Cette interprétation dualiste du paysage est très intéressante et offre à travers votre production plusieurs variantes, quelle est la source de votre intérêt pour cette problématique ?
Au cours des deux dernières années mon travail s’est penché sur la question des rapports de l’homme à son environnement et plus précisément aux liens que nous entretenons avec la nature. Regard sur la nature et nature de ce regard furent les préoccupations centrales de ma recherche.
Le paysage est une attitude de conscience: le territoire aménagé par l’homme rend compte de la façon dont il se le représente. La façon dont nous concevons et transformons l’espace, les manifestations diverses de la présence humaine dans le paysage témoignent des rapports culturels et symboliques que nous entretenons avec lui.
La cosmologie occidentale est basée sur une opposition nature/culture. L’aboutissement de cette dialectique et l’idée de progrès ont transformé l’espace réel et vécu. Le paysage d’aujourd’hui est exploité, géré, aménagé socialement et économiquement dans sa totalité. L’espace naturel, à proprement parler, n’existe plus et les modes de vies qui impliquaient une interaction homme-nature tendent à disparaître totalement, du moins en Occident. La disparition de ces modes de vies a éliminé du même coup la plupart des références symboliques que la nature avait pour l’homme.
Mes interrogations sur la façon dont l’activité humaine conçoit et organise son environnement aujourd’hui m’ont amenée à chercher ce qui caractérisait le paysage contemporain. Je me suis intéressée plus particulièrement à deux genres actuels du paysage: les sites touristiques et les sites industriels. Ces paysages peuvent sembler complètement opposés mais je crois qu’ils expriment tous deux, de manière différente, un certain malaise propre à nos sociétés post-industrielles. Les terrains vagues, carrières, mines, dépotoirs, zones industrielles et les espaces périurbains l’expriment par leur froideur, l’étrangeté, l’inhospitalier, et le désordre qu’on y retrouve habituellement. Ce sont des espaces altérés et déconstruits, des lieux où l’activité humaine se fait sentir de façon inharmonieuse. Les lieux touristiques sont quant à eux des espaces construits ou conservés parce qu’ils correspondent à des modèles culturels. Ces paysages de cartes postales semblent être ce qui subsiste d’une représentation idéalisée de la nature apparue avec le romantisme et à laquelle nous voudrions encore croire. Ce goût du grandiose et la nostalgie des terres sauvages sont aussi véhiculés par les médias qui nous habituent au paysage-spectacle. Terrains vagues et sites touristiques me semblent reliés par une sorte d’impasse.
La vidéo est très différente du Web, elle est plus dynamique et synesthésique dans ses effets, considérant ces différences quel est l’apport spécifique de l’objet Web dans votre démarche ?
Mon travail actuel consiste à aménager des lieux fictifs à partir d’espaces réels. Je cherche et documente des terrains vagues et des sites industriels et je combine ensuite mes prises de vues entre elles pour construire des espaces hypothétiques, utopiques. J’aménage des paysages inhabituels semblant situés à la frontière du réel et de l’irréel, du possible et de l’impossible, du probable et de l’improbable. Présenter de tels espaces sur Internet me semblait idéal puisque le Web est en soi un non-lieu, un espace de nulle part et de partout à la fois. C’est un espace paradoxal puisqu’il n’a aucune existence réelle pourtant il est le lieu de destination, de rencontre et d’échange de millions de personnes. En y présentant des paysages dont l’existence ne peut être que virtuelle, des mondes nouveaux, simulés, je cherche à susciter un questionnement sur la possibilité d’aménager le réel et la transformation du monde par la technique.
Le collectif Perte de signal se veut une alternative pour les vidéastes contemporains, en quoi ce collectif est-il devenu une nécessité et quels sont vos objectifs à long terme ?
Les membres du groupe Perte de signal: Robin Dupuis, Rémi Lacoste, Julie-Christine Fortier, Sébastien Pesot et moi-même, ont décidés de se réunir pour diffuser leur travail de façon plus efficace mais surtout pour travailler ensemble et organiser des événements. Il y a plusieurs festivals vidéo et manifestations d’arts médiatiques au Québec mais nous pensons qu’il est essentiel que de nouveaux événements soient créés. Chaque nouvelle génération cherche à définir un espace qui lui appartienne, les nouvelles galeries et les nouveaux événements permettent ainsi aux nouvelles attitudes de s’affirmer.
Nous appartenons à ce qu’il est convenu d’appeler la relève en vidéo et celle-ci est en train de changer, de vivre un moment de transition, des idées nouvelles émergent. L’utilisation de la vidéo numérique, le compositing etc., sont en grande partie responsables de ces changements. La vidéo numérique amène une façon très différente de travailler, très souple et elle multiplie les possibilités de manipulations de l’image. C’est donc la fin d’un grand nombre de contraintes et l’opportunité de réaliser des choses qui n’étaient pas possibles avec le montage vidéo traditionnel. Nous pensons que ces nouveaux outils amènent ainsi des idées neuves.
Il y a différentes attitudes envers les nouvelles technologies en ce moment. Une partie du « milieu » de la vidéo au Québec est encore très frileuse et sent le besoin d’être critique envers ces dernières, n’y voyant là qu’une fascination envers le médium ou une complaisance dans l’usage des effets spéciaux. Il y a aussi des gens dont l’enthousiasme tend à devenir une véritable vénération et dont le propos est fondé exclusivement sur le médium. Ce qui caractérise Perte de signal c’est justement que nous ne nous sentons pas obligés d’exprimer une quelconque position envers les nouvelles technologies ou de faire référence à celles-ci dans nos oeuvres: nous travaillons avec, un point c’est tout.
Nous organisons au mois d’août une projection en plein air sur la terrasse d’un café. Nous y présenterons des bandes du groupe Perte de signal ainsi que des vidéos d’artistes étrangers. Le lieu et la date exacts de l’événement seront annoncés bientôt. Nous continuerons aussi à présenter des oeuvres conçues pour le Web sur notre site Internet et, éventuellement, lorsque la vitesse des lignes téléphoniques le permettra, des projets Web intégrant plus de vidéos.