L’interaction de Richard Barbeau avec Georges Perec
Georges Perec disait :
Je ne sais quel obscur désir a empoigné Georges Perec lorsqu’il décida, dans la foulée de ses ambitions de renouvellement perpétuel, d’écrire un livre sans utiliser la lettre « e », mais force est d’admettre que La disparition est un livre hors du commun.
Non seulement en regard de l’exploit, mais aussi par la richesse des idées et des évocations véhiculées sous ces phrasés dont l’élégance marie le sens avec brio. Le livre a été publié en 1969 aux Éditions Denoël et repris dans la collection L’imaginaire chez Gallimard en 1997.
Dès les premières lignes, une catastrophe en cascade, typiquement téléjournalistique dans son esprit, engendre un univers plein d’une concrétude trouble et éclatée. Une vision tentaculaire jouant de vitesse avec le vaste monde et ses intrigues.
Pour faire contre-pied à la dissolution de l’individu dans ce chaos social, un personnage surgit, entouré de ses objets quotidiens, muets et remplaçables. Anton Voyl est un insommniaque chronique à portée d’hallucinations. Et le navire textuel nous emmène tout au loin sans « e ».
La voyelle » e » ainsi disparue ou repoussée, déviée ou contournée, simulée ou abandonnée, Perec alors s’enflamme et s’abreuve à tous les fantasmes et à toutes les dérives. Il en résulte des univers incroyablement cohérents, rivés à des réalités imprégnées de fictions, entremêlant les genres. Une lecture hautement recommandée pour qui la langue est un jeu.
La première phrase de l’avant-propos s’impose comme un programme moral digne des élans prémonitoires des grands visionnaires : « Où l’on saura plus tard qu’ici s’inaugurait la Damnation ». Voilà, aucun « e » n’embarasse l’énoncé et le sens lacère la page d’un avertissement funeste.