D’une pression de doigt Gregory Chastonky nous invite à décristalliser l’îcone originaire et singulière de notre existence dans le monde, l’icône identitaire qui nous distingue, ce dessin en creux que tracent les crêtes papillaires de l’épiderme pulpeux de notre empreinte digitale, qui porte notre identité au même titre que notre empreinte génétique ou notre ADN. Notre identité se trouve ainsi désacralisée, dépourvue de son caractère stable et immuable mais augmentée de la capacité de révéler les processus aléatoires qui l’ont amenée à se concrétiser, à se solidifier dans une image, support de tout portrait. Et cela par une pression de doigt qui devient l’interface d’un processus interactif numérique. L’empreinte sur un grand écran incarne dès lors un paysage à la structure arborescente dont la force centrifuge, engloutissant tout horizon possible, aspire dans une plongée en abîme ce qui reste de notre identité. On assiste à un champ de variations de signes de passages qui se suturent, se décomposent, se fragmentent, se liquéfient dans la subtilité figurale du numérique, dans une mutation infinie.
Les termes insinuation, insinuer, prennent alors tout leur sens, autant celui d’une affirmation que celui qui « sous-entend », se faufile, se glisse dans la peau d’un autre peut-être ? L’artiste, par une pression de doigt, nous fait déroger à un acquis jusque-là inattaquable. Devant cette figurabilité affolante de la dislocation, l’illusion de devenir transparent, fluide, impalpable, fuyant, à l’image d’avatars virtuels, nous saisit, car, nous le savons, nous nous transformons dès que nous entrons en relation avec les autres, mais aussi avec notre propre pensée sur les autres et sur le monde. Pour en accentuer l’effet, il oppose ces flux d’images d’identités flottantes à des portraits-empreintes de personnages connues, sorte de cases identitaires immuables, statufiées dans la conscience collective par une spectacularisation de l’apparence d’identité arrêtée.
Tout comme dans Anonymat, un de ses précédents projets, il remet en question le principe d’identité et, comme à son habitude, il cherche à déconstruire les règles établies en poursuivant une démarche de chercheur, non pas celui qui reconstitue l’histoire à partir de fragments, mais qui fragmente le monde pour y déceler sa fragilité, ses zones floues, par des procédés qui provoquent et accroissent toute perception sensible.
Par ce travail d’élucidation de la trace et son processus de randomisation, et de hasardisation, l’artiste interroge le mystère de la cristallisation autant de l’empreinte digitale que de l’empreinte figurale de l’image médiatique dans une esthétique insinueuse, sinon sinueuse, de déconstruction des acquis en replaçant la notion de destin au cœur de l’aléatoire numérique.