Le théâtre sur Internet en tant que système documentaire
Avec la multiplication des sites artistiques, très nombreux sur le Web, s’instaure une forme de mémoire en réseau de tous les types de créations : la peinture, la photographie (de manière générale, les arts plastiques), le cinéma et la musique détiennent une véritable place forte sur les bases de données d’Internet, mais les arts du spectacle vivant : théâtre, opéra, danse et autres formes de performances scéniques, y sont également très bien représentés. A ce titre, tous les arts adoptent un statut documentaire sous l’effet de la numérisation généralisée des formes visuelles, des couleurs, des sons et des informations textuelles qui s’y rattachent, toutes ces données numériques multimédias étant mises en relation grâce aux liens hypertextuels qu’elles ont entre elles. Immense biblio-médiathèque en expansion continuelle, les serveurs Internet offrent aux arts des lieux de conservation et d’exposition dont les principaux mérites sont l’ubiquité, le recueil illimité de l’information et la mise à jour rapide et permanente des bases de données. Les associations et compagnies théâtrales (par exemple http://www.tf2.asso.fr/) représentent, dans ce réseau culturel arborescent, un champ de vaste envergure, à côté des grands sites officiels de théâtre (à l’instar de celui du Festival annuel d’Avignon : http://www.festival-avignon.com).
Cependant, à la différence des arts de l’image fixe, le théâtre constitue un type de mémoire en réseau qui impose des contraintes de présentation qui sont sans commune mesure avec la peinture, la photographie, ou la sculpture par exemple. Les arts de la scène étant des arts » vivants » par définition, lorsqu’il s’agit de les exposer sur Internet sous une forme multimédia, les concepteurs de sites Web obéissent à une exigence de compactage de l’information qui fait du théâtre – de tous les arts de la scène – un système documentaire hybride, à mi-chemin entre l’audio-visuel cinématographique, l’art vidéo, le photo-roman populaire et l’art de la photographie. C’est en cela que le théâtre et les arts de la scène appellent une interrogation d’ensemble sur le sens et les répercussions médiologiques de cette mémoire numérique hybride, significative de notre culture de la mémoire hypertextuelle compactée, à vrai dire une mémoire sous forme de » collage » en hypertexte.
Car, si le théâtre peut aussi se regarder à travers la » lucarne » de la webcam, et si une pièce théâtrale peut devenir sur des sites Internet un système d’informations et de lecture hypermédias, peut-être sommes-nous en passe de relayer l’esthétique de la représentation scénique par une nouvelle esthétique de la présentation multimédia, définie selon les méthodes du design informationnel propres à la création des sites Web. C’est en cela qu’il s’agit d’une importante question de médiologie du théâtre, un système médiatique aussi décentralisé et ubiquiste qu’Internet, avec ses modes spécifiques de mémorisation de l’information audio-visuelle, servant de relais et de faire-valoir à un mode d’expression et de création par principe situé en un lieu précis, avec un contexte spatio-temporel absolument déterminant (la scène, le déroulement humain de l’interprétation vivante du texte par les acteurs, en présence du public) et dont il est impossible de faire abstraction sous peine d’anéantir les liens indissociables qu’entretiennent le texte théâtral, le corps de l’acteur et sa voix dans l’espace-temps de la scène et le regard du spectateur.
Un théâtre globalisé mais pour ainsi dire abstrait et irréel, au deuxième et troisième degré, s’instaure par l’application des règles normalisées de la production et de la communication de l’information multimédia en réseau. La » lucarne » de la webcam est-elle bien adaptée à la présentation authentique du spectacle vivant, ou tout au moins, quel type de contrepoint forme-t-elle par rapport aux arts de la scène comme le théâtre ? Quand un média s’empare d’une autre forme d’expression ou de communication, ce sont de nouveaux modes d’appréhension et de compréhension de cette dernière qui voient le jour, et par conséquent aussi de nouveaux modèles de lecture qui peuvent naître, délaissant » l’aura » esthétique et artistique chère à Walter Benjamin dans les années 1930. Comment le théâtre sur Internet se redéfinit-il (malgré lui) à travers les réseaux multimédias et l’hypertexte ? Il convient tout d’abord de s’interroger sur la nature de ces formes de présentation qui induisent une esthétique autonome de la présentation multimédia, faisant participer le théâtre d’une esthétique de la mémoire sélective, aux antipodes de l’art vivant qui se crée et se recrée à chaque représentation de manière nouvelle devant les spectateurs.