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Une approche émergentiste de l’expérience esthétique*

Depuis quelques années, les théories de l’émergence proposent une vision non réductionniste radicalement différente du monde et des lois qui le gouvernent. De la physique quantique aux sciences cognitives, de nombreuses disciplines tentent d’importer ce concept dans leur aire de recherche. D’où la question : les théories de l’émergence n’offriraient-elles pas une approche novatrice dans la connaissance de l’expérience esthétique ? J’entends par expérience esthétique l’émergence d’un état mental et physiologique lors de la vision, de l’écoute, du toucher, de l’olfaction ou de la dégustation d’une forme ou d’un agencement de formes sensibles se déployant dans l’espace et le temps, rencontrés dans la nature ou produits par l’homme, provoquant un plaisir spécifique associé à des émotions, des sentiments et des jugements. Une expérience partagée par l’ensemble de l’espèce humaine, en tout lieu et à toute époque.

Une définition triviale de l’émergence, mais qui permet de l’apprivoiser, est que « le tout est plus que la somme des parties », ce qu’avait déjà pressenti Aristote. Mais il a fallu attendre plusieurs siècles pour que la science s’interroge plus précisément sur ce que signifiait ce plus. Je laisserai à d’autres plus instruits que moi en la matière le soin de retracer l’histoire passionnante de ce concept. Pour Henri Atlan, biophysicien et philosophe, l’émergence caractérise le fonctionnement des systèmes dits « auto-organisateurs ». « L’auto-organisation, dit-il, est un mécanisme ou un ensemble de mécanismes par lequel des structures sont produites au niveau global d’un système à partir d’interactions entre ses constituants à un niveau d’intégration inférieur. Les interactions entre constituants sont elles-mêmes produites localement sans aucune référence à une structure locale préconçue. Au contraire, celle-ci est une propriété émergente du système et non une propriété imposée de l’extérieur du système. » (Atlan, 2011, p. 10) L’émergence est ce plus de la définition triviale. Atlan distingue trois types d’émergence : un type faible où ce qui émerge est prédictible, un type fort où l’émergence est en partie non déterminée — elle est alors le fruit du hasard et de la complexité —, et un type intentionnel — où le système s’attribue lui-même ses propres buts et les modifie éventuellement. On ne peut pas prédire facilement (en additionnant, par exemple, les propriétés des composants), fait remarquer Atlan, le résultat global de l’activité d’un système auto-organisateur complexe — ce qui émerge — à partir de ces propriétés.

Il en résulte que, si l’on généralise le raisonnement à tous les phénomènes obéissant à de grandes lois fondamentales, comme le fait, parmi d’autres, le physicien Robert B. Laughlin1, l’explication du monde à partir de ces lois, ainsi que le veut le réductionnisme, ne serait plus pertinente, car toutes les lois seraient d’origine collective et émergeraient de chaque niveau d’organisation de la matière. Pour ce physicien, en effet, les lois fondées sur la recherche de l’élément ultime sur lequel se construirait l’univers ne sont pas fausses ou inutiles, mais plutôt défaillantes dans de nombreuses situations et elles doivent céder devant la pertinence les lois organisationnelles. « Je souhaite moins attaquer le réductionnisme, dit Laughlin, que déterminer sa juste place dans l’ordre des choses2. »

Pour s’inspirer du modèle émergentiste, plutôt que de continuer à rechercher l’essence de l’art et les lois supposées éternelles de la création ou de la réception artistique, dans des éléments ultimes et déterminants3, on cherchera à décrire et à analyser le fonctionnement des systèmes auto-organisateurs qui caractériserait les processus de la création et de la réception artistiques et la relation que ces éléments — dont je ne nie pas la contribution à ces processus — entretiennent entre eux au cours de l’expérience esthétique. Il n’en reste pas moins que l’importation de ce nouveau paradigme dans le domaine de l’esthétique doit être effectuée avec prudence et dépasser le mode métaphorique. Compte tenu de la complexité du sujet, les éléments théoriques exposés ici ne prétendent suggérer qu’une approche préliminaire. 

Qu’est-ce qui fait système ?

