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Entretiens

Being Human - Entretien avec Annie Abrahams

Animation créée par Archée à 
partir d’éléments graphiques tirés 
du site d’Annie Abrahams

C’est en jouant du flou des délimitations entre art et non-art, que l’artiste française (d’origine hollandaise) Annie Abrahams explore les nouveaux territoires identitaires et relationnels qui s’établissent sur les réseaux. S’apparentant à une sorte de zone en suspens, le Web demeure pour l’artiste un espace équivoque dans lequel un certain nombre de valeurs communément admises se trouve remis en cause. À mi-chemin entre poésie visuelle et art en ligne, le projet Human Being est un point d’intersection privilégié à l’esthétique minimaliste. Mettant en scène des situations dialogiques et émotionnelles, il conduit l’internaute à s’interroger sur les différents rites communicationnels qui révèlent et dessinent chaque jour davantage une cartographie nouvelle de notre contemporanéité.

Annie, peux-tu nous évoquer ton parcours artistique?

Annie Abrahams : J’ai d’abord fait des études de biologie jusqu’au doctorat qui m’ont conduit pendant un temps à travailler à l’université. Et puis, déçue du monde scientifique, je me suis tournée vers les Beaux-Arts. C’est ainsi que j’ai reçu une bourse d’état pour mener une recherche sur la vérité picturale. Pendant deux ans, j’ai donc produit une peinture qui était à chaque fois très complexe, qui n’était pas jolie du tout, que je n’aimais pas, mais qui correspondait pourtant à ce que je voulais faire. En fait, je crois que c’est la complexité qui m’intéressait! À partir de ces tableaux, j’ai réalisé des constructions dans l’espace… une possible mise en ordre du chaos. Et c’est pour garder la trace de ces différentes possibilités que j’ai commencé à utiliser la machine. Ce fut ma première rencontre avec l’ordinateur!

Tu scannais?

Non, je ne scannais pas. J’avais un logiciel qui me permettait de faire une mise en espace. Lorsque j’avais une exposition, je mesurais le lieu puis je proposais à l’ordinateur une dizaine d’installations virtuelles…

C’était une simulation?

Oui, et ce qui était intéressant, c’était que chaque tableau avait un « genre d’histoire ». En se complétant dans le temps, ils avaient un CV et devenaient presque de vraies personnalités. Dans un de mes textes, j’ai d’ailleurs écrit que « Si mes tableaux avaient été mes amants, ils m’auraient quittée depuis longtemps! » C’est en manipulant les données des espaces et des tableaux que j’ai découvert une autre force de l’ordinateur, car ce que je créais, je n’aurais jamais pu l’imaginer autrement. Il m’apportait autre chose que cette mise en ordre dont j’avais besoin.

Cela t’entraînait vers d’autres espaces ?

Oui, vers une autre manière de considérer l’outil d’abord; puis une autre manière de voir artistiquement. Peu après, un groupe d’artistes des Pays-Bas m’a demandé de faire une exposition sortant des règles traditionnelles. Ils voulaient quelque chose de plus vivant! On a donc choisi de réaliser un espace de rencontre: j’ai fourni les tables, les chaises, des objets aux murs et un site Internet. J’étais présente dans l’espace par l’intermédiaire du site qui était au demeurant assez documentaire. Pendant toute la durée de la manifestation, il y avait une interaction: puisque j’étais dans le sud de la France et eux aux Pays-Bas, j’envoyais des textes par courriels qui étaient accrochés aux murs dès leur arrivée, et inversement, d’autres personnes m’envoyaient des messages. Ce fut vraiment ma première expérience du Web comme moyen de communication. C’était il y a trois ans.

Et quelles ont été les réactions autour de toi ?

Lorsqu’on a vu que je travaillais sur le Web, on m’a fait plusieurs propositions. J’ai alors répondu que je ne souhaitais pas renouveler l’expérience avec ce site car, entre-temps, j’avais découvert qu’il y avait beaucoup plus intéressant sur le Net que le simple fait de déposer ses documents. C’est à partir de ce moment-là que j’ai commencé à réfléchir sur ce qu’est vraiment le Web, sur ce qui est réellement important pour moi là-dedans. En tant qu’artiste, ce qui prime, c’est de pouvoir travailler en dehors du contexte de l’art. Lorsque je mets quelque chose en ligne, n’importe quel individu – dans sa propre intimité – peut se connecter au site. Il vient là avec son propre contexte, sa propre histoire. A l’époque, rien sur le site ne laissait supposer que j’étais artiste.

Quelle a été ta position à partir de ce moment-là ?

Je me suis dit que si je voulais faire passer quelque chose sur le Web, il fallait que je parle de choses qui touchent tout le monde. J’ai donc recherché en moi ce qui pouvait toucher les autres. Dès le début, j’ai choisi de ne pas utiliser les images: d’abord parce que c’est long à télécharger, ensuite parce qu’une image c’est déjà trop spécifique. Si je montre la photo d’une chaise, pour l’un c’est la chaise de sa grand-mère, pour l’autre c’est la chaise qui se trouve dans le magasin d’à côté! Il y a par conséquent une autre histoire qui se greffe à cette image. J’ai donc décidé d’utiliser les mots. J’ai commencé il y a deux ans avec la pièce qui s’intitule Je veux dans laquelle j’ai réalisé Tendresse et Respect. Ensuite il y a eu The Kiss, puis une petite pièce sur le futur: Where is my place?