malgré ses efforts, d’y trouver le silence recherché. Dans chacune de ses installations vidéo, Philomène Longpré fait de la conquête de l’espace un enjeu individuel. L’enjeu est renouvelé dans Octopus, où la conquête est compromise de façon involontaire par la communauté.