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Entretiens

Audifier et spatialiser l'Einfühlung

Dans cette seconde partie de l’entretien avec Lorella Abenavoli, il sera question de son rapport aux éléments et aux matériaux, d’affect et de certains choix qu’elle a effectués dans son travail de sculpteure. Il sera aussi question des dimensions historiques et technologiques, mais aussi écologiques, artistiques et poétiques, qui ont renouvelé ses conceptions de la forme, de la représentation et du temps. Enfin l’artiste explique le terme « so(g)nification », néologisme qui lui est propre, et le met en relation avec les multiples sens de la sonification.

Entretien avec Lorella Abenavoli (partie 2)

Forces telluriques et cosmiques… art sonore

Dans la première partie de cet entretien, on a échangé sur l’émotion intense que tu as ressentie à l’étape de la création. Nous explorerons maintenant la question de l’affect. Brièvement, l’émotion est la part subjective que nous ressentons par exemple lorsque des affects dépassent notre capacité d’absorption ou encore nous ébranlent et nous font trembler, comme tu l’as dit précédemment. L’affect, tel qu’entendu ici, correspond aux forces, aux intensités, aux qualités qui circulent partout.

À mon avis, tant Le Souffle de la Terre que Verticale ou Défaut originaire nous mettent en contact avec des forces de l’existence et de la vie sur terre. Nous communiquons ainsi  avec des éléments fondamentaux. Considérant la transition climatique en cours avec l’anthropocène, ces œuvres sonores comportent non seulement une valeur écologique, mais aussi archivistique quant aux mutations en cours avec les innombrables conséquences, que l’on connait,  sur la faune, la flore le vivant dans son esemble, mais aussi sur la fréquence et l’intensité des forces géologiques et climatiques.

Comment te situes-tu par rapport à tout cela? Qu’est-ce que l’art sonore à l’ère de l’anthropocène ?

Ta question comporte plusieurs dimensions tout aussi complexes les unes que les autres. Il y a un mouvement international de l’art sonore, nommé écologie sonore pratiquant le field recording, dont l’énoncé du projet le plus complet revient à Raymond Murray Schafer et dont les acteurs consacrent leur vie professionnelle à l’enregistrement de la sonosphère en vue de témoigner tout d’abord de cette abondante et merveilleuse dimension écologique, mais aussi d’en constituer une archive, une mémoire pour l’humanité ainsi que de composer des œuvres à partir de ce « matériel ». L’œuvre de Bernie Krause exposée à la Fondation Cartier à l’été 2016 ou celle de Knud Viktor présentée à la Maison du Danemark à Paris à l’hiver 2018en témoignent.

Je ne pense pas m’inscrire dans ce mouvement. D’abord parce que je rends sonores des données inaudibles. Le paysage sonore n’est donc pas mon objet principal. Le son dans mon travail est un médium qui rend perceptibles des dimensions vibratoires du monde que notre appareillage sensoriel occidental ne perçoit pas ou peu. Par ailleurs, je n’ai pas le désir de travailler à conserver, sous la forme de sons fixés, le monde qui disparaît. Cela m’apparaît trop morbide et douloureux. La question de la conservation est d’ailleurs arrivée très tôt dans mon travail sonore et j’ai vite pris le parti de ne pas enregistrer la sonification des données traitées en temps réel, de ne pas les réifier. L’œuvre apparaît et disparaît au gré du traitement en temps réel des phénomènes audifiés. Peut-être que sur le plan de la transmission, du faire-savoir et de ma vie d’artiste cela est contreproductif.

Par contre je peux affirmer que je désire sauver, métaphoriquement, quelque chose en rendant sensibles et conscients le souffle et l’évanescence des choses. J’ai la conviction qu’une œuvre capable de donner à sentir la part sacrée du monde est plus agissante qu’une œuvre qui tenterait d’illustrer un discours. Parler d’écologie à propos de l’œuvre de Knud Viktor par exemple me semble un enrobage pour pousser le public – et le pouvoir, le commun, les institutions – à prendre la mesure d’un travail dont les réels enjeux sont en fait de nature poétique. Précisons que je ne sépare pas le poétique du politique, cependant la dimension politique du poétique n’est pas facilement instrumentalisable.

