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Cyberculture

Mobile/immobilisé

Louis Bec introduit cette rencontre en indiquant qu’elle fait « suite aux travaux qui ont été menés dans le cadre des colloques, « Interfaces et Sensorialité » (Presses de l’Université du Québec, 2003) et « Arts et Biotechnologies » (Presses de l’Université du Québec, 2004). Elle s’appuie sur les expériences effectuées depuis plusieurs années sur la problématique de la déficience humaine par l’équipe du Cyprès à Marseille. Aussi, il nous est apparu opportun d’offrir un lieu de réflexion approfondie sur les questions des (in)capacités. Au croisement de plusieurs projets artistiques actuels, de la recherche bioscientifique et des innovations technologiques, il semble que la déficience constitue probablement l’un des mobiles les plus féconds et troublants. Il agit avec une grande force au sein des pratiques artistiques expérimentales où il génère une diversité créatrice, fantasmatique et symbolique importante.

Il semble en effet important, actuellement, d’évaluer les apports des technologies et biotechnologies sur les conditions de viabilité, d’autonomie et d’incapacité, des êtres humains et d’observer les signes de nouvelles évolutions qui témoigneraient de l’élargissement de leurs capacités cognitives, mentales, imaginaires et symboliques1.

Louise Poissant rappelle que les techniciens du « bio » et des N.T.I.C. ainsi que les (bio)artistes travaillent avec des outils semblables. Les thèmes du corps augmenté et/ou remplacé, l’intelligence artificielle, l’intentionnalité et les recherches relatives à la proprioception les rapprochent d’un point de vue conceptuel. La « biofacture » pose aujourd’hui encore plus de questions qu’avant. Elle pousse à une redéfinition du vivant. L’exposition « I.A. » du musée des beaux-arts de Montréal entérine symboliquement les biotechnologies comme interface entre les arts et les sciences. En 1984, on distinguait encore le « vivant » et « l’artificiel » au festival d’Avignon, maintenant le biofact et le corps augmenté rendent compte d’une forme d’abolissement des frontières entre l’intime et la machine. Thierry Bardiny, dans son exposé sur « le handicap ou l’art de la casse », fait remonter l’homme augmenté (mécaniquement) à la naissance de la machine à écrire, à sa suite nous postulons que l’homme durablement suppléé est né avec les premières lunettes. Cette machine (l’ordinateur), prothèse d’un soi augmenté ou suppléé n’est pas l’apanage du monde du handicap. D’une certaine manière nous serions tous handicapés dans notre besoin de suppléance technique nécessaire à notre existence. 

« Touchez, ma souris est une prothèse virtuelle » titrait Aude Crispel. En effet, la souris de l’ordinateur est une forme de prolongement du bras et l’écran de l’ordinateur le reflet de nos émotions virtuelles. Roy Ascott, quant à lui, distingue l’espace psychique, le « cyberspace », l’« ecospace » et le « nanospace ». Tout cela concourt à l’émergence d’une réalité syncrétique. La prégnance d’espace hybride, c’est-à-dire la quasi non-distinction entre la réalité et le monde virtuel, l’espace intime et collectif conduirait à une perte de l’empathie interpersonnelle et développerait un sentiment de paranoïa face à une surveillance des individus qui augmente au rythme des possibilités de pistage induites par les N.T.I.C.