La première tâche est de définir ce qui fait système, les niveaux qui composent ce système et le milieu au sein duquel il fonctionne, lors de l’expérience esthétique. Je distinguerai trois types d’expérience esthétique. Le premier, le plus simple, met en contact un observateur et un objet, naturel ou artificiel. Paul prend du plaisir à contempler des cristaux de roche ; il les collectionne et les trouve beaux. Jacques est romantique et prend un même plaisir à contempler les vieilles ruines ; il ne les collectionne pas mais il les trouve belles. Dans ces deux cas, le système se compose d’un observateur et d’un objet (naturel ou artificiel). Le milieu où la rencontre s’effectue ne joue pas ici de rôle déterminant. Chaque observateur est un système auto-organisateur intentionnel extrêmement complexe et d’une très haute autonomie, façonné par les millions d’années de la sélection darwinienne au cours de l’évolution ; il définit lui-même, du moins pour une très large part, ses propres objectifs et possède la capacité de les modifier selon les changements du milieu. Cette sélection a doté l’espèce humaine d’une certaine compétence mentale indispensable à sa survie, l’« attention cognitive », qui pousse chaque individu à exercer un regard vigilant vers les formes innombrables et variées que lui offre le milieu où il vit et d’éprouver une satisfaction lorsqu’elles sont identifiées et déclenchent alors les conduites adéquates (cueillette, chasse,  fuite, etc.). Lorsqu’un observateur pose ses yeux sur l’objet de son attention, la perception des formes de cet objet lui procure une satisfaction d’un genre particulier : le plaisir esthétique4. Cette particularité tient dans le fait que les conduites qu’il déclenche cherchent à s’entretenir dans une boucle autotéléologique, la jouissance perceptive entraînant la recherche et le maintien de cette jouissance. Avec ce plaisir se déploie une large palette d’états mentaux et physiologiques, d’émotions, de sentiments et de jugements5. Mais le plaisir peut ne pas naître ; dans ce cas, l’objet ne répond pas à l’attente de l’observateur. Il le laissera indifférent ou lui déplaira. Quant à  l’objet lui-même, il peut être le produit d’un système auto-organisateur de type faible pour les cristaux ou de type fort pour les ruines, mais ne constitue pas un système en soi. Il fait toutefois système avec l’observateur. 

Le second type d’expérience met en contact quatre constituants. Que l’objet soit reconnu comme œuvre d’art, candidat à cette reconnaissance ou ignoré par la sphère de l’art, ne modifie pas la composition des constituants. La vision d’un tableau, par exemple, que j’appelle le « moment du voir », nécessite la rencontre temporaire d’un artefact (le tableau), d’un observateur (le regardeur), d’un milieu de « présentation » (galerie, musée, collection privée, etc.) et d’un auteur (le peintre). Les trois premiers constituants, l’artefact, l’observateur et le milieu sont coprésents au moment du voir, mais la présence du peintre ne se manifeste qu’indirectement à travers certains « embrayeurs temporels » auxquels le regardeur est plus ou moins réceptif. Ces quatre constituants sont eux-mêmes des systèmes auto-organisateurs intégrant plusieurs systèmes sous-jacents plus ou moins complexes, empilés en niveaux hiérarchiquement intégrés — une sorte de « feuilleté » systémique qui constitue un système global. Les conduites du regardeur et du peintre étant les plus complexes.  

Mais si le peintre n’est habituellement pas présent au moment où le regardeur contemple le tableau, celui-ci peut en retrouver la présence grâce aux embrayeurs temporels, comme je le montrerai plus loin6. Le peintre est lui aussi un système auto-organisateur intentionnel extrêmement complexe analogue à celui du regardeur mais doté d’intentions différentes visant le faire plutôt que le ressenti. Il définit lui-même ses propres objectifs au cours de l’acte de création, les corrige, les adapte, en vue de produire un artefact destiné à provoquer chez autrui une activité cognitive produisant du plaisir esthétique7

Le milieu, troisième constituant, l’espace-temps8 au sein duquel l’artefact se présente au regardeur, est aussi un système auto-organisateur qui agit fortement sur les conditions de perception et de réception. En outre, ce sous-système réinscrit le système global au sein d’un autre supersystème, le système culturel propre à la société. 

Le tableau, quant à lui, est composé en tant qu’objet physique d’éléments stimulant la perception : des formes (surfaces, contours, couleurs, lumières, textures, composition, etc.) diversement organisées mais incapables d’une quelconque évolution autonome, donc d’auto-organisation, s’il s’agit d’un tableau réalisé avec des techniques traditionnelles ; les éléments physiques du tableau ne peuvent que subir les dégradations de l’entropie. En revanche, le tableau peut faire système si, comme le veut sa fonction, il interagit avec le système cognitif du récepteur par le biais des organes et des processus neuronaux de la vision. Les taches rouges et vertes juxtaposées dans une peinture impressionniste resteront identiques à elles-mêmes sous le regard, mais elles provoqueront chez le récepteur une sensation de jaune — couleur qui n’existe pas sur le tableau mais qui émerge du système œil-artefact aussi nettement que si elle était réelle. Parlant d’une œuvre de Monet, Laughlin dit que si la peinture est physiquement composée de taches aléatoires et désordonnées, ce que nous voyons — c’est-à-dire ce qui en émerge — est un tableau figurant un champ de fleurs. C’est donc en tant qu’il est couplé à un système auto-organisateur complexe doté d’une intentionnalité (le peintre) que l’artefact participe indirectement à l’émergence d’une forme qui ne préexiste ni en lui ni dans l’esprit du regardeur. 