De même que je ne sais comment répondre à des appels à projets qui exigent que l’artiste et son œuvre s’inscrivent dans « des préoccupations écologiques ». Je fais partie du monde, il n’y a pas de dichotomie entre mon travail et ma pensée éthique et politique : les formes de mon travail tentent toujours de prendre en compte l’ensemble de ces questions. Le médium son et sa nature évanescente, le traitement temps réel qui induit dans mon art l’acceptation de l’émergence de formes non maîtrisées, la saisie des tremblements et des bégaiements des corps, de la flore, de la Terre, bref, l’ensemble des décisions esthétiques que je prends pour élaborer mes œuvres tient compte poétiquement de ces questions écologiques.

En amont de ce travail se trouve l’Einfühlung déjà évoquée dans la première partie de notre discussion. Peut-être pourrions-nous préciser à nouveau ses sources ?

Au début des années 1990 j’ai découvert le texte Asbtraction et Einfühlung de Whilem Worringer qui énonçait la notion d’Einfühlung1 pour décrire le processus psychique en action dans l’élaboration des œuvres qui s’inspirent des formes de la nature. Dans ce texte il disait à peu près ceci : lorsque les artistes pratiquent une forme de figuration naturaliste, ils expérimentent un déplacement de l’expérience du sensible de leur propre corps vers et dans le « corps » de l’objet dont ils s’inspirent et qu’ils représentent. Stefania Caliandro en 2004 parle d’une délocalisation du sensible où la frontière de la matière charnelle s’évanouit comme limite et devient perméable voire inconsistante. Cela décrit assez bien ma propre expérience dont je ne maîtrise pas du tout le phénomène lorsqu’il advient, mais dont le mot désigne cette attraction pour les forces de la nature ou, disons à nouveau ici, de la phusis2. Cette expérience évacue toute symbolisation et ainsi toute différenciation entre moi et ce qui serait extérieur à moi. Cette expérience est probablement le stade primitif de l’écologie, celui où j’inspire le monde, je deviens monde. Toute la tension et l’enjeu de la production artistique qui lui succède, consistent en la transformation de cette expérience hermétique en une œuvre partageable, c’est-à-dire dont la forme s’inscrit dans une culture commune.

J’entends dans le terme d’affect que tu utilises, ce qui m’affecte, ce que mon corps saisit et ce qui, en retour, saisit mon corps tout entier. C’est ce qui se passe lors de l’Einfühlung. C’est cette relation primitive ou primordiale avec les forces du monde qui nourrissent mon art et qui en ce sens incorporent inconditionnellement ce que l’on nomme l’écologie.

Plusieurs artistes en effet ne se sentent pas concernés par certains appels à projets qui semblent confiner l’œuvre d’art dans un corridor trop étroit par exemple d’écologie environnementale. Par ailleurs, certaines œuvres d’art, qui mettent en relief un élément naturel, du seul fait qu’elles adviennent actuellement, semblent être de plus en plus associées par le public, spécialiste ou amateur, à l’écologie, en raison de la période critique dans laquelle l’anthropocène vient de nous introduire. Toutefois la notion d’écologie reliée à l’art est plus large. Pour Guattariqui nous mettait en garde contre les dangers d’une écologie réduite à la nature3, l’écologie est tridimensionnelle, à la fois environnementale, sociale et individuelle. Avant lui Bateson proposait une vaste écologie relationnelle ou esthétique d’interaction cosmique4.

Mais j’aimerais revenir au lien très intéressant que tu fais entre le « stade primitif de l’écologie » et « cette relation primitive ou primordiale avec les forces du monde qui nourrissent ta production artistique ou comme tu dis « ton art » et qui en ce sens incorporent inconditionnellement ce que l’on nomme l’écologie. »

Justement, en termes plus concrets, ressens-tu la force, l’intensité ou la qualité des éléments avec lesquels tu travailles ? J’aimerais que tu puisses distinguer ton rapport sensible à l’eau, à la sève d’un arbre, aux ondes sismiques, mais aussi au plâtre, au bitume ou aux matériaux sonores.

Ce qui a été compliqué lors de mes études aux Beaux-Arts alors que je faisais mes premiers pas comme artiste et comme sculpteur, ce fût de traiter les matières – au début la pierre – comme un matériau, c’est-à-dire comme une chose inerte à tailler, sculpter avec une certaine force, voire une certaine violence. Or la pierre n’est pas inerte. Je crois que je me suis orientée rapidement vers des matières fluides et plastiques – le bitume et l’eau – car même si leur plasticité était difficile à travailler, cela m’imposait de leur donner forme avec une certaine douceur et une certaine attention à leur être et à leur substance.

