Supposons que l’art fonctionnerait comme bio réacteur dans lequel émergent et prennent forme symboliquement et matériellement des concepts esthétiques philosophiques et épistémologiques :
En tant quecommissaire d’exposition, j’ai réalisé, en 2003, à la Scène Nationale du Lieu Unique à Nantes, l’exposition l’Art Biotech 1, une première sur le plan mondial. Onze artistes étaient invités et qui se servaient tous des biotechnologies en tant que moyen d’expression, et non pas seulement en y faisant référence en tant que thème ou par la simulation. Ces artistes ont une pratique « hands-on », avec la main « dans la pâte », et sont impliqués dans une maîtrise des techniques de laboratoire.
Pourtant, mon terrain est celui de l’art, c’est-à-dire de la production culturelle. Mais selon mon idéal en tant que commissaire d’exposition, l’art fonctionnerait comme un énorme incubateur, ou bioréacteur, dans lequel émergent et prennent forme, symboliquement et aussi matériellement, des concepts esthétiques, philosophiques et épistémologiques et qui n’existeraient pas, dans notre société, sans cette mise en culture.
Aujourd’hui l’ascension de la biologie au statut de science de pointe dominante – position jadis occupée par la physique – s’est accompagnée, d’une part, d’une inflation de métaphores biologiques dans les sciences humaines, et de l’autre, par l’émergence d’un vaste éventail de processus biotechnologiques qui fournissent aux artistes non seulement le thème mais surtout de nouveaux moyens d’expression. Des artistes travaillent aujourd’hui avec la culture des cellules et des tissus, dans le domaine de la neurophysiologie, parfois même de la transgénèse. Certains artistes s’aventurent dans la synthèse de séquences d’ADN artificiel à destination culturelle et non pas scientifique, ils passent à l’hybridation et sélection végétale et animale. Des fois, ce ne sont que des procédés de la bioinformatique qui sont détournées, ailleurs, il s’agit d’auto-expérimentations médicales et biotechnologiques. Ou bien, il s’agit parfois uniquement du détournement des technologies de visualisation de la biologie moléculaire.
Ces artistes sont évidemment aujourd’hui encore très minoritaires à s’approprier ces technologies et les détourner d’une démarche utilitariste, au-delà de la méthodologie de la science. Un tel artiste n’est plus seulement celui qui observe les moments de la production du savoir. En guise d’illustration, regardons ces deux images ici: à droite le fameux tableau de Rembrandt La leçon d’anatomie du docteur Tulp, et où les rôles sont clairement distribués : nous avons un artiste, Rembrandt, qui représente la scène d’une dissection anatomique opérée par les scientifiques démontrant à une audience ébahie l’organisation des organes internes sous la peau, et c’est justement cette représentation à laquelle revient le statut d’art – selon le consensus encore majoritaire aujourd’hui de considérer le tableau comme art… cela va peut-être changer. Malgré d’apparentes analogies formelles, dans cette photographie numérique amateur ici à gauche, l’art ne réside plus dans l’image. Elle n’est que document qui témoigne d’une scène de vie où se sont justement des artistes eux-mêmes qui acquièrent les techniques de manipulation de sciences de la vie, en tant qu’art.