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Cyberculture

Les reproductions d’œuvres d’art sur les sites Internet de musées

Internet est d’abord, et c’est historiquement sa vocation première, un espace documentaire, dans lequel sont associés des textes, des images et des sons, à l’intérieur d’un même site ou entre plusieurs sites distincts, selon une organisation particulière appelée hypertextuelle. Parmi les innombrables pages consultables sur Internet, les musées proposent depuis une dizaine d’années environ1 une présentation de leurs collections. Le Conseil International des Musées (ICOM)2 a créé il y a trois ans un nom de domaine en .museum qui fait office de label pour les musées, et qui accueille actuellement 724 membres3. Cependant, un recensement approximatif des sites Internet de musées dans le monde, tous musées confondus, réalisé à partir d’un fichier établi par la Direction des Musées de France – et comportant aussi des organismes en rapport avec les musées : associations, bases de données, etc. – dénombre 1 690 sites. Rapporté aux seuls musées recensés en France en 20014, soit 1 124, ce chiffre paraît bien en deçà de la réalité. Confronté, d’autre part, aux statistiques de fréquentation de ces sites (le Musée du Louvre annonce, pour l’année 2003, 6 millions de visites5 de son site Internet), on mesure, qu’on le déplore ou non, l’importance acquise par la consultation des sites de musées au cours de ces dernières années, favorisée par l’équipement accéléré du public et par le développement des réseaux numériques à haut débit.

Ces sites constituent ce que certains appellent « musée virtuel », notion trop floue et que nous préciserons plus loin, dont on a souvent souligné la proximité avec le Musée Imaginaire d’André Malraux. Les images y entretiennent des relations complexes entre elles, avec les textes qui sont présentés conjointement, et avec un ensemble indéterminé d’images de toute nature avec lesquelles elles sont mises sur un même plan. Ces relations peuvent être interrogées par de multiples champs disciplinaires (sociologie, sémiotique visuelle, sciences cognitives, ethnologie etc.). Dans celui de l’historien de l’art, ces images, dans la mesure où elles sont des reproductions et non des originaux, se tiennent de prime abord à distance de lui, qui peut à loisir les consulter comme documents dont la qualité et la disponibilité sont particulièrement appréciables. Mais peut-il se désintéresser des modes d’apparition des images sur Internet, qui engagent, par des rapprochements nouveaux – que le livre d’art n’était pas en mesure d’instaurer – de nouvelles connaissances des œuvres, proches à bien des égards de celles que voulait créer le Musée Imaginaire ? Si l’historien de l’art pouvait jusqu’alors ignorer la construction très personnelle de Malraux, voire la considérer avec dédain, il ne semble plus pouvoir échapper à la dissémination des images des œuvres d’art sur les réseaux, dans un mouvement d’ensemble auquel contribuent les musées eux-mêmes, bien que ces institutions tentent de contrôler ce phénomène dans lequel les reproductions s’accrochent à toutes les autres images, d’une manière aléatoire et réticulaire qui engage de nouvelles significations.

Parmi toutes les informations disponibles sur un site Internet de musée, nous nous intéresserons à la présentation des reproductions d’œuvres (et d’objets archéologiques), sous le rapport de leur environnement culturel (les textes qui accompagnent ces images) et institutionnel (le musée dans son rapport à ces images), afin de faire apparaître les discours qui sont produits à travers cette présentation. Toutes ces questions engageraient de longs développements6; nous nous bornerons à présenter ici quelques-uns des modes de présentation de ces reproductions. Les sites des musées d’art contemporain posent des problèmes particuliers (conservation d’œuvres complexes qui associent plusieurs médias, enregistrement des performances), aussi bien que les créations artistiques numériques spécifiquement destinées à être exposées sur Internet, ou Net-art, et dont la conservation a déjà commencé7. Malgré le caractère récent de ce phénomène, il convient de s’interroger sur les implications épistémologiques et historiographiques dans le champ de l’histoire de l’art et du patrimoine.