Tous ces systèmes interagissent entre eux en s’ajustant les uns aux autres en sorte que la dernière couche du feuilleté, le système global conserve sa stabilité. Cette stabilité est elle-même l’objet d’une correction et d’une adaptation permanente à la fluctuation des sous-systèmes, du moins aussi longuement que dure le temps du voir et de son prolongement dans la mémoire du récepteur : on ne revoit jamais le même tableau. Le feuilleté est un système métastable qui œuvre à conquérir et à entretenir sa stabilité. Replacé au sein du réseau de réseaux constituant la sphère de l’art, le système global fait émerger ce qui est le propre d’une expérience esthétique du second type telle que celles que nous avons l’occasion de vivre avec les œuvres  d’art. D’où la question : qu’est-ce qui émerge9 ?

Qu’est-ce qui émerge ?

Qu’est-ce qui émerge à la surface du feuilleté qui n’est pas contenu dans les niveaux inférieurs ? Atlan dirait : « de la nouveauté » (Atlan, 2011, p. 274). Quelque chose qui n’existait pas auparavant. Au niveau du système auto-organisateur regardeur-tableau, quelles sont ces choses qui n’existaient pas avant le moment du voir ? D’abord les formes variées qui émergeront plus tard dans l’esprit du regardeur. Ces formes n’existent en tant que formes et ne sont nouvelles que dans la mesure où elles émergent elles-mêmes du couplage regardeur-tableau. Contrairement à une idée très répandue qui veut que la perception d’un tableau se réduise à une contemplation passive, qu’elle n’engage aucune action de la part du regardeur, la perception est toujours un processus mental étroitement lié à l’action. La perception est un phénomène exploratoire. Au cours de cette exploration, c’est l’action qui guide la perception qui à son tour guide l’action dans une boucle rétroactive auto-entretenue. Regarder un tableau avec une certaine attention et une certaine intention, c’est mettre en branle toute une série d’actions (balayer la surface de ses yeux, aller et venir pour choisir le meilleur point de vue, s’isoler de l’environnement pour se concentrer), c’est solliciter non seulement la vue mais le sens du mouvement, ce sixième sens qui fait coopérer entre eux les autres sens10

De ces formes émergent quasi simultanément, sans hiérarchie chronologique, des affects au centre desquels pointe le plaisir esthétique. Un plaisir qui s’associe à un enchaînement d’émotions dépendant elles-mêmes des informations issues du système auto-organisateur regardeur-tableau. Tel tableau éveillera de la joie, tel autre de l’horreur, mais cette horreur sera ressentie paradoxalement comme du plaisir. Ces émotions seront associées à leur tour à une large gamme de sentiments, à savoir, selon le neurologue Antonio Damasio (Damasio, 1999, p. 83), des états cognitifs supérieurs qui sont des représentations d’états émotionnels. Lesquels feront émerger des idées, des questions, des hypothèses, des inférences, des jugements. 

Mais l’émergence du sentiment esthétique et du plaisir qui l’accompagne ne suffisent pas à créer une expérience esthétique pleine et entière. Du couplage regardeur-tableau émerge un état cognitif et physiologique — l’empathie — qui incite le regardeur à partager certains états mentaux et corporels propres à l’auteur de l’artefact. Pour le neurobiologiste Jean Decety, l’empathie repose sur une simulation mentale de la subjectivité d’autrui : la capacité à se mettre mentalement à la place d’autrui, tout en restant soi-même (Decety, 2004). L’empathie nous permet d’appréhender le monde de son point de vue, de pouvoir éventuellement partager ses sentiments, sans que cela soit systématique. C’est alors une expérience de troisième type que vit le regardeur. Une découverte récente a montré que l’empathie était corrélée au niveau du système cognitif par une catégorie de neurones appelés neurones-miroirs11. L’empathie comprend deux composantes fondamentales. La première est une résonance motrice et émotionnelle déclenchée automatiquement, la seconde une prise de perspective subjective de l’autre contrôlée et intentionnelle.

