Aller au contenu
Critiques

Une superposition de bruits fondamentaux. Om de Reynald Drouhin (2001)

Le projet Web de l’artiste Reynald Drouhin intitulé Om (2001) (http://www.incident.net/works/om/) est une superposition de bruits sous deux formes : les bruits visuels et les bruits sonores.

La forme que prend ce projet est celle de la mosaïque. De petites images carrées sont placées les unes aux côtés des autres, formant un quasi carré de 9 images de large par 8 images sur la hauteur. Chaque carré est en fait une petite animation contenant 4 ou 5 images diverses. Chaque carré présente son animation en boucle et sans transition. Le tout se présente comme une surface hyperanimée qui occupe presque l’entièreté de l’écran. 

L’ensemble scintille fiévreusement d’images de types populaires et publicitaires dans un rythme frénétique et saccadé. Toute la gamme des objets de l’iconographie populaire y passe : corps de femme, B.D., aliments, vedettes de cinéma, jouets, icônes populaires, logos publicitaires, pictogrammes, etc. L’effet d’ensemble des ces animations non synchronisées rappelle le pop art et sollicite un regard critique sur la société de consommation dont le principal support publicitaire demeure l’image. On a l’impression de dévaler un boulevard commercial américain à pleine vitesse alors que la fugacité des images perçues s’accumule dans notre cerveau sans qu’on ne puisse rien y faire. Malgré cette vive animation de la surface, aucun son, aucun bruit, le silence est total.

Évidemment, le réflexe de tout bon internaute sera de survoler les images avec le curseur afin de déterminer quelle sera l’action appropriée à prendre pour la suite des choses. Le simple survol ne créant aucune réaction particulière, le clic sera l’alternative suivante (sous toute réserve d’un comportement plus agressif ou plus avisé). Voilà qu’à ce clic hasardeux une réaction nous indique le mode de consultation à suivre.

En effet, un clic sur un de ces carrés stoppe immédiatement l’animation, une image statique prend place, une des images impliquées dans cette boucle particulière. Qui plus est, des événements sonores accompagnent cette manœuvre. On répète alors l’opération afin de s’assurer que le comportement n’est pas aléatoire et que ce type d’intervention peut engager une relation logique ou stratégique avec l’œuvre. C’est le cas. Toutefois, autre contrainte, la rapidité avec laquelle les images défilent nous empêche d’être parfaitement en contrôle de ces arrêts sur image. Le clic sur une animation s’avère hasardeux, malgré de multiples essais de précision quant au choix de l’image sur laquelle nous souhaiterions stopper l’animation. 

Sans en être parfaitement certain aux premiers abords, on se rend rapidement compte que les images que nous immobilisons produisent des sons, ouvrent des extraits sonores ou des parties de bandes sonores qui se superposeront jusqu’à la cacophonie. Ces bouts audio rejouent sans cesse et s’amalgament, à la façon des animations avant que nous ne les arrêtions une à une.

Le rythme est donc incessant, sauf que l’on passe d’un mode visuel à un mode auditif. Moins identifiables, les événements sonores nous paraissent tout de même liés au monde des images qui les accompagnent : dialogues filmiques, expressions d’extase sexuelle, chansons anodines, bruits urbains, etc. 

Le processus d’intervention peut aussi s’inverser : en cliquant à nouveau sur les images en arrêt, les animations reprennent et les sons s’arrêtent. Si on veut expérimenter la cacophonie, il faut donc cliquer sur 72 carrés, et si on désire revenir en arrière vers un silence total, il faudra compter au moins 144 clics. 

Cette œuvre, pour être complètement expérimentée, nous incite donc à un certain acharnement. Plus qu’un acharnement, elle nous force à devenir nous-même un acteur répétitif dont le pseudo contrôle n’aura, au bout du compte, aucun effet de transformation sur l’immuabilité du cirque médiatique métaphorisé dans cette oeuvre. Peine perdue. Nous n’aurons été que l’esclave d’une machine et d’une machination. 

D’amusante l’œuvre deviendra, sous l’effet de notre participation, désâmante (terme commun du vocabulaire québécois signifiant une perte significative du sens par un manque répété de communication). Nous actualisons, par notre participation, une réelle tragédie. Nous lui donnons un sens contradictoire; nous vidons de son potentiel communicatif notre propre intérêt pour l’art en s’immergeant dans un univers contemporain dont on ne contrôle que trop peu les mécanismes.

À force de rire, on finit par pleurer, disait ma belle-mère.

Qu’en dis-tu Om ?

J’admire la simplicité et l’efficacité quand les deux me permettent d’éclabousser subrepticement la luxure de ma saine naïveté. Bien dit.