Aller au contenu

Créativité immersive au Symposium IX (SAT, 2014)

Cet article revisite, sous forme synthétique, les principales dimensions liées à l’expérience de l’immersion telles qu’abordées par les conférenciers, tous des pionniers en la matière, en regard de chaque thématique et présente les dimensions artistiques des œuvres immersives proposées chaque soir au public durant le symposium.

Ces œuvres présentées à la SAT se définissent par un croisement, entre immersion, performance technoartistique et performativité, à la rencontre de l’humain et du non-humain dans un lieu sphérique. Le contexte créatif permettait d’explorer artistiquement, technologiquement et de façon participative les mutiples possibilités que recèlent le dome et sa configuration visuelle et sonore. En effet l’architecture du dome de la SAT et ses dimensions offrent un espace singulier que les artistes peuvent expérimenter de multiples façons.

Ainsi les concepteurs, créateurs et programmeurs de l’évènement puisent leurs sources dans des photos, des captations sonores, en rapport avec un lieu, des corps, des visages et des formes dont ils programment un déploiement en vue de créer une rencontre inédite. Avec la technologie mise à leur disposition, ils produisent un environnement immersif, visuel et sonore singulier. 

Sur le plan expérientiel, ils veillaient à favoriser l’engagement esthétique des participants dans un événement singulier et collectif d’état de conscience augmenté, dans la triangulation du lieu, du corps et de l’œuvre.

De leur côté, les participants vivaient une expérience immersive. En position étendue, assise et parfois debout, ils accueillent la proposition avec leur sensorium non seulement visuo-auditif mais kinesthésique et proprioceptif.

Innovations et Formats avec Jeffrey Shaw

Qui ne se souvient en effet de Legible City (1988-91) et de Golden Caft (1994) ?

Jeffrey Shaw, pionnier de la réalité augmentée et du cinéma numérique interactif, est présenté à juste titre par Luc Courchesne comme un « passeur immortel ». En plus de ces deux œuvres canoniques, rappelons The Virtual Museum (1991), Place-A Users Manual (1995), conFiguring the CAVE (1997) et the Web of Life (2002).

Jeffrey Shaw: Legible City, Responsive Environment 1988-91

Avec Legible City (1989), le participant et se promène en vélo dans une ville virtuelle, composée de mots, de phrases et de textes urbains. Les édifices sont remplacés par des lettres, qui forment des mots, puis des phrases. Ces villes virtuelles, qui composent des narrations, correspondent à des plans de villes telles Amsterdam, Manhattan, Karlsruhe. L’alphabet et l’écriture sont donc intégrées à l’expérience qu’offre la lecture d’une ville par le déplacement du corps en vélo. Divers niveaux de langage se croisent illustrant l’avènement d’un nouveau paradigme esthétique.

Dans le cas de The Golden Calf (1994), le regardeur prend dans ses mains un moniteur couleur LCD déposé sur un piédestal et connecté à un ordinateur. L’écran montre une représentation du piédestal avec une image de veau d’or. En bougeant le moniteur atour du piédestal, le regardeur peut l’examiner d’en haut et d’en dessous et de tous les côtés. La surface brillante comme un miroir du veau d’or reflète d’autres angles de l’installation. Il en ressort un cérémonial qui ressemble à un rituel fantasmatique.

L’évolution des œuvres de Shaw, des plus lointaines aux plus récentes, expose les multiples dimensions de sa démarche créative, en utilisant des paramètres novateurs et une grande diversité de formats immersifs qu’il a créés et utilisés pour supporter une esthétique en perpétuel renouvellement, étroitement rattachée à l’histoire des cultures.

Jeffrey Shaw, Bernd Lintermann »Cupola« (2004)

Pour MovieMovie (1968), l’écran est au sol et les visiteurs peuvent sauter dessus en recomposant toute sorte d’images. 

Avec Heavens Gate,(1987) un écran au plafond et un miroir au sol favorisent chez le participant une sensation de suspension entre ciel et terre, tout en interreliant le baroque et le spatial.

The CAVE (1997) propose la manipulation d’une interface, une marionnette de bois avec senseurs, dont on peut modifier le comportement et notre propre point de vue. 

Avec The Panoramic Navigator (1997), le participant entre dans l’histoire des représentations. 

Enfin, pour Web of Life (2002), le participant enchaîne des lignes sur le fond d’une toile abstraite collective.

TVisionarium on TV (AKA Project T_Visionarium II)

Au fil des ans, Shaw a collaboré avec de nombreux artistes internationaux tels Tjebbe van Tijen, Theo Botschuijver, Dirk Goeneveld, Peter Gabriel, Agnes Hegedues, David Pledger, The Wooster Group, William Forsythe, Dennis del Favero, Peter Weibel, Jean Michel Bruyère, Gideon May, Bernd Lintermann et Sarah Kenderdine. En parcourant les méandres de son site Internet, les lecteurs intéressés pourront y puiser des références complémentaires. 

