Le CEPA (Center for exploratory and perceptual art), dont la galerie est située à Buffalo dans le conté de New York, s’intéresse particulièrement à la photographie et ce, depuis 1974. L’organisme fête donc cette année son 25e anniversaire en exposant, jusqu’au 18 juin, les oeuvres des artistes membres de la galerie, dont vingt-quatre sont présentées en ligne.
Toutefois, ce qui a attiré notre attention, se retrouve dans la section intitulée Binary Exposures. Cette section dédiée au numérique recèle une oeuvre qui permet de prendre le pouls d’une possible évolution de la photographie, une évolution entrevue, on le devine, dans la mire de la programmation numérique. On y présente donc une partie substantielle de Sometimes (en version intégrale sur cédérom), une oeuvre de Thomas Payne, professeur de photographie et de design (Wartburg College, Iowa). Payne se laisse prendre au jeu de la numérisation et de l’interactivité lors d’une recherche dont l’objectif premier consistait simplement à trouver de nouveaux moyens de présenter les oeuvres photographiques. C’est dire qu’avant cette recherche, la photographie n’avait vraisemblablement à ses yeux qu’une vocation analogique. Au bout de ce parcours, Sometimes voit le jour comme une création autonome, la photographie cédant alors sa place à un processus de création totalement étranger aux clichés originaux.
On se rappellera que le mouvement et sa décomposition en séquences (le début de l’instantané) ont occupé les recherches photographiques du siècle dernier (ex.: Edward Muybridge, Animal Locomotions, 1887). Assisterons-nous, grâce aux nouvelles technologies, au retour du mouvement dans la photographie? L’oeuvre de Thomas Payne incite à répondre par l’affirmative. La mécanisation et la photographie ont certes engendré le cinéma, mais ce retour du mouvement dans la photographie numérisée n’a ici aucune commune mesure avec l’image filmique. D’une part, la linéarité passive du défilement cinématographique cède la place à l’interactivité, d’autre part, l’essence même de la photographie peut être, elle aussi, entièrement réévaluée par la création d’interfaces interactives.
L’entrée en matière de Sometimes est une suite verticale de lettres reprenant le titre. Elles oscillent légèrement, laissant entendre qu’elles sont impatientes de nous dévoiler ce que chacune d’entre elles recèlent. À chacune des lettres correspond effectivement une animation interactive utilisant la programmation en ShockWave. À ce premier niveau, un lien s’établit entre la démarche initiale de Payne (la recherche d’une nouvelle façon de présenter la photographie) et le contenu. En effet, ses animations interactives sont le fruit d’un travail de réflexions et d’essais aboutissant à des convergences entre les modes de présentation et les associations sémantiques qu’elles suscitent, tout ceci étant évidemment tramé sur la banque photographique de l’auteur. La lettre « S », par exemple, mène à une photographie partiellement visible. Le curseur permet de scruter cette image énigmatique, comme si elle se déplaçait derrière une fente (verticale ou horizontale) par laquelle elle est visible. En cliquant sur celle-ci, on change le format de l’ouverture, on passe de la verticale à l’horizontale, et inversement. Les notions de collage, de clichés rapides, de mouvements urbains, de vie en accélérée mais sans fil narratif, se condensent, par ailleurs, dans la présentation de la lettre « i ». Chaque lettre mène ainsi à des constructions photographiques et cinétiques inédites, toutes interactives.
Le visage et les parties de corps forment le noeud figuratif des expérimentations de Thomas Payne. Avec l’ajout du son, cependant, une bouche prendra un caractère complètement différent comparativement à l’image fixe et muette de la photographie habituelle. On constate dans ce jeu à quel point l’apport d’un nouveau mode sensoriel génère une richesse expressive décuplée, tout en autorisant un niveau d’interprétation entièrement renouvelée. Les directions, l’emplacement des images, leurs déplacements, les variations sur un même thème deviennent non seulement possibles mais ces actions s’effectuent sur un mode ludique.
La dernière lettre, le « s » final de Sometimes, est la caricature animée de la démarche d’un chien au bout de sa laisse, telle que vue par son maître. Une finale qui n’est pas l’aboutissement d’une consultation linéaire puisqu’il n’y a aucun ordre imposé. Elle laisse toutefois supposer que l’artiste s’est lui-même bien amusé et qu’il maîtrise désormais le mouvement et la photographie dans un nouvel espace créateur.
Cette expérimentation inédite nous conduit à penser que nous sommes bel et bien à l’aube d’expériences artistiques qui, grâce à la numérisation, iront bien au delà des pratiques convenues de l’histoire de l’art. L’oeuvre de Payne est un exemple parmi d’autres, car de plus en plus de modes de création sont contaminés par le numérique dont, plus particulièrement, la vidéo contemporaine.