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Cyberculture

Un lien serait déjà assez

En septembre 1996, je fus invitée en tant qu’auteur d’un site Web sur le cinéma russe parallèle à une rencontre de la Liste Syndicate qui se tenait dans le cadre du DEAF, le Dutch Electronic Art Festival, à Rotterdam. Sous mon nom, à l’accréditation, il y avait «artiste». J’avais auparavant surtout travaillé comme critique de cinéma, écrit sur le cinéma expérimental et développé les programmes du club cinématographique de Cine Fantom. «Artiste» a duré trois semaines. En présentant mon nouveau projet pour le Web, «My Boyfriend Came Back From the War», au colloque Metaforum III à Budapest, je suis devenue une célèbre artiste du net – a famous net artist (désignée plus loin par FNA). Un métier plus intéressant et plus important. Je relate dans ce qui suit les expériences et les observations faites dans ce mode au cours des quatre dernières années.

CONFÉRENCES

Il n’y a pas que pour moi que tout a commencé par une conférence. Même si cela vient en contradiction avec l’imagination des journalistes qui écrivent sur l’art net, les conférences jouent un rôle important pour les FNAs. 

Un artiste du net est un artiste qui travaille sur Internet ; de la même façon un FNA est un artiste qui travaille sur Internet, mais en même temps il présente son travail sur le réseau lors de conférences internationales. Je qualifie de conférence toute manifestation où un FNA s’asseoit face à un public, un ordinateur devant lui et un grand écran sur lequel est projetée l’image derrière lui. Une telle chose peut se produire dans le cadre de n’importe quelle manifestation – un festival de cinéma, une exposition d’art médiatique, une foire du livre – qui n’a pas à s’annoncer explicitement sous le nom de conférence. 

Lecture et présentation devant un public supposent certaines habiletés. Un FNA ne travaille pas avec Power Point, mais avec un navigateur, ce qui veut dire qu’il doit pouvoir parler, cliquer et dérouler en même temps. Il doit pouvoir adapter son débit de parole et la durée de sa présentation aux différents temps de connexion, surchargés ou changeant parfois rapidement de vitesse lors du transfert. Seul un FNA débutant se laisse désarçonner lorsqu’une liaison tombe complètement à plat. Et seul un pseudo-FNA, pour se prémunir contre de telles surprises, apportera avec lui lors de sa présentation une version démo de son site web sur disquette ou sur cédérom. Lorsque l’on présente Internet sur un cédérom, c’est un peu comme si on faisait du «lip-synch». Le public ne pardonne pas cela. 

Les conférences sont (encore pour l’instant) la principale source de revenus et (comme toujours) un lieu de rencontres; elles offrent, de plus, l’occasion de faire le bilan d’une période de l’histoire de l’art net. En outre, les conférences sont seules aptes à l’exercice hors ligne de l’art net.

EXPOSITIONS

Il en va exactement à l’inverse avec les expositions. Les expositions d’art net sont de l’ordre de l’indicible dans le marché de l’art moderne, même si toutes les expositions ne se ressemblent pas et que, grâce aux efforts des commissaires, ils en existent de fort différentes. «Exposition» qualifie toute manifestation dédiée à l’art réseautique – à l’exception des conférences. 

Où l’aversion pour les expositions prend-elle ses sources? Pour quelles raisons une exposition est-elle une forme de présentation inacceptable aux yeux d’un véritable artiste du net (a real net artist – RNA)? 

Les artistes du net ont des profils fort différents; on retrouve parmi eux des artistes des arts visuels ou des arts médiatiques, mais aussi des vidéastes, des photographes et des designers. Personne de cette génération (à laquelle je propose, pour des raisons pratiques, l’abréviation RNA1) n’avait travaillé avec Internet avant d’apprendre à lire, à écrire et à communiquer hors ligne. Un RNA1 est, de plus, habitué de pratiquer son art et d’exposer dans un espace délimité. Malgré cela, il travaille avec un réseau universel, étendu de par le monde, se tourne vers ses utilisateurs et se fait, à sa façon, universel, ouvert sur le monde. On devrait peut-être formuler cela autrement : grâce à son expérience, grâce à l’idée qu’il conserve de ce que signifie, travailler et exposer dans un lieu délimité, un RNA1 réagit de façon particulièrement virulente contre la tentative de redresser ces limites en présentant l’art net à l’intérieur d’expositions. 

