«À pavu.com, nous préférons laisser l’Esclave de Michel Ange sur le socle de Manzoni et nous concentrer sur notre projet : devenir les maîtres du monde, et pour ce faire, nous commençons par répondre au «Che Fare?» de Mario Merz par : «Va bene !».» (Clément Thomas)
Alban Saporos: Clément Thomas, vous êtes artiste et Officer Général1 de pavu.com. N’y a-t-il pas là une chaise de trop?
Clément Thomas : Pour qui connaît la musique, au jeu des chaises tournantes, il n’y en a jamais de trop.
Dans votre « théoriectgr », vous insistez sur votre conception du Réseau comme monde réalisé et vous y avancez le terme d’«arts informatifs». Pourtant, avec pavu.com, vous vous défendez de faire de l’art? Pouvez-vous expliciter cette aberrance contextuelle? Pour paraphraser Marcel Duchamp, est-ce les internautes qui font pavu.com ou est-ce l’inverse?
Pavu.com ne pose pas l’art comme postulat de base à son action. Disons que nous travaillons dans le champ de l’art «par défaut», simplement parce que ce que nous faisons n’a pas sa place dans un autre domaine d’application (en gros, nous ne fabriquons pas des vis ou des petites baguettes – enfin, pas pour le moment). Quant aux théories, ce sont des jeux de l’esprit qui fonctionnent dans leur sphère propre. Fluctuations et fluxions en font la saveur, et il n’est qu’à les considérer comme pure matière informative pour en faire de bons upgrades.
Cher Clément Thomas, je suis ravi de vous voir partager le concept des théories jetables mais que vous apporte le réseau Internet qui soit si différent et si spécifique?
Je suis partisan de l’usure naturelle des théories comme des choses. Le dégagement d’énergie qui se produit lorsque deux théories s’entrechoquent justifie à lui seul que l’on continue à théoriser. Quant à ce qu’Internet apporte? Internet apporte Internet : à savoir toutes les attitudes qui vont avec le réseau, les outils pour faire fonctionner l’ensemble et un bonus : la matière première informative en quantité astronomique. Comme pour la lampe d’Aladin, pour extraire la moelle, il suffit de savoir où frotter. L’après contemporain pline déjà la prochaine route sur Internet
Marshall McLuhan a promulgué en son temps une loi célèbre selon laquelle « the medium is the message ». Croyez-vous qu’elle doive être aujourd’hui abrogée? Pour être plus concret, peut-on encore croire qu’un médium se confond avec sa révélation et vice-versa, comme une statue avec le marbre qui la constitue? Comment vous accommodez-vous de cette approche substantialiste?
Je n’ai pas rencontré McLuhan mais je respecte son sens de l’humour. Dans la question que vous soulevez, ce qui compte, ce n’est pas le marbre ou le médium, mais l’abrogation : le retrait. L’ArtePovera a prouvé que le marbre peut se passer de statue. Avec Brandt sur Haffner, Bertrand Lavier a montré astucieusement que le marbre peut lui même se passer de marbre. Mais que faire s’il n’y a rien à enlever? À pavu.com, nous préférons laisser l’Esclave de Michel Ange sur le socle de Manzoni et nous concentrer sur notre projet : devenir les maîtres du monde, et pour ce faire, nous commençons par répondre au « Che Fare ? » de Mario Merzpar : « Va bene ! ».
J’aimerais que l’on revienne sur les «arts informatifs». Nous sommes là en présence d’un processus d’extraction qui renvoie à ma question précédente. Mais extraction de quoi au juste?
En gros, définir les arts informatifs, cela revient à considérer l’information comme un matériau brut, et à l’extraire sans tenir compte de ce qu’elle prétend véhiculer. Par cette opération qui fait appel à la technique des signaux, pavu.com pratique un mouvement de recadrage sémantique qui permet de déplacer le pôle en magnétisant la position. Et dans ce cas, on peut parler à juste titre d’ingénierie artistique.
Informatif ou non, vous persistez pourtant à parler d’une «position par défaut»…