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Critiques

Le spectacle de la faute : les sites Web de confession

Depuis quelques annĂ©es, il est possible de trouver, sur le Web, des sites de confession. Ces sites se prĂ©sentent comme un endroit oĂč il est non seulement possible de se dĂ©lester de secrets trop lourds Ă  porter, mais Ă©galement de se placer « de l’autre cĂŽtĂ© du confessionnal Â» et de lire les confessions des autres internautes. Les thĂšmes du secret et de la confession ont dĂ©jĂ  Ă©tĂ© bien exploitĂ©s en thĂ©ologie et en science des religions, mais le thĂšme prĂ©cis de la confession sur le Web est restĂ© inexplorĂ©. Il n’est donc pas encore trĂšs clair quels sont les enjeux Ă©pistĂ©mologiques de cette forme relativement nouvelle d’exposition – Ă  la fois totalement ouverte et anonyme – de soi, de son intimitĂ©.

Je m’attarderai tout d’abord au bouleversement assez rĂ©cent de la notion de subjectivitĂ© qui se vit Ă  travers la « culture de l’écran Â». Alors que l’intime, le secret Ă©taient, jusqu’à une Ă©poque rĂ©cente – certains diront jusqu’à la seconde guerre mondiale – constitutifs de la subjectivitĂ©, il semble qu’un renversement majeur de la notion de subjectivitĂ© se soit opĂ©rĂ© en quelques dĂ©cennies. Ce ne sont bien entendu pas les sites de confession Web qui sont responsables de ce changement de paradigme, mais ils en sont une illustration Ă©loquente. 

Je poursuivrai en Ă©tudiant la question de la confession en tant que telle, tant dans son sens traditionnel, religieux, que dans le nouveau sens qu’elle prend Ă  travers ces sites Web. La principale diffĂ©rence entre les confessions traditionnelles et celles faites sur la Toile est que ces derniĂšres se font sans confesseur, et donc, sans possibilitĂ©, ou sans besoin de rĂ©demption, de rĂ©mission, de pardon ou d’absolution. La confession devient une parole jetĂ©e dans le vide, offerte Ă  la fois Ă  tous et Ă  personne. Bien qu’il soit possible, dans quelques sites, de rĂ©pondre aux confessions et d’instaurer un dialogue, celui-ci n’est pas rĂ©dempteur car il manque la parole d’autoritĂ© du prĂȘtre ou du confesseur, qui seule a le pouvoir d’absolution. Toutefois, bien que le pardon ne soit pas possible, il semble que le sentiment de libĂ©ration soit bel et bien prĂ©sent chez les confessants Web. 

J’illustrerai mon propos avec des exemples tirĂ©s de trois sites de confession : grouphug, not proud et daily confession1.

Grouphug est un site amĂ©ricain crĂ©Ă© en 2003 par Gabriel Jeffrey. Deux montrĂ©alais – Scott Huot et GW Brazier – ont lancĂ© le site notproud en 2000 (grouphug y est frĂ©quemment comparĂ©) et le site dailyconfession, qui existe Ă©galement depuis 2000 et qui a Ă©tĂ© crĂ©Ă© par Greg Fox, est le plus populaire des trois (250 000 confessions, 2 millions de rĂ©ponses). Dans le site grouphug, les confessions sont prĂ©sentĂ©es par ordre d’arrivĂ©e. Il est possible de retrouver une confession lorsque l’on possĂšde le numĂ©ro alĂ©atoire qui lui a Ă©tĂ© attribuĂ©. Les deux autres sites proposent aux confessants diverses catĂ©gories dans lesquelles faire leur confession. Par exemple, notproud propose les sept pĂ©chĂ©s capitaux (ainsi que la catĂ©gorie « miscellaneous », pour ceux dont le pĂ©chĂ© croise plusieurs catĂ©gories
) et dailyconfession les divise entre les dix commandements. Les trois sites ont donnĂ© lieu Ă  des livres, respectivement Stoned, Naked and Looking in My Neighbor’s Window : The Best Confessions from GroupHug.us (Justin, Charles & Co., Boston, 2004), Not Proud : A Smorgasbord of Shame (Simon Spotlight Entertainment, Riverside, 2005) et Coming Clean : The Best and Worst of DailyConfession.com (Andrews McMeel Publishing, Riverside, 2004).