À cette époque matière et « matériau » se confondaient. C’est-à-dire que la matière qui inspirait mon travail devenait à son tour le médium qui donnait forme à la sculpture.

Le travail consistait à faire surgir ce qui appartenait en propre à ces matières, à « saisir » leur forme « propre », tout cela dans un travail lent d’observation, presque méditatif, dans une coïncidence temporelle. Évidemment il fallait concevoir et construire les dispositifs qui jouaient avec leurs états fluides, mais j’arrivais à choisir des matériaux « doux » – le bois, l’acier – puis des moteurs silencieux – les pompes, les tuyaux. Par ailleurs la pratique préalable du dessin technique, pour élaborer les plans, me comblait. Cependant tout matériau malléable n’est pas doux.

J’ai travaillé pendant une période de temps avec de la résine, pour produire les contenants de mes sculptures d’eau. C’est un matériau très agressif pour le corps et pour l’environnement. Je travaillais, couverte de la tête aux pieds, avec un masque comprenant des filtres épais et lourds. Un jour, j’ai retrouvé la colombe du voisin morte dans la cour. Elle avait bu l’eau qui contenait de l’agent de démoulage. À la suite de ce triste accident, j’ai terminé cette pièce afin de respecter mes engagements puis cesser l’utilisation de la résine.

C’est à peu près à ce moment-là que le son s’est introduit dans ma pratique, comme médium, comme système de représentation, comme matière évanescente, comme l’esprit des choses. Ni pollution ni destruction. Bien sûr le son demande la transformation d’énergie, la consommation d’électricité et l’usage de dispositifs. Mais cela me semblait un compromis matériel acceptable pour continuer à faire de l’art. Ma relation affective au son est différente de celle que j’ai aux autres matières ou phénomènes que tu cites dans ta question.

Comme je le disais précédemment, quand j’ai imaginé entendre le flux de la sève, ce n’est pas de la sève dont il s’agissait, mais des arbres. Tout comme avec Le Souffle de la Terre. L’objet de mes recherches n’était pas les ondes sismiques, mais bien la Terre. Le son quant à lui a quelque chose d’immatériel, de cérébral en ce qui me concerne, de distancié, qui me permet justement de le travailler. Comme lorsque je dessine. C’est vraiment un médium qui me permet d’oublier sa matérialité pour me concentrer sur celle des arbres, des corps, de la terre, des énergies cosmiques…

Forme, représentation et temps à l’épreuve de la sculpture électroacoustique

Concernant la forme et la représentation, il m’a semblé que Verticale, mais aussi tes œuvres précédentes, bousculent ces notions classiques.

Pour une sculpteure, la forme est fondamentale. C’est une des visées essentielles que d’extraire la forme de la matière pour donner corps à l’énergie, comme tu dis, Mais quand tu évoques « la morphopoétique » et la (re)présentation dans ta recherche, n’est-ce pas une manière de revisiter ces notions pour qu’elles accueillent des dimensions plus actuelles ?

Il me semble que c’est à la fois le concept de temporalité et les outils technologiques utilisés qui ont fait basculer mon travail dans des questionnements actuels. Il aura ensuite fallu une thèse pour pouvoir décrire l’un des principes fondamentaux de mon travail de sculpteur en introduisant ce mot « morphopoétique ».

Ce travail s’inscrit dans tradition de l’art, héritée à certains égards de la Renaissance mais peut-être aussi, avec certaines formes d’art rupestre, comme celles de Lascauxavec lesquellesla filiation me paraît encore plus ancienne. Les artistes de la Renaissance italienne théorisent et pratiquent tout à la fois une étude des formes de la nature, sous l’angle de la perception humaine, comme point de départ d’une construction du monde. Cette étude passe par la pratique du dessin, et prend corps dans des œuvres peintes ou sculptées. L’œuvre de Léonard de Vinci est paradigmatique à cet égard : études de la forme des nuages, du vent, des forces cinétiques, mais aussi celles des humains, des animaux, des structures géologiques, des arbres, des paysages…

Cette recherche de la compréhension des processus morphologiques de la « nature » par la pratique a entrainé à son tour une remise en cause des techniques de travail : instruments, médiums et systèmes de représentation dont le plus important, la perspective, qui met en relation des formes perçues avec les formes construites de l’œuvre. La sonification, me semble-t-il, prend aujourd’hui le rôle que la perspective a joué en son temps, effectuant ainsi une remédiation5. Elle propose des systèmes de représentation qui construisent des formes sonores qui elles-mêmes nous donnent accès aux formes énergétiques et temporelles qui organisent le monde. Dans la sonification, la représentation est le lieu et le moment où l’artiste décide d’établir des correspondances techniques qui relient les formes objectivées des phénomènes avec les formes sonores du médium son.