Les expositions trouvent, elles aussi, places dans le cadre d’autres manifestations – du festival de cinéma jusqu’aux conférences – mais elles sont aussi parfois conçues comme des événements autonomes. Un tel événement fut organisé au cours des dernières années par le ZKM, Zentrum fur Künst und Medientechnologie; ce fut une exposition monstrueuse qui mis fin au rêve de voir de telles entreprises réussir.

Comment en vient-on à l’idée de faire des expositions? Derrière cette idée se trouvent de fausses conceptions et une recherche de profits. Fausses conceptions parce qu’on suppose que l’art net n’est fait que d’amusants sites web interactifs, comme des cédéroms, mais en plus modernes. L’idée du gros argent est née au milieu des années quatre-vingt-dix, alors que certains FNA (famous net artist) auraient laissé entendre, lors de conférences, qu’une oeuvre d’art net ne serait pas une pièce de musée, existerait hors des structures des galeries ou des musées, appartiendrait à tous, se passerait d’intermédiaire et de prix d’entrée. Le commissaire d’une «exposition» aurait de plus de bonnes chances de pouvoir réduire le budget d’exposition aux profits de ses propres honoraires. C’était là le truc.

Les expositions ‘’inertes’’ étaient et sont encore plus ou moins sympatiques et fonctionnelles. Cela avait l’air de ceci : une quelconque manifestation hors ligne annonçait que maintenant, en plus des sections cinéma, vidéo, performance, etc., elle proposait aussi une section d’art net ou d’art web (habituellement, aucune différence entre ces deux concepts n’était faite – mais de cela il ne sera pas question ici), ouvrait sur son site web une section appropriée et y installait des liens vers des projets réseautiques choisis. Ces derniers continuaient à vivre leur vie, il y a avait simplement un lien de plus vers eux. Plus les liens sont nombreux, plus il y a de public. C’est donc bien. 

Cette pratique a produit un intéressant système de gains mutuels. Une exposition crée un lien vers un projet, le nom d’un FNA apparaît dans le catalogue d’exposition et, de son côté, le FNA peut inscrire sa participation à l’exposition dans son curriculum vitae. Mais qu’est-ce que tout cela a à voir avec un réel espace d’exposition? Rien, bien sûr. Là, la variante “inerte” va un peu s’adapter : pour relier l’espace tangible d’exposition d’une quelconque façon à ce qui se passe en ligne, un ordinateur est installé dans la galerie ou le foyer. Un navigateur est ouvert et une page web contenant des liens est affichée. Que personne ne regarde, évidemment. Peut-être que des gens cliquent deux, trois fois, mais ils préfèrent ensuite interroger leur courrier électronique ou encore consulter les prévisions météorologiques. Cela n’a rien d’étonnant, car l’atmosphère ne convient tout simplement pas. On ne va certainement pas dans une galerie pour lire des livres, comme on ne lit pas de livres dans un salon du livre. Les expositions ‘’inertes’’ n’eurent aucun succès, bien au contraire : des ordinateurs sans apprêt, où de tous côtés pendent des cables, apportent une fausse note dans les habituelles installations interactives voisines, faites d’appareils et de constructions compliquées.

Il est donc temps de se détacher de l’idée d’exposition et d’arriver à la conclusion qui s’impose déjà : la seule possibilité d’importer l’art net dans un espace et d’aller ainsi à la rencontre de gens intéressés est offerte par la conférence. Car seul un FNA plein de vie, souriant et arrogant peut expliquer, commenter, intéresser les gens ou les amuser. Seul le RNA1 lui-même – et certainement pas l’ensemble des liens vers ses projets – peut introduire avec compétence et imagination le public à l’art de demain. En lieu et place, les commissaires ont essayé d’adapter les oeuvres aux pratiques en place, plus mauvaises que correctes, mais déjà rodées, et de plaire avec servilité aux visiteurs de galeries. Je partagerais les résultats de leurs efforts en deux catégories : l’OBJET et le ZOO.