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Cyberculture

L'art contemporain (nouveau) dans les Balkans

Sarajevo condensed soup (1992-1996) par le Trio Sarajevo. Note: cette oeuvre ne fait pas partie de l’exposition en ligne « Inventer un peuple. L’art contemporain dans les Balkans ».

Inventer un peuple. L’art contemporain dans les Balkans est un projet mené par le commissaire André Rouillé, maître de conférence à l’Université Paris-8 et enseignant au département « Photographie & Multimédia » (UFR Arts, esthétique et philosophie). L’exposition regroupe seize artistes en provenance de la Bulgarie, la Roumanie, la Grèce et la Turquie. En 1999, elle sera présentée à Sofia, Bucarest,Thessalonique et Istanbul et à partir du début 2000, elle circulera en Europe occidentale. Une deuxième phase est prévue avec les artistes d’autres pays des Balkans (MAP, Media – Art – Photo). Sur le site, une vue d’ensemble des 16 artistes nous est proposée grâce à une carte géographique sensible.

L’intérêt de ce type de manifestation, dont l’excellente présentation en ligne constitue un des volets, est multiple. En premier lieu, l’exposition a le très grand avantage de nous faire découvrir des artistes en provenance de pays peu reconnus ou peu représentés dans le monde de l’art contemporain, du moins en Amérique du Nord. L’internationalisation de l’art contemporain des dernières décennies a, en effet, réservé aux réseaux constitués (musées, conservateurs, galeristes et marchands) le rôle de découvreur ou de décideur. De plus, les artistes « internationaux » ont en général une identité nationale très relative, dans la mesure où les caractéristiques locales sont souvent occultées. Par contre, l’artiste oeuvrant hors de ce réseau est irrémédiablement confiné à sa tanière nationale, il n’est pas « international ». Un opprobre similaire est fréquemment vécu entre les artistes régionaux et les artistes des grandes villes d’un même pays (auxquelles on reconnaît de facto une vocation internationale). En ce sens, l’internationalisation divise la classe artistique en différents paliers verticaux de reconnaissance.

Mais cette exposition sur l’art contemporain dans les Balkans rafraîchit significativement notre regard. C’est donc avec beaucoup de curiosité et d’intérêt que nous avons parcouru la démarche de ces artistes. En outre, la qualité de la publication en ligne en fait un document des plus appréciables. Une présentation sur le modèle, déjà classique mais efficace, de l’encyclopédie en ligne. Tout y est limpide, simple dans la navigation, parsemé de couleurs et de sons séduisants, agrémentant la visite d’une esthétisation de bon goût. Les reproductions, assez nombreuses pour nous donner un tableau juste de la production de chacun des artistes, sont d’une qualité impeccable comme c’est souvent le cas dans l’univers de l’art représenté à l’écran numérique. Les textes des commissaires délégués (outre André Rouillé qui a donc eu la généreuse idée de laisser une place importante aux commissaires locaux) sont succincts et pertinents, mais leur qualité première c’est qu’ils sont ancrés à des réalités culturelles qui nous échappent trop souvent. Il s’agit de Kiril Prashkov (Bulgarie), Ruxandra Balaci (Roumanie), Matoula Scaltsa (Grèce) et Vasif Kortun (Turquie).

On constate que les préoccupations des artistes « dans les Balkans » s’inscrivent parfaitement dans le courant actuel de l’art contemporain, soit un ensemble d’orientations qui s’attachent principalement aux univers individuels. Cela nous amène à penser que la caractéristique « internationale » n’a pas de valeur intrinsèque et ce pour deux raisons. D’une part, comme le conçoivent nombre d’auteurs dont David Ross, directeur du SFMoMA (sur Archée), Internet est plus global qu’il n’est international. Le cyberespace n’est pas, à ce titre, un lieu de consécration international du fait qu’on y publie son nom, ses projets ou toute autre forme d’information numérisée. Comme le mentionne justement Richard Barbeau dans un commentaire récent (sur Archée), le cyberespace permet surtout de diffuser sans le filtre des intermédiaires, ce qui n’est pas le cas des réseaux internationaux constitués. « L’art contemporain dans les Balkans » est une démonstration éloquente de ce type de diffusion. D’autre part, être international ne correspond pas au fait que son pays d’origine est connoté comme un pays étranger, éloigné ou méconnu. Le déplacement dans l’espace et l’exposition dans les pays hôtes ne suffisent pas, d’un point de vue esthétique, à l’apposition du label international. 

La grande qualité d’une exposition qui cherche à maintenir une cohérence entre les divers niveaux de la construction culturelle (dont la géopolitique peut être un élément fondateur), c’est de relativiser et d’élargir les données esthétiques trop souvent cantonnées dans des standards plus ou moins acceptés et compris. L’art, en définitive, sera international (et global) en autant que la diversité des points de vue sera au rendez-vous, une condition que rencontre pleinement cette exposition sur les pratiques contemporaines dans les Balkans. De plus l’art n’a pas seulement une fonction esthétique, il est aussi une source de connaissance et de transformation sociale.

Cette réflexion d’André Rouillé correspond pertinemment aux mouvements artistiques et esthétiques qui oeuvrent dans le nouvel espace social et mental qu’est le cyberespace, car le cyberespace est une culture en devenir.