En termes, à la fois plus communs, mais aussi plus abstraits, la représentation est le fait de « rendre » littéralement « à nouveau présente » une expérience ancrée dans le monde des formes.

Quant aux formes, il n’y en a pas qui ne soit temporelle. Les technologies contemporaines et le médium son nous donnent les moyens de rendre compte de ces mouvements perpétuels qui fondent le monde traversant toutes les échelles de la matière et de l’univers. Ainsi lorsque je parle de forme, il s’agit toujours de forme temporelle, dont le son performe l’existence.

La notion de morphopoétique, sur laquelle tu m’interroges, désigne ainsi une approche artistique de la  forme – distincte d’une approche conceptuelle, rationnelle et scientifique – qui aspire à produire tout à la fois une connaissance en acte lors de la recherche artistique et une connaissance incarnée au sein de l’œuvre. La morphopoétique n’a pas d’autre sens que de désigner une approche de l’art qui procède de l’étude des formes du vivant – tout ce qui est au monde est vivant – et dont le suffixe désigne la nature de ce qui est produit par l’art.

Comment cela se présente-t-il dans ton travail ?

Il me semble que ce rapport aux formes, dont je viens de parler, soit à certains égards assez archaïque. Pourtant lorsque l’art est pratiqué à l’aune des technologies et des connaissances contemporaines, il propose en effet des formes artistiques nouvelles. Concernant mon travail ce sont les dimensions ondulatoires, dont la plupart ne sont pas accessibles par notre appareillage sensoriel, qui sont les sources de mes captations pour devenir ensuite matières sonores. Dans ce dispositif, on a bien accès à des formes inédites du monde.

Pour élargir le propos, la pratique de la sonification par les artistes, propose des formes singulières qu’aucune autre époque n’aurait pu produire. La conjonction de l’électricité, du numérique, de l’électronique et des dispositifs audio donne accès aux dimensions temporelles du monde, à la complexité de leur nature et de leur multidimensionnalité. Je parle ici simplement de géométrie des formes temporelles que l’on retrouve en météorologie ou en astrophysique par exemple. Et en ce sens le médium son, par la pratique de la sonification, élabore de multiples systèmes de représentation exclusivement contemporains.

Précisons que parler de météorologie ou de géophysique, oriente insidieusement le discours vers les sciences. Or si les sciences nourrissent mon imaginaire et ma connaissance, mon œuvre n’a cependant pas pour vocation d’illustrer les théories du chaos ou encore la topologie mathématique. Mais là aussi les interrelations entre disciplines sont assez complexes et subtiles : par exemple lorsque j’utilise un sismomètre pour réaliser une œuvre sonore, j’utilise bien un instrument conçu par les sciences et pour les sciences. Mon travail prend ainsi corps grâce à cette instrumentation tout en la détournant, pourtant, de sa fonction initiale.

Alors la production de l’œuvre est tendue dans un dialogue constant, une négociation intime, entre le projet préexistant à l’œuvre et le détournement des instruments utilisés qui lui donnent forme. Cette question est très vaste, je pense qu’on ne fait que l’effleurer ici.

En effet ! Mais ta réponse nous expose des dimensions importantes et complémentaires qui nous mènent à ta quête de sens. Tu as écris :

« Cependant la spatialisation dans VERTICALE introduit une part de fiction, en mêlant des sonorités renvoyant à un « réel » audifié au sein d’une diffusion acoustique immersive et ascensionnelle. On pourrait alors parler d’une so(g)nification comme d’un songe sonore, à propos de ces images auditives qui prennent racine dans une relation tactile au réel, mais dont la mise en espace est une fiction6. »

Pourrais-tu nous expliquer le terme « So(g)nification » que tu as introduit ?

Sognification c’est tout d’abord un lapsus, un lapsus écrit, récurent lors de mes premières recherches sur ce domaine que j’ai d’emblée adopté, car il imbriquait tout à la fois : la sonification, le son, le rêve (qui se dit sognoen italien) et la signification. Plus tard, Jean Dubois,président de mon jury de thèse, m’a convaincue de le garder et de l’utiliser pour désigner la pratique de la sonification en art.

