Dans le cadre de la participation du collectif d’activistes ®TMark à la Biennale du Whitney 2000, Archée (qui avait commenté l’événement le mois dernier) a réalisé une entrevue avec Ernest Lucha, porte-parole du groupe composé de cinq membres anonymes. Rappelons que ®TMark fait partie de la sélection du volet Internet qui s’ajoute cette année à l’événement. Et, à la surprise des conservateurs du Whitney, ceux-ci ont détourné, de manière imprévue, l’adresse de leur site vers une nouvelle page Web. Cette page permet à quiconque de soumettre un site que ®TMark présente en alternance, permettant à ceux qui se prêtent au jeu de participer à la Biennale!
En premier lieu, comment décririez-vous les activités de (r)TMark?
®TMark : ®TMark est une société de courtage qui permet à des investisseurs anonymes de financer des projets de sabotage dont le but est de médiatiser les abus d’une certaine démocratie corporative. En tant que société américaine à responsabilité limitée, nous pouvons dégager les investisseurs des responsabilités légales et éthiques de tels investissements. Comme beaucoup de comportements propres aux sociétés commerciales, il peut en résulter des préjudices, qu’ils soient humains, environnementaux, sociaux, culturels, psychologiques, économiques ou de toute autre forme à la biosphère. De tels préjudices peuvent se produire de façon accidentelle ou même volontaire, pour le simple profit.
Bien sûr, en tant que personnes décentes et sensées (comme c’est le cas pour la majorité des gens du milieu corporatiste), nous espérons que les interventions que nous commanditons mèneront à un plus grand profit plutôt qu’à quoi que ce soit de dommageable. Qui voudrait qu’il en soit autrement? Mais ®TMark, comme toute société, est une machine et une entité séparée, elle a ses propres règles et même si nous le voulions nous ne pourrions déroger à ces règles de ce fonctionnement.
En ce qui concerne la notion de « profit », la différence élémentaire entre ®TMark et les autres corporations est que nous donnons à ce terme une définition différente. Pour les autres corporations la motivation se fonde sur le profit financier, c’est la seule chose qu’elles peuvent envisager. Pour nous, il s’agit d’un « profit culturel », résultant de la médiatisation des abus d’une certaine démocratie corporatiste.
Il y a une autre nuance subtile mais importante : contrairement aux autres corporations, ®TMark définit sa ligne de conduite par rapport aux préjudices humains. Nous ne supporterons pas de projets, même s’ils semblent profitables, comportant un risque élevé de blesser physiquement les personnes. Nous avons implicitement tracé cette ligne de démarcation, afin d’éviter les poursuites de la part de nos investisseurs…
Cette notion de « responsabilité limitée » semble ici importante. En quoi consiste-t-elle? Et quel est votre point de vue critique par rapport à celle-ci?
®TMark : Effectivement, ce concept de « responsabilité limitée » est la pierre angulaire du pouvoir corporatif, parce qu’il sous-tend le statut de « personne naturelle » selon la législation américaine. La question est développée en détail dans une site comme celui de Poclad1.
La « responsabilité limitée » est essentiellement un dégagement des responsabilités. Avec cette protection de la « responsabilité limitée », on peut faire beaucoup de choses au-delà de toute responsabilité financière ou légale. La société corporative, comme entité, assume cette « responsabilité limitée ». Mais, elle ne peut être punie.
Aux États-Unis, ce concept a été élaboré en vue de réaliser des travaux publics, comme la construction d’un port par exemple. Si quelqu’un devait périr lors de ces travaux, comme cela a pu vraisemblablement se produire, le responsable du projet ne pouvait alors être jugé et emprisonné. Sans cette protection donc, personne n’entreprendrait de tels projets.
Il s’agit là d’une description très rudimentaire du principe de responsabilité limitée. Il suffit de dire qu’une protection élaborée initialement pour le bien public a été élargie afin de permettre des activités qui ne sont plus vraiment reliées à ce bien public. On dit souvent que la « responsabilité limitée » est encore nécessaire aujourd’hui, que sans elle, rien ne serait fait et que le capitalisme ne pourrait progresser. D’autres affirment que la compétitivité et la vitalité du capitalisme bénéficieraient de l’abolition de ce principe. Qui sait? Une chose est certaine, elle permet des comportements criminels à très grande échelle, sans aucun châtiment.
Tout en plaidant en faveur du candidat George W. Bush nous avons, l’an dernier, suggéré dans « Corporate crime »2 une alternative à la « responsabilité limitée ». Il s’agit en fait d’une modeste proposition qui, une fois redessinée par des experts, pourrait s’avérer efficace et intéressante.