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Cyberthéorie

La magie contraignante et la contention des réseaux

Au cœur même du cyberespace logent de formidables opposés; d’une part la magie, de l’autre la contrainte. L’effet magique découle de l’ubiquité manifestée lors de nos navigations dans le cyberespace, elle ne cesse de nous surprendre par sa promptitude à répondre à nos commandes, par son insensibilité à l’espace et au temps, réitérant sans relâche sa puissante présence au sein de l’interréseau. L’ubiquité est l’ouroboros électronique. Et parce que rien n’est totalement immatériel dans cet univers ubiquitaire, tout y est par ailleurs fortement contraignant. C’est sous cet angle contraignant que les critiques de l’Internet font valoir, par exemple, le caractère socialement exclusif de l’accès à l’Internet sur un plan mondial. D’un point de vue plus factuel, un simple arrêt de l’alimentation, quelle soit électrique ou réseautique, conduit souvent l’internaute à revoir radicalement sa stratégie dans l’exécution de ses tâches. Ce qui n’est pas une mince affaire, peu importe le degré de complexité impliqué lors de telles interruptions soudaines. En somme, plus on s’engage dans la dépendance, plus les risques arborent un visage de fatalité et plus l’exclusivité devient déterminante dans le bon fonctionnement des opérations. On constate à quel point cela se vérifie avec le pétrole.

Cette contradiction inhérente au cyberespace trouve régulièrement des échos dans les discussions entourant l’Internet. D’un côté on critique l’utopisme des ses défenseurs qui allèguent un universalisme intrinsèque à l’interréseau, de l’autre on critique le manque de discernement chez les adeptes d’une démocratie égalitariste entre un potentiel et un écart économique. Entre les deux, on distingue l’imparfaite progression vers un accommodement entre les attentes des uns et des autres.

Hormis la sensation ubiquitaire de la transmission des données, l’interréseau est un matériau hautement sensitif et, partant, loin d’être intangible ; dans le sens de la structure matérielle et de ses effets sur les personnes branchées. Il n’y a, à cet égard, que Cyberman (Steve Mann, Toronto) pour vivre quotidiennement l’utopie de l’individu libre et branché en permanence. Cyberman est un véritable mythe vivant, une figure d’exception dans la relation créative de l’être humain avec la technologie. Dans sa jeunesse Cyberman voulait être un réparateur de téléphone, aujourd’hui il est une figure atypique dans un monde de systèmes informatisés. Nous, en tant qu’individus normaux, sommes loin des savoirs et des exigences techniques requis qui nous permettraient de réaliser les performances technologiques de Cyberman. Face à ce constat sur nos faibles connaissances, nul doute que la démocratisation électronique se fera par défaut et par le biais de l’économie de marché (sans vouloir ici présumer de son futur). Contre mauvaise fortune électronique, bon art (?). 

La force de l’art aujourd’hui ne peut, dès lors, reposer que sur l’appropriation des réseaux et non sur l’acquisition de connaissances liées aux univers technologiques et scientifiques. L’information numérique en flux plus que les câbles en laboratoires.