Ce rôle actif que Shaw assigne au participant permet de vivre des expériences qui l’amènent, dans un contexte inédit, à (ré)écrire les alphabets, à (re)dessiner des images fixes et mobiles et à (re)visiter des images canoniques de l’histoire de l’art, de l’histoire des civilisations ainsi qu’à co-narrativiser des fictions. Sa création artistique et l’intervention esthétique ont engagé depuis un dialogue incessant.

Comme il le dit lui-même, Shaw ne construit pas des choses : 
– Il invite le public à participer avec son œuvre d’art : « The viewer performs the work ». 
– Il crée des situations d’opportunités. 
– Il joue avec l’espace de représentation pour qu’il devienne co-présent et co-actif avec l’espace physique. L’actuel devient alors un croisement en temps réel du virtuel et de l’actualisé. 
– Il allie le cinéma étendu, cinéma numérique interactif, avec une variété d’écran de projection, d’écran transparent, d’écran de toutes tailles et localisés à l’horizontal, à la verticale, en haut et en bas du participant. 

Son esthétique se démarque par l’agencement individuel que l’expérimentation singulière de ses œuvres favorise dans un contexte collectif.

Outils et Workflows avec Miller Puckette

Miller Puckette s’est fait connaître comme créateur du logiciel Max, une interface de développement graphique pour la musique et le multimédia qu’il a conçu lorsqu’il travaillait à l’IRCAM à la fin des années 1980. En 1990, il crée un logiciel dérivé de Max msp, Pure Data (pd) qui est diffusé cette fois en open source. Depuis 1994, il est le directeur associé du centre de recherche en arts et informatique de l’université de San Diego, Californie.  

Son propos se concentrait sur la question suivante : Comment adapter les outils technologiques pour favoriser l’expérience immersive ? 

Il joint la pratique à la parole en nous faisant expérimenter une diffusion sonore, en somme il produit sa spatialisation en interchangeant les paramètres. Nous réalisons que certains localisent la provenance du son à gauche ou à droite ou au milieu alors que d’autres la localisent à l’opposé. La spatialisation de la diffusion sonore est hautement liée au contexte dans lequel elle s’effectue et comporte une large part subjective. 

Quant au son, il importe de tenir compte de sa nature selon qu’il est émis par un haut-parleur ou par un instrument. Selon le cas, il est possible de créer un champ plus large que celui couvert par les haut-parleurs. Comme le son et sa spatialisation provoquent d’innombrables illusions, les participants sont invités à tenir compte des paramètres dans lesquels ils évoluent. Il est bon alors de se poser les questions suivantes : 

Quelle en est la situation ? 
Comment faire pour que ça fonctionne ? 
Voulez-vous vous ressentir une immersion sonore ou plutôt ressentir une chose localisée à un endroit précis ? 
Comment pouvons-nous ajuster le feedback ou le délai ? 

Excellent communicateur, Puckette prend l’exemple d’un chanteur d’opéra ou d’un trompettiste et souligne leur crescendo dans l’espace. Il va même jusqu’à jouer lui-même un solo de guitare électrique. 

Il nous démontre ainsi que les paramètres technologiques sont fortement influencés par les conditions du contexte physique et celles de la réception. Cette variabilité militerait pour des performances génératives live davantage que pour des performances programmées d’avance. Il importe donc de tenir compte de la triangulation créée par le propos artistique, les paramètres technologiques et les conditions de l’environnement.

En fait, Puckette explique comment les composants (affects, forces, qualités) humains et non-humains influencent la composition sonore et contribuent à produire des émotions chez le participant. Comme l’écrit Max Mathews dans la préface du livre de Puckette (2006):

« The Theory and Technique of Electronic Music is a uniquely complete source of information for the computer synthesis of rich and interesting musical timbres. The theory is clearly presented in a completely general form. But in addition, examples of how to synthesize each theoretical aspect are presented in the Pd language so the reader of the book can immediately use the theory for his musical purposes. I know of no other book which combines theory and technique so usefully. »

Création et Initiatives avec Michael Naimark

Be Now Here Triptych | Michael Naimark

Michael Naimark, artiste en nouveaux médias et chercheur explore la représentation de l’espace et son impact culturel. 

Ses œuvres font partie des collections permanentes de l’American Museum of the Moving Image à New York, de l’Exploratoriumà San Francisco et du ZKM | Center for Arts and Media à Karlsruhe en Allemagne. Ses installations à grande échelle incluent des salles de séjour peintes en blanc à l’aérosol, sur lesquelles il projette du matériel visuel et des pièces stéréo-panoramiques aux planchers rotatifs.

Naimark présente un panorama historique des caméras tournantes et des plans séquences qu’elles permettent d’effectuer. Il s’intéresse entre autres à l’effet du train qui donne l’impression que le train avance alors que c’est celui d’à côté qui est en mouvement. Il introduit ainsi l’effet de rotation de l’image produit par la rotation du sol. Toutes ses créations et ses initiatives tournent autour de la spatialisation de l’image, des effets de rotation et des approches panoramiques stéréo. Il approfondit également le rapport entre l’espace et ses différentes temporalités.

