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Cyberculture

Art, électronique, guerre et médias

Une situation de guerre stigmatise plusieurs pans de nos sociétés. À cet effet, si Internet est le prolongement social d’un besoin stratégique d’origine militaire, les guerres actuelles se répercutent, en retour, dans les réseaux sociaux de l’interréseau. Les nouvelles réalités de la communication rejoignent désormais les prémonitions de la science-fiction. Marshall McLuhan, par ailleurs, affirmait explicitement qu’avec l’électricité les prolongements de notre corps atteindraient de nouvelles dimensions, « […] nous approchons rapidement de la phase finale des prolongements de l’homme : la simulation technologique de la conscience » (1993, p. 31). Une guerre lovée dans les médias électroniques n’est plus seulement une guerre de terrain rapportée par des journalistes, elle se répercute profondément dans les réseaux, dans la conscience globale. En scrutant, ces dernières semaines, les messages diffusés sur la liste de discussion de l’Inter Société des Arts Électroniques (ISEA), soudainement plus nombreux qu’à la normale, cette sensibilité électroconsciente du monde devenait plus qu’évidente. 

Reprenons les choses du début, en simplifiant à l’extrême. L’intolérance serbe envers le Kosovo atteint un niveau inacceptable, l’OTAN juge pertinent de s’impliquer directement, les Kosovares fuient devant la menace agressive de ces deux fronts. Dans de tels conflits, les médias ont un rôle essentiel, il va sans dire. La machine médiatique porte le drapeau du droit à l’information et elle veut être de tous les combats. Ce credo médiatique prend sa source dans les nerfs de la globalisation propre à l’électrification de nos liens sociaux (pour paraphraser Derrick de Kerckhove, Les nerfs de la culture, 1998). La rapidité électronique avec laquelle l’information circule et surtout la multiplication des sources (institutionnelles, collectives, nationales, corporatives, individuelles, etc.), engendrent une prolifération extraordinaire de l’information. Et, dans des circonstances exceptionnelles (une situation de guerre par exemple), cette secousse électronique à grande échelle atteint des organismes dont le mandat initial est à cent lieues du propos politique stricto sensu.

La liste de discussion de l’ISEA en est un exemple. Force est de constater que la diffusion sur cette liste de messages d’appel à l’aide et à la mobilisation pour le Kosovo, s’est rapidement polarisée entre, d’une part, ceux favorisant l’intégration des enjeux politiques dans les discours sur l’art, au point où certains jugeaient la politique comme un art à part entière et, d’autre part, ceux voulant demeurer à l’abri des ces ingérences du politique dans une liste de discussion dédiée à l’art électronique. Sans vouloir trancher, il est évident que les informations sur Internet et dans les médias traditionnels n’ont pas vraiment besoin du support des groupes de discussion sur l’art électronique pour se répandre. Par ailleurs, dans quelle mesure ces petits groupes virtuels peuvent-il empêcher d’être eux-mêmes abusés par une rhétorique idéologique intéressée? Ignacio Ramonet, directeur du journal Le Monde, pose pour sa part un jugement des plus circonspect relativement à la pureté de l’information, car selon lui celle-ci est aussi contaminée que l’air et l’eau.

Si la conscience planétaire doit être pleinement assumée, elle doit effectivement passer par une économie de l’abondance et une écologie de l’information. Dans ce contexte, le discours politique est certes encouragé mais les lieux où il se déroule ne sont pas les véritables enjeux, il s’agirait, de ce point de vue, d’un faux débat.

Évidemment les réseaux, quels qu’ils soient, ont immédiatement perçu l’importance d’Internet comme source d’information privilégiée. Archée est de ceux-là puisque nous avons donné suite aux messages en provenance de nos réseaux de confiance afin d’encourager la radio indépendante B92 de Belgrade. Nous agissions alors comme un relais synaptique dans cette dissémination d’une protestation contre le contrôle absolu des médias par la classe politique et militaire en Yougoslavie. Au delà de cet engagement qui nous paraissait totalement justifiée, nous serions, par contre, mal avisés de porter un jugement politique définitif ou éclairé. Archée n’a, en ce sens, aucun mandat politique, si ce n’est de soutenir la libre circulation de l’information.

Internet offre un immense potentiel pour la mobilisation empathique. Mais lorsqu’il s’agit de guerre, nous sommes loin de pouvoir intervenir avec efficacité. D’ailleurs, il n’y a qu’à lire l’article de Maurice Najman dans Le Monde Diplomatique (février 1998), dont voici un extrait, pour se convaincre de la vulnérabilité de nos moyens en tant qu’internautes engagés.

Sans vouloir, par ailleurs, atténuer l’extrême importance de l’implication des internautes, on ne peut que rester pantois devant l’artillerie électronique qui se déploie dans les coulisses des machines de guerre et des impérialismes économiques.