Au cours de l’expérience esthétique, quand un spectateur assiste à une jam session où à une pièce de théâtre de rue du genre comedia dell arte, ou quand il assiste aux gesticulations de Georges Mathieu projetant des pigments sur une toile, les musiciens, les comédiens ou le peintre qui improvisent sont les propres auteurs du spectacle qu’ils offrent aux spectateurs et ces derniers entrent directement en empathie motrice et émotionnelle avec eux, éventuellement prolongée en une prise de perspective subjective. Mais comment la résonance empathique peut-elle avoir lieu si, dans le cas de la vision d’un tableau, le peintre est absent ? Je propose l’hypothèse que la résonance se ferait alors par le biais d’une sorte de relais, les « embrayeurs temporels » qui, gardant la trace physique des actions du peintre au moment où il a peint (touches, projections, empâtement, superposition de glacis, lacérations12, position du peintre dans l’espace, etc.), renverraient indirectement à sa présence13. C’est le partage empathique de la temporalité vécue par le peintre au moment du faire et de la temporalité vécue par le regardeur au moment du voir qui inscrit l’expérience esthétique dans le temps et ses trois directions (présent, passé, futur), instaurant ainsi un lien intersubjectif puissant entre l’auteur et le récepteur, au-delà de l’écart temporel qui les sépare. Cette résonance temporelle donnerait à l’expérience esthétique une dimension relationnelle ouvrant alors l’accès à l’intelligibilité de l’œuvre : ouverture, mais non révélation complète du sens qui fait l’objet d’une quête sans fin14

Le système auto-organisateur auteur-artefact-récepteur n’est pas un produit de la culture humaine. C’est un héritage génétique qui s’est constitué peu à peu au cours de la phylogénèse de notre espèce et dont on retrouve des traces chez certaines espèces animales15. Ce système reste identique à lui-même à travers le temps et l’espace, mais c’est en vain qu’on y chercherait les lois éternelles de la beauté ou de la création artistique. Il détermine seulement les conditions sous-jacentes de l’expérience esthétique sans lesquelles celle-ci ne saurait avoir lieu, mais il ne détermine pas ce qui en émerge, ce qui fait de chaque expérience, de chaque artefact, une singularité dont les propriétés sont imprédictibles. 

J’avancerai pour conclure quelques éléments de réponse à la question introductive : les théories de l’émergence n’offriraient-elles pas une approche novatrice dans la connaissance de l’expérience esthétique ?

Cette approche se caractérise par une prise de position nettement non réductionniste. Aucune théorie scientifique ne saurait décrire et expliquer de son seul point de vue la nature de l’expérience esthétique en invoquant quelque loi ultime et unique sur laquelle elle se fonderait. Les théories de l’émergence font appel à un très vaste ensemble de disciplines — les sciences et technologies de la cognition — qui s’ignoraient jusqu’à présent et ne faisaient pas partie des savoirs de l’esthétique classique. En ce sens, l’esthétique n’est plus un domaine privilégié de la philosophie. Il en résulte que les théories de l’émergence rompent avec la vision d’une esthétique qui voudrait que l’art soit un fait démiurgique et la création artistique inconnaissable par essence, que le plaisir esthétique soit un pur produit de la culture libre de tout enracinement biologique, et que l’espèce humaine occupe sur ce point une place exceptionnelle dans le vivant. Tout en reconnaissant le poids de l’héritage génétique sur les comportements humains, les théories de l’émergence montrent comment ce poids est contrebalancé par la culture épigénétique et la subjectivité des individus. Elles participent d’un très vaste mouvement de la connaissance qui réunit sous le même paradigme les activités de l’homme les plus hautement symboliques et les processus les plus divers caractérisant l’univers physique et la vie.

Mais le plus remarquable sans doute est que ces sciences ont pour objet non seulement l’ensemble des êtres vivants et la nature entière, mais également tous les systèmes artificiels traitant de l’information conçus par l’homme. Les théories émergentistes n’alimentent pas seulement la réflexion des théoriciens de l’art, elles fournissent aux artistes, du moins à quelques-uns d’entre eux, des sources d’inspiration et des moyens technologiques originaux qui renouvellent les modes de création et de réception des œuvres d’art. De nouvelles relations, sans précédent historique quant à leur intrication et leur interrésonnance, se tissent désormais entre l’art et la science.

