Maria Lantin et Glen Lowry, Jean-Simon DesRochers, Carlos Sena Caires, Xavier Lambert, Emanuele Quinz, et François Leblanc avec Aaron Sprecher, ont accepté de répondre à des questions formulées sur la définition du terme de recherche-création, sur ce qui le distingue de celui de la création, sur la différence entre méthode et méthodologie de recherche, sur la méthodologie versus l’épistémologie de recherche, etc.… Chaque entretien dure environ une dizaine de minutes, approximativement les mêmes questions ont été posées aux chercheurs expérimentant des pratiques très diverses afin de pouvoir bénéficier de l’originalité de leurs points de vue. Ainsi six nouvelles entrevues sont publiées dans cette parution, six autres paraîtront dans la prochaine édition.
Maria Lantin et Glen Lowry travaillent au sein d’équipes pluri-disciplinaires à L’Emily Carr University et interrogent, entre autre, les tensions qui existent entre les objectifs définis et les résultats attendus par les programmes de financement et les dynamiques des processus de travail au sein de la recherche-création. S’ils posent la question à partir du cadre institutionnelle académique, cette question est toutefois transférable aux centres d’artistes1 qui doivent anticiper dans leurs demandes les processus heuristiques2 des artistes qu’ils accueillent, qui, par définition, sont imprédictibles. Comme un certain nombre de chercheurs interviewés, ils saisissent ici les contradictions inhérentes au statut de l’artiste-chercheur dans le contexte de la recherche-création au sein de l’institution : la méthodologie qui permet la transmission des connaissances ne doit pas ficeler les processus de travail. « Il faut d’abord laisser la place aux objets de la recherche-création qui sont souvent difficiles à reconnaître, nous dit Glen Lowry, et c’est ce qui en fait des objets passionnants. » Cependant Maria Lantin insiste sur le fait qu’il est pourtant tout a fait possible, voire nécessaire, d’énoncer avec clarté ses intentions pour identifier ses méthodes. Leur réflexion nous conduit à interroger l’œuvre elle-même au cœur de la recherche-création : dans quelle mesure l’institution autorise-t-elle l’artiste-chercheur à nommer clairement, ou disons plutôt à nommer sans interdit son objet.
Jean-Simon DesRochers s’exprime sans ambages : « comme créateur dans le domaine littéraire je ne cherche aucune réponse. Une œuvre pose des questions… ». « La création, nous dit-il, est tendue entre deux pôles : entre un mysticisme complet et une peur du concept… une peur de tuer la poule aux œufs d’or, en lui donnant un nom. Mais il est possible d’essayer de définir quelques paramètres, auxquels l’œuvre n’est pas réductible, qui peuvent cependant servir de territoire de consultation générale, d’échanges, de dialogues. (…) Comme créateurs nous avons une intuition… « mais qu’est-ce que l’intuition? » Et bien on peut en parler. En art on a peur d’en parler mais on peut cependant le faire sans l’invalider! » Jean-Simon DesRochers de poursuivre et d’affirmer, dans le sillon de Maria Lantin et Glenn Lowry, l’importance de la méthode. Elle part de considérations subjectives pour développer des discours, afin de générer des savoirs ou tout au moins un mouvement.
Cette question est centrale pour Carlos Seina Caires, artiste-chercheur en art médiatique en provenance du Portugal. « Comment transmettre l’expérience de la pratique comme connaissance? Comment penser la pratique en tant que théorie et la théorie comme pratique? Comment problématiser et communiquer ce que l’on fait? » interroge encore Carlos Seina Caires. Car pour lui et pour son laboratoire de recherche le CITAR, la publication, qui est une des modalités de la transmission des connaissances auprès d’un public, n’est pas suffisante dans le contexte de la recherche-création en art : « Exposer les idées par le texte est fondamental, mais le texte alors entendu au sens large et incluant les documents cinématographique, sonore, vidéographique… ». Cette remarque renvoie à nouveau à questionner les outils de la recherche en art, ses modes de transmission et dialogue avec les réflexions de Maria Lantin, Glenn Lowry et Jean-Simon Desrochers.