Précédemment invité comme conférencier d’introduction à Sydney en Australie, ISEA2013 le présente en ces mots :

« Naimark has made interactive ‘moviemaps’ and stereo-panoramic movies around the world, ranging from Aspen, Paris and San Francisco to Angkor, Jerusalem and Timbuktu, and his living room projections (as well as object, face, and eyeball projections) were precursors to today’s large-scale projection mapping. […]
In 2006 he initiated a USC research project, Viewfinder, to explore ways of democratising Earth mapping and modeling. […]
Naimark is currently developing several new projects, most notably Liiive.tv. »

Valorisation et Partage avec David McConville

Avec son enthousiasme communicatif, David McConville génère chez les participants une dose d’énergie palpable. 

Président du conseil d’administration du Buckminster Fuller Institute et artiste médiatique et chercheur, il développe des outils et techniques pour explorer les défis complexes auxquels l’humanité est confrontée. Pendant ses recherches doctorales transdisciplinaires au Planetary Collegium à l’Université de Plymouth il a examiné le rôle historique et contemporain des pratiques de visualisation dans l’élaboration de visions du monde.

Visualizing Cosmic Models, David McConville

Selon sa vision, si le 20e siècle a exploré le cosmos, la lune, la voûte interstellaire, le 21e siècle semble se consacrer à fuir la terre. Pour appréhender divers enjeux planétaires et cosmiques, il serait utile, à son avis, de créer des modèles de visualisation des écosystèmes qui entourent et traversent l’humanité. La fertilisation croisée peut exercer une contamination positive, affirme McConville. À cet égard, l’architecture arthétypale de la sphère valorise l’immersion. Associée à la symbolique religieuse à travers l’histoire, la sphère est également porteuse de fantasmagories. 

En guise de valorisation de la sphère et de l’immersion, il mentionne la Biosphère de Montréal qui pour lui est en somme un géoscope fantastique. « Nous sommes des agents, rappelle-t-il, ainsi nous avons intérêt à développer des principes en accord avec nos intentions, des design qui permettent de définir et de comprendre les problèmes que nous rencontrons ». 

Il ne cherche pas à convaincre, mais plutôt à inspirer. 
« Vous n’avez pas à convaincre les gens, offrez-leur plutôt des design d’environnements qui les modélisent. Les gens en viendront à leur propre conclusion. Votre enthousiasme est la meilleure approche. » 

Sa présentation, émaillée de retours historiques sur les plus grandes réalisations du monde ainsi que sur celles de Buckminster Fuller (1895-1983) illustre très bien ses propos. Quant aux problèmes gigantesques que l’humanité rencontre actuellement, il propose de les solutionner, non pas en confrontant les résistances, mais en construisant de nouveaux modèles. C’est ce qu’a fait Buckminster Fuller en appliquant sa science des mathématiques à des créations novatrices qui se démarquent encore aujourd’hui.

Œuvres immersives

Les artistes invités au dôme ont présenté des œuvres immersives qui constituent dans l’ensemble un kaléidoscope d’images abstraites, géométriques ou inspirées d’architecture, de reliefs géologiques, d’atmosphères géographiques dont voici quelques exemples :

Quantum (François Wunschel/ Fernando Favier/ Laurent Novac), production immersive  réalisée à partir de formes cubiques et de leurs déclinaisons, évoque l’imaginaire des théories de la physique et du cosmos. 

Nimbes (Joanie Lemercier/ James Ginzburg), production immersive également, construit un univers dystopique en construisant un rhizome de filets à partir de la représentation d’une montage, de ses paysages monochromes et austères.

Fragments (Will Young/ Jake Williams/ Ben Gannaway), performance immersive, explore les circuits de la mémoire, comment les souvenirs se reconstituent en autant d’histoires constamment renouvelées.

Carapace (Mary Franck/ Kadet Kuhne), performance audiovisuelle en temps réel, est une allégorie existentielle qui élabore la question de l’identité personnelle en dépliant et dévoilant des espaces architecturaux. 

IRM (Live) (Bruno Ribiero alias Nohista), performance audiovisuelle immersive également,  transforme la SAT en un scanner géant qui combine les images d’un danseur avec des éléments génératifs graphiques et sonores, renvoyant ce faisant à la technique d’imagerie médicale de l’intérieur du corps humain en 2D ou 3D.

En somme, plusieurs réflexions et productions présentées durant ce premier Symposium IX (SAT 2014) militent en faveur d’approches plus humanistes. Aussi elles interrogent tant les modes perceptifs, les affects que les conditions planétaires qui prévalent actuellement, dont 
voici quelques phrases clés :

“Bring emotion to the participant.”
“Develop on other state of consciousness.”
“Tell a story, recreate narrative, narrativize it in immersion.”
“Take care of the effects that affect and consider the ethic level.”
“We have to think about the big problem of archiving.”

L’édition du 2e symposium IX (SAT 2015) a eu lieu du 20 au 24 mai.