*Les processus de réception et de création des œuvres d’art.
Approches à la première et à la troisième personne (partie 2)

Notes

[1] Robert B. Laughlin est physicien (Prix Nobel 1998). Voir, de cet auteur, Un univers différent, Paris, Fayard, 2005, pour la traduction française.

[2] Ibid., p. 18.

[3] Telles les propriétés intrinsèques de l’objet, les intentions ou la psychologie du créateur, la subjectivité de l’amateur d’art, les processus de médiation, l’influence du milieu culturel ou la capacité des œuvres artistiques à faire parler d’elles. 

[4] S’il existe bien dans le cerveau un centre du plaisir, il n’existe pas de centre dédié au plaisir esthétique. « Chaque système anatomo-fonctionnel du cerveau participe à la genèse de la pensée esthétique, constitue un instrument de sa production, dit Roger Vigouroux. » (La Fabrique du Beau, Paris, Odile Jacob, 1992, p. 217).

[5] Voir, Edmond Couchot, La Nature de l’art. Ce que les sciences cognitives nous révèlent sur le plaisir esthétiqueop. cit., chapitre II, L’expérience esthétique. 

[6] Certains peintres, comme Georges Mathieu, ont exécuté des tableaux sous les yeux des spectateurs et des cameras, marquant ainsi de leur présence physique l’acte pictural. Picasso a peint devant la camera de Clouzot pour le film Le mystère Picasso. Si dans ce cas le public qui visionne le film n’est pas en présence directe avec Picasso, il assiste néanmoins avec un décalage temporel à l’acte même du faire et le partage empathiquement. 

[7] Voir La Nature de l’artop. cit., chapitre IV, Les processus de la création artistique. 

[8] Voir Edmond Couchot, Des imagesdu temps et des machines dans les arts et la communication, Nîmes, Actes Sud-Chambon, 2007, chap. 1, Temps et espace de présentation.

[9] On parle aussi d’enaction. Le terme fait alors référence à l’approche de l’auto-organisation développée par les biologistes Francisco Varela et Humberto Maturana. 

[10] Voir Alain Berthoz, Le sens du mouvement, Paris, Odile Jacob, 1999, chapitre 2.

[11] Voir, sur le sujet, Giacomo Rizzolatti, Corrado Sinigaglia, Les neurones miroirs, Paris, Odile Jacob, 2008, p. 10. Voir également Rizzolatti G., Fadiga L., Gallese V. et Fogassi L., « Premotor cortex and the recognition of motor actions », Cognitive Brain Research, 1996.

[12] La touche picturale est souvent assez caractéristique pour que les experts s’y réfèrent quand ils veulent identifier l’auteur d’un tableau. Elle est l’un des vecteurs physiques de la relation intersubjective entre le peintre et le spectateur. En tant que trace, elle est un micro-événement temporel qui renvoie à un acte, à un faire propre à un certain style de peinture. Elle signale, sans médiation discursive, que le peintre s’est effectivement tenu là, devant le tableau, de même que le regardeur se tient là, lui aussi, devant ce même tableau, bien que le lieu réel où le tableau a été peint et celui où il est donné à voir soient le plus souvent différents. Le regardeur change alors de point vue, de référentiel spatial, et occupe mentalement le point de vue du peintre en substituant son propre regard à celui de l’autre.

[13] Un embrayeur extrêmement puissant est la perspective à projection centrale qui permet au regardeur d’occuper rétrospectivement la position spatiale du peintre face à l’objet à peindre et de retrouver sa présence en ce lieu au moment du faire. 

[14] Voir Des images, du temps et des machine, op. cit., chapitre I, La dimension temporelle de l’image.

[15] Certains oiseaux, au moment de la saison des amours, décorent avec beaucoup de soin leurs nids afin d’y attirer les femelles. L’aspect esthétique de la décoration, associé aux chants et aux parades du mâle, contribue au choix de la femelle. Voir La Nature de l’artop. cit., chapitre VIII, p. 232-243.

Bibliographie

– Atlan, Henri, Le vivant post-génomique ou Qu’est-ce que l’auto-organisation ?, Paris, Odile Jacob,  2011, 336 p.

– Damasio, Antonio, Le sentiment même de soi. Corpsémotionconscience, Paris, Odile Jacob, 1999, 384 p.

– Damasio, Antonio, L’erreur de Descartes, Paris, O. Jacob, 1996, 396 p.

– Decety, Jean, « L’empathie est-elle une simulation mentale de la subjectivité d’autrui? », dans Alain Berthoz et Gérard Jorland, L’Empathie, Paris, Odile Jacob, 2004, p. 19-49.