Xavier Lambert, artiste, pédagogue et chercheur français propose, quant à lui, une interdisciplinarité théorique en établissant les lignes de partage entre la nature de la recherche dans la création artistique et celle dans la recherche-création. Selon lui, pour l’artiste, son art est toujours recherche, cependant l’art dans la recherche-création exige une distanciation, une capacité d’analyse des mécanismes mentaux, intellectuels, philosophiques. C’est cette capacité à réfléchir la pratique créative et ses processus et enfin à les articuler avec des champs conceptuels qui sont en dehors de l’artistique, qui permet l’élaboration et la transmission des connaissances, constituant ainsi un apport pour la collectivité. Jusqu’alors les entrevues questionnaient souvent les paradoxes inhérents aux relations qu’entretiennent la recherche-création en institution et la recherche au sein de la pratique artistique en dehors de celle-ci.
Emanuele Quinz demande au contraire, si l’école, n’est pas, finalement, le lieu privilégié de la recherche-création, peut-être même le seul, où les conditions sont réunies pour constituer un espace de liberté et d’expérimentation. Le collectif comme modalité de travail et son effectivité dans son processus de chercheur, est au cœur de la réflexion de Emanuele Quinz, commissaire, historien de l’art et professeur enseignant en France. Le collectif est envisagé, chez lui, en amont de la recherche et comme méthode en soi, une méthode non-déterministe. C’est dans sa pratique de commissaire qu’il invite des artistes autour d’une problématique commune en vue de déplacer leurs habitudes et d’interroger leurs statuts. Le collectif, comparé à un ensemble polyphonique, a une fonction motrice au sein d’une pratique qui se constitue comme recherche, à laquelle l’exposition donne corps. Dans son entrevue Emanuele Quinz donne des exemples de ce processus.
Quant à Aaron Sprecher, architecte et François Leblanc, designer industriel, ils sont engagés dans une recherche qui s’articule sur les relations de l’architecture et du design avec une théorie en acte de l’information. Ils proposent de remplacer la notion de représentation par celle de modélisation et la notion de méthode par celle de protocole, où circulation, traitement, transformation de l’information constituent les trois étapes récurrentes du processus de création. Cependant le protocole est toujours réinventé à chaque nouveau projet où les technologies de l’information pénètrent des dimensions de la matière qui seront au cœur de la réflexion de leur laboratoire et de leurs projets.
Glen Lowry, PhD English (SFU), is a writer, cultural theorist, editor, and educator who specializes in collaborative practice as social engagement. An Associate Professor in the Faculty of Culture & Community and Vice-Chair of the Research Ethics Board at Emily Carr University of Art + Design, Vancouver, BC, his work looks at notions of spatial justice and learning as an unsettled settler from Indigenous research and research methods. Co-editor / designer of Speaking My Truth: Reflections on Reconciliation and Residential School, Lowry is working for the Aboriginal Healing Foundation to develop resources and curriculum that challenge the legacies of residential schools and possibilities for reconciliation among Aboriginal and non-Aboriginal people. Lowry is also a core member of Maraya (2007-2012), and has facilitated and participated in numerous presentations and talks on the intersections of creative practice, social engagement and cultural memory: Art Dubai (2010); Learning From Vancouver, at Western Front (2010); Interactive Futures ’09: Stereo; ISEA 2011 Istanbul; and Speculative Cities – Dubai, Panama City, Vancouver (2013). From 2001-2011, Lowry edited the Simon Fraser University-based cultural journal West Coast Line. Pacific Avenue (LINEbooks, 2009) is his first poetry collection.
Last years he was awarded a Canada Foundation for Innovation grant in 2010, a SSHRC Insight Development grant in 2011, and a SSHRC Partnership Development grant in 2012 to support his research activity at the Laboratory for Integrated Prototyping and Hybrid Environments (LIPHE, McGill University School of Architecture).
Candidat au doctorat, François Leblanc est praticien en architecture et enseigne les processus de conception et de fabrication numériques à l’Université McGill. Chercheur principal au laboratoire multidisciplinaire de design LIPHE sous la supervision d’Aaron Sprecher, il explore l’optimisation matérielle, la fabrication additive, et les technologies numériques à travers la recherche-création. Titulaire du MEDA 2012, on lui a récemment attribué la prestigieuse bourse Armand-Bombardier-CGS pour le développement de nouveaux prototypes architecturaux liés à la question de l’impression 3D et aux répercussions de cette nouvelle technologie sur les méthodes de design.
Notes
[1] Rappelons que les Centres d’Artistes Autogérés sont un dispositif spécifiquement Canadien. L’essentiel de leur financement provient de subventions fédérale et provinciale.
[2] Voir au sujet des processus heuristiques l’entrevue de Louis-Claude Paquin, dans le 3e et dernier volet de ce dossier, dans la prochaine édition d’Archée.