Une œuvre reste une fiction. Il s’agit d’une construction qui raconte le monde. La sonification tout comme la perspective pose un cadre à partir duquel on a accès à ce que l’œuvre expose.

Dans la sonification, le cadre conceptuel, affirme l’état fluide et temporel du monde. Sa mise en œuvre technique dans l’audification, qui est le cadre prédominant de ma pratique, commence avec les capteurs, prothèses technologiques qui augmentent mes facultés sensorielles.

Le corps percevant n’est alors plus au centre du dispositif comme dans la perspective. Ma perception est excentrée, grâce aux divers capteurs choisis selon la nature des phénomènes saisis et grâce au transport de l’information, qui ensemble forment un exo-appareillage sensoriel permettant de toucher le monde à distance. C’est ce qui se passe avec un sismomètre situé en Inde, qui ausculte la Terre et dont les données me sont retransmises en direct par internet via un réseau international de chercheurs.

Bref, ce cadre que j’élabore depuis plusieurs années se situe à la croisée de la sonification comme discipline et comme technique, de la fiction comme récit et du poétique comme essence de l’œuvre d’art. La part du songe, fluide et volatile, renvoie à la singularité du médium son et sa faculté de nous projeter dans des dimensions oniriques.

La so(g)nification avec ce « g » rassemble ainsi le système de représentation, le son bien sûr, ainsi que le songe et le sens.

Que veux-tu dire par « So(g)nifier les silencieux tremblements du temps » ?

Ceci est le titre éponyme d’un article à paraître en aval d’un colloquequi a eu lieu en octobre 2017 dernier à l’Université Jean Monnet de Saint-Etienne (Fr)7 à l’invitation d’Anolga Rodionoff.

Le travail de sonification que j’effectue se fait presque toujours à partir de données inaudibles, silencieuses pour nos sens, que l’on peut pourtant parfois percevoir par la vue ou par le toucher ou par une approche synesthésique pas toujours conscientisée. Ces « données » concernent, comme nous en avons parlé précédemment, les ondes électromagnétiques, les ondes mécaniques, bref les mouvements qui nous donnent à sentir le monde battre en nous et en dehors.

Le terme de tremblement que j’ai apprécié dans toute son amplitude dans les lectures récentes d’Edouard Glissantdécrit le monde incertain, celui qui à la fois vibre et bégaie, énonce et se défait, où la force gravitationnelle, les battements d’ailes d’une mésange, le murmure de la pierre et de l’arbre, le souffle de la terre… fondent ensemble les forces et les formes émouvantes qui déplient le temps, auxquelles je souhaite donner forme dans mes œuvres sonores.

Notes

[1] Voir Stefania Caliandro, 2004/3, Empathie et esthésie : un retour aux origines esthétiques. Revue Française de Psychanalyse. Vol. 68, p. 791-800. En ligne, accessible à https://www.cairn.info/revue-francaise-de-psychanalyse-2004-3-page-791.htm/a>

[2] La notion de nature dans le contexte de l’anthropocène semble presque obsolète. En revanche la notion de φυσις, telle qu’elle est envisagée chez les présocratiques, englobant la nature et la physique, désigne tout ce qui est et se meut, tout ce qui se métamorphose dans un flux commun, notion pouvant elle-même englober l’ère appelée l’anthropocène.

[3] Voir Félix Guattari, Qu’est-ce que l’écosophie, 2013, p. 579. Voir aussi Les trois écologies, accessible en ligne à : 1989_Félix+Guattari_Les+Trois+Ecologies.pdf

[4] Voir Gregory Bateson, Vers une écologie de l’esprit, 1977, p. 101, accessible en ligne à :https://inventin.lautre.net/livres/Bateson-Vers-une-ecologie-de-l-esprit.pdf

[5] Je ne parle pas en termes de destinée, mais en termes de force des systèmes de représentation qu’elle propose, de sa présence trans- et inter-disciplinaire, de son efficacité quant à l’accès qu’elle nous donne aux phénomènes physiques temporels. Pour remédiation, voir Jay David et Richard Grusin, 2000, Remediation: Understanding New Media, Londres, MIT Press.

[6] Voir Lorella Abenavoli, 2017, p. 235.

[7] Lors du colloque intitulé « Le temps à l’épreuve des œuvres numériques, les œuvres numériques à l’épreuve du temps » au CIEREC, Université Jean-Monnet, Saint-Étienne, France, les 3 et 4 octobre 2017.